Municipales 2021 : abstention et déficit de démocratie
Dans Le Devoir du 9 novembre, l’éditorialiste, madame Marie-Andrée Chouinard, soulignait que le taux de participation à l’élection municipale « avoisinerait à peine les 30 % ». Elle note aussi que « la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, martèle que le Québec est mûr pour le vote électronique. C’est une piste qui permettrait de renforcer la démocratie ». En d’autres termes, la solution à la faible participation trouverait une réponse, selon la ministre, dans la technologie. J’en doute. La recherche de solution à ce problème profond se trouve plutôt ailleurs.
Dans plusieurs villes et villages, la campagne électorale, comme à chaque élection municipale, fut basée sur des listes des réalisations en cours (circulation, voirie, jeux d’eau dans un parc, etc.). Au lendemain de l’élection, on déplore, comme toujours, la participation famélique de citoyens et des citoyennes lors du vote. Une réflexion rigoureuse s’impose. Il faudrait un coup de pied dans la fourmilière de l’exercice de la démocratie municipale afin de remettre en question les pratiques habituelles afin de pouvoir la réinventer. Il s’agit de la repenser et de la dynamiser car la question revient sans cesse dans l’actualité : pourquoi les contribuables ne s’intéressent-ils pas à la gestion de leurs taxes ? Pourquoi une si faible participation à la vie citoyenne et démocratique de leur municipalité, leur milieu de vie ?
De la faiblesse des campagnes électorales
Lors d’une campagne électorale, les débats restent souvent embourbés dans le jeu des promesses pragmatiques (désengorgement du réseau routier, amélioration des rues, etc.) alors que tout cela fait partie de la responsabilité « normale » d’un conseil municipal. Il n’y a rien de très mobilisateur dans de telles annonces.
Sauf exception, les campagnes électorales tournent à vide avec une banalité déconcertante traduite en des expressions accrocheuses (travailler ensemble, notre priorité est l’écoute des citoyen.e.s, etc.). Dans un fatras de promesses, on cherche trop souvent l’ABC d’une vision pour répondre aux besoins et enjeux cruciaux de l’heure. Il est difficile de saisir la dynamique et le contenu véritable d’une campagne électorale municipale parce qu’en général il n’y a pas de partis politiques municipaux qui peuvent avancer des politiques, des programmes d’action et susciter des débats, des polémiques et/ou des controverses [1]. De fait, la plupart des campagnes électorales sont basées sur des individus riches d’une bonne volonté, mais souvent sans ressources financières et sans équipe de travail pour promouvoir des idées novatrices sur les enjeux du futur d’une municipalité. Leur programme se limite alors trop souvent à des slogans qui reflètent une présentation générale basée sur leur personnalité : dévoué, déterminé.e, compétent.e, transparent.e., dynamique, à l’écoute, etc.
À ces difficultés, s’ajoute le fait que les municipalités n’ont pratiquement aucun pouvoir d’intervention sur certaines des questions qui touchent les gens de près : services de santé, services de garde, services aux personnes âgées, etc.. Par contre, à leur niveau, elles peuvent agir sur quelques enjeux majeurs comme l’environnement, les changements climatiques, la promotion des transports publics, les pratiques environnementales (recyclage, compostage, traitement des résidus domestiques et industriels, le développement des arts, le développement agricole, l’urbanisme et l’étalement urbain, l’autosuffisance alimentaire, etc.
Ne pas attendre les élections pour renforcer la participation démocratique
De multiples questions s’imposent au sujet de la démocratie municipale : quelle place pour la participation citoyenne dans un contexte de désintérêt grandissant ? Comment peut-on dépasser les préoccupations immédiates et pragmatiques pour dynamiser une ville ? Comment faire preuve d’audace et proposer des objectifs et des stratégies dignes de changements mobilisateurs ?
Dans le système actuel, on réduit la démocratie municipale à la participation aux élections. Entre les périodes électorales, bien peu de gens suivent la dynamique de la gestion de leur municipalité. Les rares individus qui se présentent à une séance d’un conseil municipal se découragent souvent rapidement, car les propositions et les décisions sont décidées en coulisse, bien avant la réunion de leur conseil. Les questions venues de la salle sont plutôt rares et reçoivent souvent des réponses toutes faites ou bien elles sont jugées vite inacceptables si elles remettent en question les positions du conseil municipal.
Devant cette abstention quasi généralisée, comment peut-on envisager de nouvelles avenues pour créer les conditions d’exercice de la démocratie municipale ? De multiples hypothèses peuvent être envisagées, même des farfelues. Dans certains pays, la mobilisation citoyenne sur la scène municipale semble plus dynamisée qu’au Canada, car des partis politiques provinciaux ou nationaux, selon les situations propres à chaque pays et à chaque région, peuvent participer à la vie démocratique municipale ? Qu’arriverait-il si les partis provinciaux s’impliquaient formellement sur la scène municipale ? Faudrait-il en arriver à ce que les individus qui se présentent le fassent obligatoirement sous la bannière d’un parti municipal actif lors des élections, mais aussi ENTRE les campagnes électorales, avant de bénéficier de ressources et du partage de différentes perspectives ? Faudrait-il que villes et villages soient obligés d’établir des mécanismes permanents de communication et de participation citoyenne pour faciliter la transparence et l’appropriation des réflexions sur l’avenir de la municipalité par les citoyens et les citoyennes ? Pourquoi les conseils municipaux ne pourraient pas instaurer des stratégies de mobilisation citoyenne ?
Place à l’audace !
Place au dépassement de vieilles pratiques électorales basées sur les réalisations matérielles passées et à venir et sur les concours de popularité des candidat·e·s. Des changements urgents sont nécessaires, sinon la démocratie municipale va continuer à s’enfoncer dans une dérive de gestion à la petite semaine. Actuellement, le déficit démocratique se creuse toujours davantage, car les citoyens et les citoyennes n’ont pratiquement plus leur mot à dire sur les enjeux qui les concernent dans leur milieu de vie, au quotidien, sauf voter une fois aux quatre ans. L’exercice de la démocratie, c’est beaucoup plus que voter à une date déterminée.
[1] Les partis ne sont d’ailleurs même pas autorisés dans les villes de moins de 5000 habitant·e·s.