Dossier - Syndicalisme : comment

Dossier - Syndicalisme : comment faire mieux ?

Incarner nos aspirations collectives

Collectif Lutte commune

Au-delà des vœux pieux et des professions de foi formulées à chaque congrès syndical, que peut-on faire, concrètement, pour qu’advienne le syndicalisme combatif que l’on souhaite ? Voici quelques moyens qui pourraient, selon nous, permettre d’atteindre ces objectifs.

Revoir nos modes d’organisation

Passer de l’intervention par grief à l’action collective

Le modèle classique de représentation syndicale s’appuie sur les « relations de travail ». Les membres agissent alors à titre de spectateur·trices dans un modèle « clientéliste », en soutirant un service de représentation pour trouver des solutions à leurs problèmes. Quoique ce modèle soit légitime, les relations de travail deviennent alors la chasse gardée d’un certain nombre « d’expert·es » en ce domaine. On y gagne beaucoup de jurisprudence, mais peu d’empowerment des membres sur leurs conditions de travail. Un modèle basé sur l’action collective propose de se regrouper autour d’un même problème et de mettre en place des actions conjointes pour se réapproprier notre force d’organisation du travail, par exemple en cessant collectivement de faire une tâche ou en refusant massivement d’obtempérer à une demande patronale.

Passer de « parler aux membres » à « faire parler les membres »

Les officier·ères syndicaux·ales répètent qu’il faut « investir les médias sociaux ». Si les outils numériques ouvrent effectivement de nouvelles avenues, leur utilisation à des fins combatives et démocratisantes relève d’abord d’une réflexion politique, et non technologique. Pourquoi seulement relayer les communiqués et les clips conçus par des spécialistes en communication quand on peut profiter du fait que de nouvelles tribunes sont disponibles pour faire entendre la voix des syndicats locaux ?

L’organisation nationale peut appuyer la production d’images et vidéos, offrir la diffusion en direct de débats clés en instances et instaurer des forums en vue de mettre en commun des analyses et de planifier des actions.

Se soucier de diversité et de représentativité

Augmenter la représentativité des organisations syndicales est l’une des pistes de réflexion à privilégier pour contrer le déclin de la participation. Comment justifier l’homogénéité des personnes élues et salariées au sein du mouvement, alors que 22,6 % de la population québécoise dit aujourd’hui appartenir à une minorité visible ? L’absence de représentation proportionnelle des travailleur·euses au sein du mouvement syndical a de quoi surprendre. Des mesures draconiennes d’inclusion et un changement de culture en profondeur contribueront à faire émerger un syndicalisme plus fort grâce à son inclusivité et sa sensibilité aux réalités des personnes syndiqué·es. La diversité (qu’elle soit ethnoculturelle, sexuelle ou autre) n’est pas qu’une lutte à appuyer, mais fait partie intégrante de nos luttes. Elle est une manière essentielle d’avoir des syndicats ancrés dans leurs milieux.

Pour une « révolution culturelle »

Raviver le mouvement dans l’organisation

Si le mouvement syndical est le résultat de l’action conjointe de personnes qui partagent une même réalité de travail, les organisations syndicales sont le fruit de cette action et les porte-étendards du mouvement. Elles l’alimentent en le pérennisant et en lui offrant des ressources indispensables à sa vitalité. Il semble toutefois que le maintien des structures organisationnelles que nous avons créées se fait parfois au détriment du dynamisme du mouvement. Les taux d’adhésion, le maraudage et les services aux membres soutirent alors l’essentiel de notre énergie. Or, sans mouvement animé par la mobilisation des membres, les organisations courent le risque de devenir des coquilles désincarnées. Pour développer le 

sentiment d’appartenance aux organisations et assurer leur renouveau, vaut mieux encourager les initiatives de la base que faire la promotion d’une identité organisationnelle spécifique et figée.

Démocratiser la démocratie

Il est parfois suggéré d’encourager le développement de modalités plus participatives pour compléter les formes de démocratie représentative au sein de nos organisations [1]. Pour cela, il ne suffit pas d’inciter les personnes d’un milieu de travail donné à assister à leurs assemblées et à y prendre la parole. Il faut que soit repensée la distribution du pouvoir au sein même de nos organisations pour encourager la fluidité des rapports entre les instances plus formelles de représentation et les initiatives souvent informelles de participation. Parmi les mécanismes qui permettent ce partage du pouvoir, on peut penser à des négociations ouvertes pour que les membres soient des témoins directs des échanges en cours, à des limites de mandats pour les personnes élues afin d’encourager une rotation dans les fonctions représentatives ou encore à la diffusion des informations qui sont à la source des analyses syndicales.

