Dossier : Municipales 2021 - (…)

Dossier : Municipales 2021. Une autre ville est possible

Démocratie municipale : si près, et pourtant si loin

Laurence Bherer

Les municipalités sont souvent présentées comme des « gouvernements de proximité », proches de la réalité quotidienne des Québécois·e·s. Pourtant, leur fonctionnement demeure peu connu. Voici quelques repères.

L’élection qui aura lieu le 7 novembre prochain permettra d’élire les membres du conseil municipal des 1 100 municipalités du Québec. Les citoyen·ne·s les plus curieux des enjeux locaux auront toutefois remarqué que la municipalité n’est pas la seule institution locale. Selon que l’on réside en milieu rural ou urbain, on parlera aussi de municipalités régionales de comté (MRC), de conseils d’arrondissement, de structures intermunicipales volontaires, de conseils d’agglomération ou encore de communautés métropolitaines.

Rassurez-vous, le Québec n’a pas un problème de « structurite ». Dans la plupart des pays, le niveau local se caractérise par une superposition d’institutions et de microéchelons. Le besoin de coordonner au plus près des actions exige à la fois des organisations très localisées (comme les arrondissements), mais aussi des institutions qualifiées de supramunicipales (comme les MRC ou les communautés métropolitaines).

L’unité politique municipale fondamentale demeure toutefois la municipalité, puisque ce sont les représentant·e·s municipaux·ales qui, une fois élu·e·s à cette échelle, vont ensuite siéger aux échelons infralocal ou supramunicipal. Il existe toutefois des exceptions à ce principe de représentation indirecte : les préfet·ète·s de 17 des 87 MRC sont élu·e·s au suffrage universel direct, de même que les 18 maire·sse·s d’arrondissement et les 38 conseiller·ère·s d’arrondissement de la Ville de Montréal.

Pourquoi des partis politiques locaux ?

Une autre caractéristique importante de la démocratie municipale au Québec est la présence de partis politiques exclusivement locaux (sans lien avec les partis des paliers politiques supérieurs, contrairement à ce qu’on trouve dans la plupart des pays européens). Il s’agit là d’une exception bien québécoise (il n’existe pas de partis locaux dans les autres provinces canadiennes), mais qui a des fondements politiques bien établis.

Les partis politiques locaux ont été autorisés formellement en 1978. L’objectif était de répliquer à l’échelle locale le système parlementaire en favorisant la présence d’un parti majoritaire et d’une opposition qui pourraient publiquement discuter d’enjeux locaux et ainsi dynamiser la démocratie municipale.

Les partis politiques locaux permettent également de rendre plus clairs les clivages politiques locaux et de montrer les allégeances existantes entre les candidat·e·s en lice. La mise en commun des ressources financières et organisationnelles au moment des campagnes électorales permet également de diversifier le profil des candidat·e·s.

À cet égard, les règles de financement ont été resserrées depuis les scandales de corruption au tournant des années 2010, mais demeurent favorables aux partis politiques : si les partis politiques comme les candidat·e·s indépendant·e·s peuvent recevoir des dons de 100 $ à 200 $ (en plus d’une contribution de 800 $ qui peut provenir des poches d’un candidat), peu importe la taille de la population, seuls les partis politiques peuvent recevoir une allocation annuelle s’ils ont obtenu au moins 1 % du vote lors des élections générales précédentes. Le montant varie en fonction du nombre de voix reçues. L’allocation annuelle existe pour les partis politiques des municipalités de plus de 20 000 habitant·e·s. Les partis politiques sont autorisés dans les municipalités entre 5 000 et 20 000 habitant·e·s, mais sans allocation annuelle, tandis que dans les municipalités de moins de 5000 habitant·e·s, s eul·e·s les candidat·e·s indépendant·e·s (en équipe ou pas) peuvent se présenter. Dans ces deux dernières catégories de municipalités, le financement politique s’appuie donc seulement sur les dons des individus et les contributions des candidat·e·s.

Malgré les avantages consentis aux partis locaux, ils sont peu pérennes. Ce sont bien souvent des organisations créées pour les campagnes électorales autour d’un candidat à la mairie et leur programme politique est rarement manifeste.

