Mini-dossier : Droits des enfants

Mini-dossier : Droits des enfants

De la docilité des enfants à l’école

Samuel Nepton

La question des droits des enfants à l’école est une question aussi fondamentale que problématique. La philosophie pour enfants permet de penser ensemble l’éducation et la liberté.

Si tout le monde s’accorde pour reconnaître, tel que l’affirme la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU, que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (art. 3) dans toutes décisions à son égard, que l’enfant a droit à l’éducation (art. 28) et à la préparation à l’exercice de sa citoyenneté (art. 12 et 29), on ne s’entend guère toutefois sur ce en quoi consiste cet « intérêt supérieur » et sur la manière de respecter les différents droits des enfants à l’école.

La conception prédominante à ce sujet stipule que, puisque la vie moderne exige la maîtrise d’une foule de connaissances pour s’adapter à notre société, la meilleure manière de respecter le droit à une éducation de qualité des enfants consisterait à transmettre beaucoup de savoirs en peu de temps : il s’agit d’abord et avant tout de rendre l’école efficace.

Par ailleurs, nous avons tendance à penser que la meilleure façon d’être efficace consiste à confier la gouvernance à ceux qui savent. C’est là précisément l’une des grandes thèses de Platon et de sa République : une cité ne sera parfaitement juste, efficace et heureuse qu’à la seule condition de donner aux philosophes – ceux qui savent – les pleins pouvoirs en matière d’éthique et de politique. Tout autre citoyen·ne leur devrait alors obéissance pour éviter l’inefficacité et le désordre social : cette docilité des gouverné·e·s est ainsi justifiée par leur propre bien, par leur « intérêt supérieur ».

Pour leur bien ?

Nombre de salles de classe fonctionnent, à bien des égards, selon ce même raisonnement. En effet, c’est parce que l’enseignant·e sait comment bien se comporter qu’il ou elle dictera le fonctionnement de la classe. C’est parce que l’enseignant·e sait ce que les enfants doivent apprendre que la parole lui reviendra le plus souvent. S’il faut se taire pour apprendre, il faut donc être docile pour s’éduquer.

Or, cette efficacité de l’école est rendue possible par la restriction d’autres droits des enfants reconnus par la Convention, notamment le droit à la liberté d’expression (art. 12) et à la liberté de participation à la vie collective (art. 13 et 29).

Effectivement, d’une part, le droit de parole des enfants en classe se limite bien souvent au fait de répondre aux questions et aux consignes de l’enseignant·e : leur expression témoigne alors moins de leur réflexion sur ce qui les intéresse que de leur compréhension de ce qu’il leur faut savoir. Même lorsque les enfants sont autorisé·e·s à parler, c’est ultimement sa propre pensée que recherche l’enseignant·e dans leur propos.

D’autre part, le droit de participation des enfants se heurte à la réalité d’un monde scolaire hiérarchique et autoritaire. Du fait qu’ils et elles sont « ignorant·e·s », ils et elles représentent une classe de citoyen·ne·s à part qui doivent suivre docilement les plus intelligent·e·s en attendant de l’être suffisamment pour participer aux décisions politiques et administratives qui les concernent : comme l’écrit Hannah Arendt, ils et elles ne sont que des adultes en devenir qui, pour leur propre bien, doivent d’abord comprendre le monde avant d’oser espérer pouvoir le changer.

Comment, dès lors, parvenir à la fois à concilier la connaissance et l’expérience des adultes à la liberté et aux intérêts des enfants, et ce, tout en respectant intégralement leurs droits ?

L’école de la philosophie

Il y existe, depuis une cinquantaine d’années, une pratique qui, à défaut d’offrir à elle seule une réponse définitive à cette question, permet de faire de la classe un lieu plus respectueux des droits des enfants : c’est la philosophie pour enfants.

La formule de cette approche paraît simple : on commence par présenter aux enfants un déclencheur (fréquemment une histoire) pour leur demander de formuler des questions sur ce qui les y intéresse ou les y dérange, et ce, dans le but de faire dialoguer l’ensemble de la classe pour tenter de répondre à ces questions.

Dès lors, en offrant aux enfants un espace dans lequel leurs pensées n’ont pas à se conformer à celle de l’enseignant·e, la pratique du dialogue philosophique vise à respecter leur liberté d’expression, « [c]e droit [à] la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce » (art. 13) – bref, ce droit des enfants à développer et à exprimer des opinions qui leur sont véritablement propres et qui témoignent de leur individualité.

Qui plus est, lorsqu’on ose donner la parole aux enfants, on se rend bien souvent compte qu’ils peuvent soulever des possibilités surprenantes, voire insoupçonnées. La philosophie pour enfants nous rappelle à la fois à quel point les enfants sont intelligent·e·s lorsqu’on les traite comme tel·le·s et à quel point, au fond, même adultes, nous ne savons pas grand-chose.

La co-recherche de sens

S’il est utopique de penser que toutes les matières peuvent être enseignées à la manière d’un atelier de philosophie pour enfants, cette approche nous démontre néanmoins que pour faire de la salle de classe un lieu plus respectueux des droits des enfants, il importe d’accroître la place de la recherche à l’école. En philosophie pour enfants, l’éducation consiste moins en la transmission unilatérale du monde adulte aux enfants qu’en la transformation du monde des enfants par les enfants. La classe y représente un lieu où les jeunes œuvrent activement et collectivement, guidé·e·s et alimenté·e·s par leur enseignant·e, à apprendre ce qu’il faut savoir et ce qu’ils et elles veulent savoir. Parce que nous croyons qu’éduquer, c’est apprendre comment penser par et pour soi-même, nous mettons les enfants au défi de penser par et pour elles et eux-mêmes.

Ce n’est donc pas un hasard si accorder davantage de place à la recherche en classe revient, en définitive, à faire davantage de place à la démocratie : la crise actuelle de cette dernière peut notamment s’expliquer par le fait que nos écoles n’y préparent pas suffisamment nos jeunes, qu’elle ne leur donne ni l’occasion ni même l’envie d’exercer leur droit de participation à la vie commune. On pense effectivement à tort que pour former des citoyen·ne·s démocratiques, il faut former des individus capables de voter de manière éclairée. Or, la démocratie, comme le soulignait si bien le philosophe John Dewey, c’est beaucoup plus qu’une forme de gouvernement : c’est d’abord une manière de vivre avec les autres. Vivre en démocratie, c’est de s’attaquer collectivement à nos problèmes ; c’est mettre en commun les expériences, les questions, les savoirs, les idées et les essais ; c’est mener la vie commune comme une grande recherche ; c’est permettre à chaque partie, aussi petite soit-elle, de participer à la direction du tout.

En définitive, nos enfants devraient avoir le droit de vivre dans des écoles plus démocratiques : des écoles qui ne refuseraient pas d’emblée leurs droits à s’exprimer sur des sujets et à participer des causes qui les intéressent et les concernent. Les parents le savent pourtant : un enfant veut assister les adultes dans tout ce qu’ils font. Il faut en profiter. Pour préparer nos jeunes à mener la vie difficile qui les attend, acceptons la petite main qu’ils et elles tendent et demandons ce qu’ils et elles croient être leur « intérêt supérieur » : ne les empêchons pas d’essayer, d’apprendre et de se tromper. Considérons moins les enfants comme des adultes en devenir et davantage les adultes comme des enfants d’expérience, mais tout aussi faillibles : nous en serons peut-être plus heureux·ses.

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