Environnement
Ray-Mont Logistiques : Résister et fleurir dans Hochelaga
Dans Hochelaga-Maisonneuve, des citoyen·nes se mobilisent depuis six ans contre l’implantation d’une plateforme de transbordement de marchandises à quelques mètres de leur maison. Récit d’une lutte sans relâche pour la justice environnementale.
Tout à l’est du quartier Hochelaga-Maisonneuve existe un grand terrain vague formé de boisés et de friches industrielles, à l’abandon depuis une vingtaine d’années. Le site est situé aux abords d’une coopérative d’habitation, de rues résidentielles et de ruelles vertes, d’un parc de quartier et d’un CHSLD. S’il a été longtemps occupé par des installations industrielles, le terrain s’est reverdi avec les années, et il est maintenant habité d’une végétation florissante et d’une faune diversifiée. Il accueille quotidiennement les promeneur·euses, les sportif·ves et les familles du quartier, venus profiter de ce qui ressemble aujourd’hui à un immense parc-nature.
En 2016, une partie de ce terrain a été achetée par l’entreprise Gaïa inc. pour les activités de Ray-Mont Logistiques (RML), qui planifie y installer l’une des plus grandes plateformes de transbordement de marchandises en Amérique du Nord. Déjà implantée à Pointe-Saint-Charles, RML opère une plateforme intermodale permettant de transborder du grain arrivant par train des Prairies et du Mid-West américain dans des conteneurs maritimes transportés par camion vers le port de Montréal. L’acquisition d’un terrain de 2,5 millions de pieds carrés dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve lui permet de rapprocher ses activités des terminaux du port et d’en augmenter de dix à quinze fois le volume. À terme, le projet vise à transborder 100 wagons de train par jour, ce qui impliquerait d’être en activité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cela générerait un millier de déplacements de camion par jour, un brouhaha constant lié au passage de trains et l’entreposage de plus de 10 000 conteneurs sur le site alors complètement asphalté. Les nuisances principales attendues, identifiées par l’entreprise, sont le bruit et les vibrations sonores, la pollution atmosphérique, lumineuse et visuelle, la création d’îlots de chaleur ainsi que la présence de vermine et de parasites.
Historique de la mobilisation
Dès l’achat du terrain en 2016, les résident·es des alentours sont alerté·es par le bruit lié aux travaux de concassage et la destruction des espaces boisés qui se trouvaient sur le site. Ils et elles s’organisent rapidement pour exiger d’être consulté·es sur les développements prévus dans leur quartier, et lancent une pétition en vertu du droit d’initiative en consultation publique de la Ville de Montréal. La mobilisation citoyenne « 5000 signatures pour MHM » voit alors le jour. En moins de trois mois, c’est finalement 6600 signatures qui sont amassées, menant à la tenue en 2019 d’une consultation publique sur l’avenir du secteur Assomption-sud-Longue-Pointe. Le nom du regroupement Mobilisation 6600 Parc-nature MHM porte le souvenir de cette victoire citoyenne.
Lors de la consultation menée par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), plus de cinquante mémoires sont déposés. Des projets de création d’un parc-nature, d’agriculture urbaine ou de réhabilitation d’un ruisseau enfoui sont présentés aux commissaires. La Direction régionale de santé publique présente aussi un mémoire recommandant la réduction des nuisances dans le secteur de Viauville, où les résident·es, la plupart socioéconomiquement défavorisé·es, subissent déjà les préjudices de la circulation sur la rue Notre-Dame et des activités du port de Montréal.
Par ailleurs, en 2017, l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve refuse de délivrer le permis de construction demandé par Ray-Mont Logistiques, jugeant que les installations prévues pour son projet de plateforme intermodale ne respectent pas le cadre réglementaire du secteur. Poursuivi en justice par l’entreprise pour ce refus d’émission de permis, l’arrondissement perd une première fois en Cour supérieure en 2018, puis en cour d’appel en 2021. Forcé de délivrer le permis en avril 2021, l’arrondissement est aujourd’hui poursuivi en justice par RML pour des dommages évalués à 373 millions $.
