Michel Garneau ou le pari du bonheur

No 090 - décembre 2021

Culture

Michel Garneau ou le pari du bonheur

Claude Vaillancourt

Il n’est pas facile de rendre hommage à un poète tel que Michel Garneau, décédé en septembre dernier. Comment écrire sur lui sans avoir l’impression que nos mots ne seront jamais à la hauteur des siens ? Comment évoquer une vie qu’il a lui-même si bien décrite dans un nombre incalculable de poèmes ?

Michel Garneau a laissé une trace indélébile de son histoire dans son Choix de poèmes  [1] , publié en 2019, qu’il a qualifié d’ « anthologie personnelle » . C’est que Garneau écrivait comme il respirait un grand journal intime sous forme de poèmes, qui suivaient pas à pas les aléas de son existence et les méandres de sa pensée.

Était-ce en fait de la poésie qu’il écrivait, ou plutôt une « langue Garneau » qu’on retrouve aussi dans son théâtre ou même dans les lettres envoyées à ses amis ? Une écriture en vers libre, pleine de fantaisie et de rapprochements surprenants, mélangeant les niveaux de langue, poétique sans doute, mais portée par une grande singularité, quelque chose entre une pure narration et une conception plus attendue de la poésie.

Une quête difficile

Dans son Choix de poèmes, on découvre un nouveau visage de Garneau, à travers de nombreux textes inédits. Il nous a habitués, dans toute son œuvre, à sa posture d’homme qui s’acharne à être heureux envers et contre toutes les saloperies de la vie. Il estimait en effet qu’on peut trouver assez de substance dans nos existences pour se satisfaire : humour, sensualité, beauté, érotisme, heureuse nostalgie, leçons de morale – parfois d’ailleurs amorales –, et cela, en quantité suffisante pour se réjouir et remplir des pages de poésie. Dans cette quête, il y avait cependant une menace constante de tout perdre, qui donnait une profondeur à ces écrits .

Vers la fin de son existence, Garneau a craqué. Miné par une longue maladie, cloué au lit, avec la mort qui approchait à grands pas, il a vu sa vie retournée contre lui et il lui devenait de plus en plus difficile d’y trouver de quoi se satisfaire. Une force de la nature terrassée… Ce qui a valu à son public des poèmes d’une grande tristesse, qui détonnent dans l’ensemble de son œuvre.

Par-delà la poésie

Je retiens aussi de l’œuvre de Garneau sa pièce de théâtre Les guerriers, l’une des meilleures de tout le répertoire québécois, à mon avis. À travers l’histoire de deux publicitaires recherchant un slogan pour l’armée canadienne, le dramaturge propose une œuvre d’une extraordinaire richesse thématique. Garneau dénonce, avec une férocité jouissive, tant l’industrie de la guerre que les basses stratégies de la publicité et l’abrutissement collectif qu’elle nourrit, les deux entreprises reposant sur un immense cynisme. Arrêté et emprisonné pendant la Crise d’octobre 1970, Garneau avait développé depuis un sentiment de révolte qui s’exprime dans cette pièce mieux que partout ailleurs dans son œuvre.

Garneau a de plus imposé sa marque comme traducteur. Il a notamment traduit l’œuvre de son ami Leonard Cohen, la rendant accessible à un large public francophone. Mais il a surtout traduit Shakespeare, dont il a su recueillir la sève, dans une langue québécoise rude, chargée d’archaïsmes, trouvant une surprenante équivalence avec celle du dramaturge anglais. Ce pari a subjugué de nombreux amateurs de théâtre. En descendant le dramaturge de son piédestal, Garneau a ranimé le vieux maître, l’a rendu plus vif que jamais, tout en lui conservant son âpreté et sa vérité.

Il faut retenir de l’œuvre de Garneau une belle luminosité, des textes ensoleillés, sans naïveté ou mièvrerie, une poésie qui coule comme de l’eau de source, sans complications, d’une lecture facilitée par une grande fluidité, à l’image d’un homme attachant qui se livre avec franchise que voile à peine le fait d’avoir abondamment puisé dans l’arsenal du langage poétique. Tout ceci est assez exceptionnel. Celles et ceux qui sont sensibles à ces particularités devront revenir régulièrement à Garneau, dont on ne trouvera jamais d’équivalent.


[1Choix de poèmes (pas trop longs), Montréal, L’Oie de Cravan, 2019, 400 p.

Thèmes de recherche Littérature, Arts et culture
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