Dossier : Municipales 2021. Une autre ville est possible
Être élue progressiste au municipal
À bâbord ! s’est entretenu avec Elsa Moulin et Sophie Thiébaut, deux femmes qui ont décidé de se présenter comme conseillère dans leur ville. Elles se sont engagées en politique municipale avec un fort désir de changer les façons de faire de leur collectivité. Propos recueillis par Valérie Beauchamp
Aux prochaines élections municipales, Elsa Moulin se présentera pour la première fois comme conseillère indépendante dans la ville d’Alma, plus précisément dans le district Melançon. Il s’agit pour elle d’une continuité dans ses différentes implications politiques. Elsa Moulin a longtemps été impliquée dans le mouvement communautaire, notamment dans la fondation du Collectif des femmes immigrantes Saguenay–Lac-Saint-Jean et dans Alma en transition.
Sophie Thiébaut est conseillère municipale pour Projet Montréal dans l’arrondissement du Sud-Ouest depuis 2009. Elle a décidé de ne pas se présenter aux prochaines élections pour poursuivre d’autres projets, mais garde une vision très positive de ces douze années d’implication à ce palier politique. Avant de se présenter pour Projet Montréal, Sophie Thiébaut était travailleuse communautaire et son passage à la politique représente aussi pour elle une façon de poursuivre les luttes dans lesquelles elle était déjà impliquée.
Nous avons discuté avec elles des enjeux que représente le fait d’être une élue progressiste au municipal, ainsi que des impacts concrets qu’il est possible de créer à ce palier politique, notamment sur le plan environnemental. Sur ce point, toutes deux appuient la déclaration du réseau Vague écologiste au municipal.
Le défi de la communication
L’une des principales difficultés rencontrées par les deux femmes est de véhiculer un discours porteur de changements qui ne brusquera pas les électeur·trice·s. Pour elles, il convient d’apporter des idées fortes dans les débats municipaux, mais de le faire d’une manière rassembleuse. Comme l’exprime Sophie Thiébaut : « Quand tu parles trop radicalement aux gens, ils se braquent. C’est vrai qu’il faut savoir amener les gens aux changements. On aurait un parti vraiment progressiste qui proposerait des changements draconiens, je crois qu’il ne serait pas élu. Je crois que ça nous prend des politiciens qui nous proposent une vision et des engagements qui ont de l’allure, qui seront portés concrètement dans un plan d’action, mais c’est vrai qu’il y a quelque chose à faire dans la façon de présenter les choses. Il faut rassurer et avoir du tact. » Pour Elsa Moulin, bousculer les idées préconçues sans tomber dans la confrontation peut être un équilibre difficile à atteindre, surtout en ce qui a trait à la transition écologique, qui nécessitera des changements importants dans nos habitudes quotidiennes. « Ça peut être un discours qui fait peur. » Cela demande aussi d’adapter son langage au public pour vulgariser les choix de société qui sont proposés dans les programmes politiques. Pour les deux femmes, la lenteur des changements amenés peut aussi apparaître comme un obstacle à l’engagement en politique municipale.
Les possibilités pour la transition écologique
La question de l’environnement prend beaucoup de place dans le discours des deux femmes. Pour elles, plusieurs actions pertinentes peuvent être envisagées au niveau municipal, bien qu’elles reconnaissent que des lois et des programmes ambitieux aux paliers supérieurs sont tout aussi nécessaires. Pour Sophie Thiébaut, le principal avantage qu’offre le municipal est la proximité des élu·e·s aux citoyen·ne·s, qui facilite l’explication et la vulgarisation des choix politiques. « La rapidité de l’action et du changement dans notre quotidien devrait être tellement rapide », souligne-t-elle. « C’est plus facile au niveau local de rassurer les gens sur l’impact des changements apportés dans leur quartier pour lutter contre l’urgence climatique. Oui, bien sûr, il faudrait des lois fortes au niveau fédéral pour vraiment avoir un impact global, mais si on a déjà sensibilisé les gens au niveau local, les changements proposés seront mieux acceptés. »
Tout un ensemble de responsabilités échoit au municipal et, pour les deux femmes, il s’agit d’autant d’occasions à saisir pour une réelle transition écologique : gestion de l’eau, réduction de l’étalement urbain et du déboisement des territoires, encadrement des nouvelles constructions, verdissement, etc. Avoir un impact environnemental réel à travers les responsabilités municipales a d’ailleurs été l’une de leurs motivations à se présenter aux élections.
Ce qu’il est possible d’accomplir au municipal ne tient pas seulement aux élu·e·s, mais aussi au soutien que l’administration d’une ville peut offrir à ses citoyen·ne·s dans leurs propres initiatives pour lutter contre les changements climatiques. Comme l’exprime Sophie Thiébaut : « Il est vraiment possible de travailler à la réduction des gaz à effet de serre et à l’adaptation du territoire au niveau municipal. Il faut pouvoir arriver à former des collectivités résilientes et cela doit passer par le local, à petite échelle. Au niveau municipal, il est possible d’appuyer et de soutenir ce type de collectivités, par exemple en fournissant des ressources matérielles comme des locaux pour se rencontrer, des ressources humaines pour organiser les actions, ou encore des programmes de soutien aux initiatives citoyennes. »
Les deux femmes sont d’accord sur le fait que la proximité offerte par le palier municipal permet une meilleure communication avec les citoyen·ne·s. Comme l’exprime Elsa Moulin, « l’échelle est plus petite, ce qui [favorise] proximité et échanges directs entre le politique et les collectivités et les groupes citoyens. Aussi, cela donne une meilleure compréhension des enjeux, car on a une meilleure connaissance du terrain. » Pour Sophie Thiébaut, « c’est majeur, tous les changements qu’on peut faire, car on peut directement agir sur le quotidien des gens, et le faire avec les gens. […] On est plus enclins à participer à notre vie locale qu’au niveau national. »
L’importance de la participation citoyenne
La possibilité de soutenir les citoyen·ne·s et d’être à leur écoute représente donc pour ces deux femmes un moteur essentiel du changement social qu’il est possible de réaliser à l’échelle municipale. Cela dépasse toutefois le simple exercice de consultation qui est bien souvent utilisé pour légitimer des décisions déjà prises, mais qui est loin d’un exercice démocratique où les populations ont réellement leur mot à dire sur la problématique à l’étude. « Je ne veux pas que la participation soit seulement une consultation publique », lance Sophie Thiébaut. « La participation citoyenne, pour moi, ce sont les citoyens qui se rassemblent, qui décident collectivement ce qu’ils ont à exprimer et qui assurent eux-mêmes leur représentation, qui peut prendre différentes formes. Après, c’est le rôle du conseiller de prendre en considération cette parole et de poser des gestes concrets pour y répondre. »
Ainsi, il est possible de développer des outils pour favoriser la démocratie participative au municipal, ce qui permettrait un travail de fond pour développer une vision de la ville ou du village en collaboration avec les citoyen·ne·s. Sur ce point, il n’est pas anodin que les deux femmes viennent du milieu communautaire, où l’implication des membres dans le fonctionnement des organismes est d’une importance centrale. Pour elles, il y a beaucoup à apprendre des pratiques démocratiques en place dans ces milieux, en vue du développement d’une démocratie réellement participative au municipal.