Beaucoup d’élu·e·s

Pourquoi le conseil de ville de Montréal est-il composé de 65 élu·e·s, alors que Toronto en compte 45 et Los Angeles, 16 ? Voici une question qui revient épisodiquement dans le débat public.

Toujours dans l’idée de reproduire la démocratie parlementaire, il semblait important pour le législateur de favoriser l’ancrage local en instituant des districts électoraux de petite taille, ce qui amène tout naturellement à augmenter le nombre d’élu·e·s. Par exemple, à Montréal, le nombre moyen d’électeur·trice·s par district est de 24 900, alors qu’à Toronto, il est de 55 600.

Dans la même veine, le conseil municipal doit compter un nombre suffisant d’élu·e·s pour créer une dynamique intéressante entre la majorité et l’opposition. Le principe de loyauté partisane et un nombre d’élu·e·s suffisant pour maintenir des groupes politiques intéressants permettraient d’assurer la bonne délibération du conseil municipal.

Notons toutefois que l’élection directe du maire ou de la mairesse demeure une entorse au modèle de la démocratie parlementaire (aux paliers supérieurs, le premier ministre l’emporte plutôt car son parti obtient une majorité de sièges), ce qui fait que le système municipal québécois est qualifié de régime « semi-présidentiel ». Le maire ou la mairesse y a un pouvoir très important, notamment de nomination. Par comparaison avec la mairesse de Montréal, le maire de Toronto n’est pas aussi fort et doit constamment négocier avec son conseil municipal.

Une participation électorale faible

La participation aux élections municipales demeure faible, comme le montre la moyenne du taux de participation des dernières élections municipales générales : 44,8 % (2017), 47,2 % (2013), 44,8 % (2009), 44,5 % (2005). Cette situation viendrait de la faible lisibilité et visibilité des enjeux municipaux. Non seulement l’actualité municipale est peu couverte, mais les valeurs politiques qui y sont peu véhiculées sont aussi peu repérables. Les enjeux sont souvent présentés comme techniques et peu politiques. Bref, il est particulièrement complexe de bien s’informer sur les questions municipales.

Les données montrent que la participation électorale est plus importante dans les municipalités de petite taille, sans doute parce que les électeur·trice·s de ces villes ont davantage le sentiment que leur vote a de l’influence que les électeur·trice·s d’un grand centre urbain.

Toutefois, les plus petites municipalités sont aussi celles où on vote le moins, faute de candidat·e·s en nombre suffisant pour justifier la compétition électorale : dans les municipalités de moins de 2 000 habitant·e·s, 24,4 % des conseils municipaux formés en 2017 étaient composés entièrement de personnes élues sans opposition.

Il faut dire que le potentiel de candidat·e·s est moins élevé que dans une grande municipalité : pour assurer une élection à chacun des 7 postes à pourvoir dans une municipalité de 1 000 habitant·e·s (dont environ la moitié sont des électeur·trice·s) on a besoin de 14 candidat·e·s, ce qui donne un ratio de 36 personnes éligibles par poste. Par comparaison, à Montréal, ce ratio est d’environ 5 000 pour chacun des 105 postes à combler.

La société civile et les élections

Quelle place y a-t-il pour la société civile et les citoyen·ne·s dans les élections, dans un contexte où l’information et le désintérêt sont importants ? Il existe, dans plusieurs régions du Québec, plusieurs initiatives de groupes locaux ou nationaux qui « forcent » en quelque sorte les partis et les candidat·e·s à se prononcer sur divers enjeux. Ils envoient aux candidat·e·s des questionnaires qui permettent à ces dernier·ère·s de préciser leurs engagements sur différentes thématiques. Ces questionnaires sont ensuite rendus publics. Les groupes écologistes sont souvent les initiateurs de ces outils (car les compétences municipales touchent plusieurs enjeux environnementaux), mais on retrouve aussi la Ligue d’action civique (sur les enjeux de transparence et de corruption) et des groupes spécifiques à chaque région. Dans la même veine, le réseau Vague écologiste au municipal ou encore plusieurs groupes féministes aident les candidat·e·s à se lancer en politique et à construire un programme politique plus engageant.

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