Splendeurs et misères des sciences

No 091 - Printemps 2022

Sciences et pandémie

Splendeurs et misères des sciences

Entrevue avec Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

Isabelle Bouchard, Rémi Quirion

Alors que font rage les débats sur les vertus et les limites de la science, À bâbord ! a souhaité discuter avec Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec. Quels rapports établit-il entre les sciences, les médias, le pouvoir, l’accessibilité et la recherche ?

Propos recueillis par Isabelle Bouchard.

À bâbord !  : Pouvons-nous être satisfait·es du traitement que les médias québécois réservent à l’activité scientifique ?

Rémi Quirion : Globalement, le Québec est assez favorisé quant à la couverture médiatique scientifique. Le fait français semble nous protéger jusqu’à un certain point. Dans le reste du Canada, il y a moins de journalistes scientifiques et les médias importent des informations des États-Unis sans se soucier de les mettre en contexte.

Il faut reconnaitre que, pour la science, il y a eu de bons côtés à la pandémie. Un de ceux-ci réside dans la mise à l’avant-scène de la science. J’espère que cette tendance est là pour rester ! Cependant, les scientifiques et les médecins qui font des sorties publiques sont malheureusement parfois victimes de messages haineux. J’estime toutefois que le public québécois est généralement intéressé par la chose scientifique. D’ailleurs, on constate dans les inscriptions aux universités que la pandémie a aussi réussi à stimuler de nouvelles vocations scientifiques !

Nous devons mieux outiller et soutenir les scientifiques qui souhaitent intervenir davantage dans les médias. Cette activité n’est malheureusement pas reconnue à sa juste valeur chez les universitaires. Pour corriger la situation, certains programmes de subvention tiennent maintenant compte dans leurs critères d’attribution de cette participation citoyenne des scientifiques. Pour que cela ait l’effet désiré, il faut que le monde académique emboîte le pas. Par exemple, certaines universités mettent en place des programmes de formation axés sur la communication scientifique.

ÀB !  : Les personnes chargées de cours des universités du Québec sont systématiquement exclues de la recherche. Est-ce que cela nous prive des contributions de potentiel·les chercheuses et chercheurs ?

R. Q. : Au mois de novembre, je les ai rencontré·es et je vais les revoir prochainement. Le message que je véhicule auprès des autorités, c’est qu’on ne doit laisser personne en arrière. Ce principe doit s’appliquer aux personnes chargées de cours. Il faut voir comment tenir compte de leurs situations. Est-ce que l’on pourrait créer dans nos fonds de recherche certains programmes qui leur seraient dédiés ? Il y a quelque chose à faire pour maximiser l’utilisation de tous les cerveaux, ce que l’on ne fait pas actuellement dans leur cas. J’espère que l’on va trouver une façon de faire qui soit gagnant-gagnant.

ÀB !  : Est-ce que la pandémie a contribué à produire un effet de mode en privilégiant les domaines de recherche qui lui sont liés ?

R. Q. : Oui, la pandémie a mis en lumière la nécessité de faire de la recherche sur les vaccins, par exemple. Mais pour ma part, je tiens à ce que l’on continue de financer des projets en recherche fondamentale, et ce, dans tous les secteurs. Les effets de mode en recherche sont inévitables, mais il ne faut pas concentrer nos projets sur ces modes. Pour éviter les effets pervers de la pandémie sur la recherche, nous avons prolongé d’une année les bourses et les subventions de recherche que nous avions déjà accordées. Les impacts de la pandémie sur la qualité de vie des chercheur·euses ont été dramatiques, notamment pour les femmes. Il fallait en tenir compte. Nous pensons poursuivre cette pratique encore trois ans même si la pression à financer uniquement des sujets en lien avec la pandémie est très forte.

Les sciences sociales et les sciences humaines devraient être davantage promues et financées. Les personnes de ces secteurs devraient être aussi à l’avant-scène. Dans les faits, des vaccins ont été trouvés, mais actuellement nous avons besoin de mieux comprendre la société elle-même. Des expertes et experts en ces matières devraient participer aux tables de concertation. Nous devrions aussi les inclure beaucoup plus tôt dans les réflexions. Par exemple, les problèmes de santé mentale sont manifestes et il manque d’expertise au-delà du domaine médical. J’ai toutefois l’impression que les autorités politiques sont plus sensibles à l’importance de l’innovation sociale qu’apportent les sciences sociales et humaines.