Développements récents
La victoire de RML en cour d’appel donne un nouveau souffle à la mobilisation citoyenne. En 2021 et 2022, des manifestations rassemblant jusqu’à un millier de personnes sont organisées pour dénoncer le projet de Ray-Mont, demander la préservation de tous les espaces verts du terrain vague (le boisé Vimont, le boisé Steinberg, la friche ferroviaire et le terrain de Ray-Mont) ainsi que la création d’un parc-nature sur le site. Le slogan « Résister et fleurir » est alors adopté par les militant·es, et des semaines d’actions donnent lieu à de nombreuses activités : randonnées guidées du terrain, activités artistiques pour la famille, conférences, jardinage, flash mob, barbecues militants et rencontres entre luttes citoyennes pour la justice environnementale. Une pétition comptant plus de 8000 signatures est déposée à l’Assemblée nationale à l’automne 2021 pour demander au ministre de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques, Benoit Charette, de soumettre le projet de RML à une évaluation environnementale complète menant à une évaluation du BAPE. De plus, en mars 2022, plus de 70 commerçant·es et organismes communautaires d’Hochelaga-Maisonneuve, des médecins et les élu·es provinciaux et fédéraux du secteur se lient à la mobilisation dans le cadre d’une déclaration conjointe contre Ray-Mont Logistiques, demandant un développement économique à échelle humaine pour le quartier. Mobilisation 6600 reçoit aussi l’appui de nombreux organismes et mouvements œuvrant en environnement, comme Nature Québec, la Fondation David Suzuki, l’Association québécoise des médecins pour l’environnement et la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social.
La créativité et l’audace des militant·es de la mobilisation ont mené à l’organisation de nombreux blocages du chantier et à des coups d’éclat comme la plantation symbolique d’une forêt de conifères (des sapins de Noël récupérés) sur le terrain de Ray-Mont, ou le dévoilement, en septembre 2022, d’une immense bannière entre les cheminées de l’ancien incinérateur Dickson. Les citoyen·nes mobilisé·es ont aussi réussi à retarder l’arrivée des conteneurs, initiée en mars 2022, en interpellant la Direction régionale de l’environnement. L’entreprise, qui ne détenait pas les autorisations nécessaires pour débuter ses travaux, a été rappelée à l’ordre par le ministère, et est actuellement en attente de l’autorisation qui lui permettra d’entamer le déménagement de ses activités dans Hochelaga-Maisonneuve.
Pour la justice environnementale
Les militant·es de Mobilisation 6600 Parc-nature MHM n’ont pas dit leur dernier mot. Le travail d’éducation et de mobilisation se poursuit actuellement par l’organisation de conférences, de projections de films militants, de visites du terrain pour les groupes scolaires et universitaires, et d’une tournée des associations étudiantes sur les enjeux de la mobilisation. Mobilisation 6600 présentera par ailleurs son projet de Parc-nature dans le cadre des activités entourant la COP15 à Montréal et les militant·es se tiennent prêt·es à accueillir les conteneurs dans le cas où l’entreprise recevrait ses autorisations.
La bataille menée par Mobilisation 6600 est une lutte pour la justice sociale et environnementale. Comme l’affirme la Fondation David Suzuki, les quartiers et les populations historiquement défavorisés sur les plans économique et social subissent plus souvent les nuisances de projets industriels qui ne verraient jamais le jour dans des quartiers comme Westmount ou Outremont. Pourtant, les impacts du bruit sur la santé des populations sont bien documentés et ceux des îlots de chaleur peuvent être fatals pour les populations à risque. La santé et la vie des personnes d’Hochelaga ou de Mercier-Est valent-elles moins que celles des personnes vivant dans des quartiers plus riches ? Valent-elles moins que les éventuels profits d’une entreprise déjà millionnaire ?
Le modèle de développement qui sous-tend le projet de RML est insoutenable sur les plans environnemental et social. À l’heure des bouleversements climatiques, nous nous devons de réduire le transport lié au commerce international, de miser sur l’agriculture de proximité et l’autonomie alimentaire des villes et des quartiers, sur le logement social et la densification urbaine, sur la décontamination des sites industriels et la préservation de tous les espaces verts. Nous ne pouvons plus nous permettre, en 2022, de couper des arbres pour asphalter des terrains où stationner des conteneurs.
Mobilisation 6600 Parc-nature MHM milite pour que les espaces en friche d’Hochelaga reviennent à la communauté, pour qu’ils deviennent un lieu où se retrouver et imaginer de nouvelles manières d’habiter la ville et d’aménager nos quartiers. Les militant·es sont déterminé·es et confiant·es : ils et elles savent que de la résistance émerge les plus belles floraisons.