Dossier : Sciences engagées
Personne n’écoute la science
Est-ce que la perspective scientifique est suffisante pour comprendre l’hésitation vaccinale et plus largement le complotisme ?
En débutant l’aventure Aiguille sous roche (documentaire diffusé à Télé-Québec), on s’est posé une question : qu’est-ce qui peut bien expliquer ou motiver une personne à ne pas se faire vacciner ? Par bienveillance, pour éviter la condescendance et peut-être par excès de candeur ou de naïveté, on s’est dit que contrairement à l’idée largement répandue, le phénomène ne pouvait s’expliquer uniquement par une question d’éducation ou d’accès à l’information. Pour preuve, je me suis moi-même fait vacciner : deux doses, bientôt trois et je n’ai pourtant ni beaucoup d’éducation (un secondaire 5, un cégep abandonné et un bac universitaire non complété), ni plus ni moins accès à l’information que les autres.
Et prétendre que les gens qui se font vacciner le font après s’être informés de manière rigoureuse nous semblait un peu présomptueux. Qui fait vraiment ses recherches ? Tentez l’expérience, discutez avec une personne dite « pro-vaccin » dans votre entourage. Vous y découvrirez probablement une maitrise ni plus ni moins grande de la science et tout autant d’arguments fallacieux que chez « l’anti-vaccin » moyen. Guy Nantel pourrait très bien aller faire un de ses vox pop dans un centre de vaccination et y trouver autant de gens pas au courant du nom du premier ministre… (François Bourgeault. C’est tu ça ? Désolé, j’ai juste un secondaire 5…)
La science ne nous dit pas que la COVID est dangereuse
La science nous fournit des données, des chiffres, des statistiques, mais elle ne nous donne rarement, voire jamais la conclusion qu’on doit en tirer ou l’interprétation qu’on doit en faire. Ce que la science nous dit, c’est que le coronavirus a un taux de mortalité X, un taux de reproduction Y et blablabla. S’agit-il de taux élevés ? Graves ? Catastrophiques ? Banals ? La plupart des scientifiques ne s’avanceront pas sur le qualificatif à donner à ces taux. Les médias, quant à eux, feront rarement preuve de la même réserve… Mon point : il y a ici place à interprétation.
Si, personnellement, je juge qu’un passeport vaccinal est justifié et justifiable, d’autres peuvent avoir une vision différente de la chose. Pas nécessairement parce qu’ils n’écoutent pas la science. Il se peut que si, moi, je mets l’accent sur les décès, d’autres puissent regarder du côté des faillites, des divorces, de la détresse psychologique ou encore de l’économie. Certains accordent plus de valeur à un restaurateur de 40 ans malheureux qu’à un petit vieux de 75 ans à qui on enlève deux ou trois années de vie. On peut bien être en profond désaccord avec ça. Je cherche juste à dire qu’il ne s’agit pas toujours d’une situation où un groupe écoute la science et l’autre, non.
(En passant, on s’apprête à vacciner pour une troisième fois les gens en Occident pendant que les Africain·e·s attendent leur première dose, alors accorder plus de valeur à certains qu’à d’autres, on connait…)
Bannir le ketchup !
On dépense chaque année des milliards en mesures de sécurité pour se donner l’impression de prévenir des attentats terroristes. La science nous dit qu’on a moins de risques de mourir d’un attentat terroriste que d’être frappé par un éclair. Pourtant, le golf n’est pas vu comme un sport risqué, mais recevoir des immigrant·e·s de certaines régions du monde est aujourd’hui perçu comme l’une des plus grandes menaces. Les décisions de nos politiciens sont très rarement basées ou motivées par la science.
Ce n’est pas plus le cas de nos décisions individuelles. Nos affects, nos valeurs, nos croyances influencent beaucoup plus nos vies que les grilles Excel ou les dernières études parues dans The Lancet. On prend tou·te·s régulièrement des décisions irrationnelles sans pourtant subir les foudres (pou-doum-tish !) de la population et des médias.
Je lisais un jour qu’on pourrait sauver annuellement 14 000 vies au Canada uniquement en diminuant notre consommation de sodium de 10 %. Pensez-y, 14 000 vies ! Juste en interdisant le ketchup ! Ce n’est pourtant dans le programme d’aucun parti.
Quand j’observe certains membres ou groupes de notre société agir de manière irrationnelle à mes yeux, j’essaie de me rappeler que, moi aussi, il m’arrive d’agir de manière irrationnelle, même si, parfois, il s’agit de décisions et d’actions ayant de moins grandes conséquences. (Je suis doublement vacciné, mais je mets du ketchup sur mes frites. Je vis dangereusement !)
Ils ne sont pas (nécessairement) idiots
Il y a une différence entre ne pas croire la science et se foutre des conséquences. Dans la plupart des cas, je crois qu’on est face au deuxième scénario. La majorité des gens qui fument la cigarette savent que c’est dangereux, mauvais pour la santé. Ils ne remettent pas ça en question. Ils s’en foutent, c’est différent (on les remercie pour le stade olympique, ça a été pratique pour la vaccination dans la dernière année !).
Répéter sans cesse ce que la science nous dit sur tel ou tel sujet, c’est comme répéter une recette de sauce à spaghetti à quelqu’un qui n’a aucune intention d’en manger pour souper. On perd notre temps.
Brûler ou non des tours de 5G ?
Dans le cadre de la série documentaire Louis T veut savoir (diffusée à Savoir Média), on s’est demandé : la 5G, est-ce dangereux ou pas ? La personne qui travaille à concevoir des objets connectés me dit que ce n’est pas à elle de trancher, pas son domaine. Du côté de ceux et celles qui ont aidé à développer la technologie, on semble n’avoir d’yeux que pour le progrès, une sorte de vision tunnel, donc on n’est pas intéressé à discuter de ça non plus. Chez Industrie Canada, responsable de légiférer sur tout ça, on nous dit que tout va bien… en se fiant sur des chiffres qui proviennent des compagnies qui cherchent à vendre la 5G.
Les seuils et normes pour ce qui a trait aux ondes électromagnétiques ne sont pas les mêmes en Europe, au Canada ou aux États-Unis. Pourquoi ? La science devrait pourtant être la même aux quatre coins de notre belle planète plate. Non ?
Alors dangereux ou pas la 5 G ? Aucune idée. Et c’est comme ça qu’on a terminé l’épisode. Peut-être. Peut-être pas. C’est probablement comme le sel, une question de dosage. (Des frites connectées ? C’est peut-être exagéré.)
Humilité et modestie
Il y a la Science avec un grand S, il y a les scientifiques, il y a les médias, aussi, avec un petit m ou un grand M, il y a ceux et celles qui interprètent la science, qui en font la promotion… ou qui l’instrumentalisent. Il y a aussi des humains, avec des émotions, des expériences, des bagages, des outils différents les uns des autres.
Et ce qui me semble manquer cruellement en ce moment, c’est de l’écoute. Si j’aimerais, à titre personnel, qu’on écoute plus la science, je pense qu’il faudrait aussi que la science, ou ceux qui s’en réclament, écoutent plus les gens.