ÀB ! : Est-ce que le monde politique accorde suffisamment de crédibilité aux sciences dans ses décisions, notamment en période de pandémie ?

R. Q.  : La pandémie a aidé à faire progresser la science dans les officines politiques règlement. Par la suite, elles et ils peuvent décider de prendre une décision tenant compte ou pas de ces avis. La science doit être à proximité du politique, mais pas trop proche. Les élu·es et les haut·es fonctionnaires doivent sortir de leur vase clos, tout comme les scientifiques doivent aussi être prêt·es à s’impliquer davantage et à se rendre disponibles pour donner leur avis.

ÀB ! : Est-ce que le monde politique accorde suffisamment de crédibilité aux sciences dans ses décisions, notamment en période de pandémie ?

R. Q. : La pandémie a aidé à faire progresser la science dans les officines politiques puisque des ministères qui ne nous avaient jamais contactés auparavant nous ont demandé de l’aide. Il y a cependant encore du travail à réaliser en la matière, tant aux plans international, canadien que québécois. Cela relève de mon mandat. J’ai d’ailleurs commencé à discuter avec le Conseil du Trésor et le secrétaire de la province au sujet d’activités de formation scientifique s’adressant aux haut·es fonctionnaires et aux élu·es intéressé·es. Ces formations pourraient porter sur la méthode scientifique, sur l’accès aux publications scientifiques, sur la nécessité de la diversification des sources d’information, etc. Le but est de faire comprendre que la science se bâtit dans le temps, même si le monde politique aimerait avoir des réponses simples et définitives à donner.

Bientôt, un programme va démarrer pour que des chercheur·euses puissent aller passer jusqu’à une année avec des fonctionnaires dans des départements pour comprendre leur réalité. À l’inverse, j’aimerais éventuellement que des fonctionnaires puissent passer du temps dans le milieu académique. Les deux milieux doivent apprendre à se connaitre pour espérer, par la suite, que de plus en plus de décisions gouvernementales soient informées par la science.

Est-ce que les décisions politiques doivent toujours être en adéquation avec la science ? Non, parfois les décisions doivent rester politiques au-delà de la science. Je nous mets toutefois en garde contre les tentatives d’instrumentalisation de la science au profit de décisions politiques peu éclairées. En période de pandémie, la science a parfois eu le dos large : il est facile de dire qu’une décision est « basée sur la science ». Ce que l’on souhaite, c’est plutôt que les élu·es et les haut·es fonctionnaires développent le réflexe de consulter une diversité de scientifiques avant de prendre des décisions ou d’élaborer une loi ou un règlement. Par la suite, elles et ils peuvent décider de prendre une décision tenant compte ou pas de ces avis. La science doit être à proximité du politique, mais pas trop proche. Les élu·es et les haut·es fonc‑ tionnaires doivent sortir de leur vase clos, tout comme les scientifiques doivent aussi être prêt·es à s’impliquer davantage et à se rendre disponibles pour donner leur avis.

ÀB ! : La direction de santé publique a-t-elle joui d’assez d’autonomie durant cette pandémie ?

R. Q.  : J’espère qu’on fera un post mortem de la situation. Il est peut-être encore trop tôt pour déterminer ce que l’on doit changer dans nos façons de faire. Il faudra s’assurer d’être mieux équipés pour faire face à de telles situations. Il est problématique de bâtir ce genre de système en plein état d’urgence. La fatigue s’est installée et certaines décisions sont un peu moins bonnes qu’elles le devraient. Il me semble qu’il faut apprendre à devenir plus agiles en situation d’urgence, notamment à l’endroit de la crise climatique. Il faut se préparer et encourager la recherche.

ÀB ! : Quelles améliorations souhaitez-vous qu’on apporte au mandat du scientifique en chef ?

R. Q.  : Un des modèles plus performants à mon avis, ce serait de doter chaque ministère et organisation gouvernementale de l’équivalent d’un « mini scientifique en chef » chargé d’assurer une veille scientifique spécifique. Cela favoriserait la création de liens plus étroits entre les ministères et la science. Je pense aussi que des liens plus serrés peuvent être établis avec les municipalités. Les villes ont de très grandes responsabilités et de nombreuses décisions concrètes à prendre. Elles doivent elles aussi être bien outillées scientifiquement.

 

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