Entretenir une culture de la désobéissance

Un mouvement qui cherche à protéger des acquis aura tendance à adopter une posture défensive, prudente, voire conservatrice. Inversement, un mouvement en quête d’avancées veut faire reconnaître des choses qui ne le sont pas encore, ce qui l’amène inévitablement à confronter l’ordre établi. C’est par la pratique qu’on remet vraiment en question les limites aux droits de manifester et de faire la grève. Localement aussi, c’est par la perturbation qu’on exerce une véritable pression. Désobéir ne signifie pas tout rejeter et prôner le chaos ; la désobéissance doit être planifiée, concertée et faire appel à un idéal. Ultimement, désobéir, c’est reprendre un peu de pouvoir sur sa vie.

Penser globalement, agir politiquement

Encourager les espaces intersyndicaux et intersectoriels

La condition de travailleuse ou de travailleur touche tout le monde, ou presque. Les luttes syndicales contre le patronat ne sauraient perdurer dans le temps sans une solidarité intersyndicale et intersectorielle forte. Pour ce faire, il nous faut entretenir régulièrement des espaces de dialogue, de rencontre et de débat, comme les camps de formation (comme ceux organisés par Lutte commune), la tenue de nouveaux états généraux sur le syndicalisme ou les initiatives de podcasts (nommons le balado Solidaire qui offre une plateforme à des militant·es de diverses organisations [2]).

Créer des liens avec les milieux militants

Dans la mesure où les travailleurs et les travailleuses sont plus que des individus définis par le travail, ils et elles se retrouvent aussi à la croisée de réalités multiples. La complexification de l’économie, les changements climatiques et la montée en force des rhétoriques d’extrême droite s’ajoutent aux luttes syndicales à mener, puisque ces situations renforcent également les inégalités au sein de nos milieux de travail. Les liens avec les organisations étudiantes, féministes, communautaires, écologiques et décoloniales, entre autres, sont vitaux pour assurer la suite du mouvement syndical, pour remettre en question nos pratiques historiques et pour s’assurer que nous ne laissons personne derrière.

Actualiser le Code du travail

Le Code du travail du Québec, dans sa forme actuelle, impose certaines contraintes au syndicalisme. Malgré les avancées historiques du 20e siècle, comme le droit à la syndicalisation ou la formule Rand, les organisations syndicales ont dû accepter un compromis législatif qui ne laisse pas suffisamment de marge de manœuvre aux organisations syndicales pour se défendre. Parmi les limites du Code du travail, notons la définition désuète et trop limitée du brisage de grève, les balises irréalistes des services essentiels et l’impossibilité d’exercer la grève tant qu’une convention collective est en vigueur. Une réforme en profondeur du Code du travail doit devenir un champ de bataille prioritaire des organisations syndicales afin de maximiser le rapport de force des travailleuses et travailleurs syndiqué·es.

L’esprit de l’ensemble des moyens proposés ici pour répondre aux défis actuels du syndicalisme va dans le sens d’un constant travail de terrain, d’interaction et de proximité avec et entre les travailleurs et les travailleuses. Il faut se former mutuellement à l’organisation des membres pour générer une mobilisation durable et établir des liens afin de mener des batailles conjointes. Le monde syndical gagnerait donc à collaborer au développement d’un modèle en ce sens, comme le propose le réseau Labor Notes aux États-Unis, afin d’encourager la réappropriation collective du projet syndical et, ultimement, pour changer non seulement nos conditions de travail, mais également nos conditions de vie. 


[1Voir Christian Nadeau, Agir ensemble : penser la démocratie syndicale, Montréal, Somme toute, 2017.

[2Voir l’entrevue avec les animatrices de ce balado dans le numéro 90 d’À bâbord ! : Éliane Scofield Lamarche et Amélie Glaude (propos recueillis par Lutte commune), « Une exploration du syndicalisme en balado », À bâbord !, no 90, p. 70-71. Disponible en ligne.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème