La puissance féministe, ou le désir de tout changer

No 090 - décembre 2021

Verónica Gago

La puissance féministe, ou le désir de tout changer

Isabelle Larrivée

Verónica Gago, La puissance féministe, ou le désir de tout changer, Rue Dorion, 2021, 341 pages. Préface de Sylvia Federici, Épilogue de Collages féminicides Montréal.

Territoire de grands conflits sociaux, l’Amérique latine est aussi le lieu de grandes luttes féministes. L’Argentine Verónica Gago, importante figure du féminisme latino-américain et du mouvement Ni una menos (Pas une de moins) se propose de brosser le portrait des grèves de femmes [1] dans leur dimension offensive aussi bien que théorique. Dans un manifeste au ton vigoureux, elle montre la capacité du mouvement féministe à saisir à bras le corps les luttes anticapitalistes, anticoloniales et antipatriarcales. Silvia Frederici souligne d’ailleurs, en introduction, cette triple perspective du féminisme latino-américain qui devient, selon elle, la locomotive inclusive de toutes ces luttes qui l’animent et qui lui font prendre la rue et s’organiser.

Le programme féministe tel que présenté par Gago considère la grève sous deux angles. D’abord, celle-ci repose sur une analyse de la condition des femmes. L’auteure montre que le combat contre l’invisibilisation a comme corolaire le combat contre la précarité ainsi qu’une politisation de la souffrance. Ensuite, d’un point de vue pratique, la grève renouvelle la puissance de la lutte féministe en repoussant le stéréotype du gréviste masculin et blanc, et en déplaçant les enjeux sociaux sur les territoires des femmes.

Partant de ce constat, l’argument se déploie à travers les chapitres comme autant de programmes à la fois pratiques et critiques. L’auteure aborde entre autres le rapport entre la violence et l’accumulation capitaliste. Le concept de « corps-territoire » est aussi mis en lien avec les luttes anti-extractivistes. Elle explore ensuite le territoire transversal d’une Internationale féministe. En filigrane, Gago procède à une réappropriation féministe de diverses théories, de Marx à Luxemburg, à la fois dans le discours et dans l’action.

Ainsi, au spectre du communisme, brandi ironiquement par Marx, Gago répond en agitant le spectre du féminisme. La levée de boucliers que suscite la puissance féministe et la contre-offensive des forces réactionnaires ne doivent pas faire oublier leur aspect réactif ni le fait que la lutte féministe les précède. Dans ce sens, il importe de considérer que la lutte des femmes est constituante, qu’elle est une « force d’insubordination ». Mais l’on se doit aussi de comprendre qu’elle représente une menace et une atteinte à l’ordre social et qu’elle aura comme principal ennemi l’Église. Faut-il s’en surprendre ?

En épilogue, le collectif Collages féminicides Montréal, dont l’action consiste à placarder des slogans féministes sur les murs de la ville, explique de quelle manière il s’inscrit aussi dans la reconquête féministe de l’espace et du temps. La démarche de ces femmes vise à s’approprier la rue et la nuit, généralement réservées aux hommes. Ce faisant, le collectif adopte les mots de Gago : « Nous prenons la rue et nous en faisons notre maison ». On ne saurait trouver meilleure synthèse à la grève des femmes telle que Verónica Gago nous la présente et la défend.


[1Voir aussi Marie-Ève Blais, « Grèves de femmes », À bâbord ! no 68, février-mars 2017.

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