Dossier - Syndicalisme : comment faire mieux ?
Vers des collectivités durables. Réinventer Postes Canada
Sous le gouvernement Harper, le service des postes du Canada a fait l’objet de graves menaces, comme la fin de la livraison à domicile et la privatisation. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) a mené une dure bataille contre ces offenses, appuyée par une grande partie de la population.
Le service postal fait partie de notre histoire depuis très longtemps. Le bureau de poste s’est forgé une place dans notre folklore tant il est ancré dans le décor de presque toutes les communautés. Il a toujours été un pilier fort de notre société, surtout dans un territoire aussi vaste que le nôtre.
La dernière décennie a marqué un changement profond dans nos moyens de communication et dans nos habitudes de consommation. La livraison de la poste-lettre a été éclipsée en grande partie par celle des colis. Ainsi, notre syndicat n’en est pas à sa première campagne afin de faire adopter de nouvelles orientations pour que cette société d’État offre à la population ce qu’elle attend d’elle.
Les succès et les victoires de notre syndicat, malgré les multiples menaces auxquelles nous avons dû faire face, sont attribuables au militantisme acharné d’une base déterminée à continuer de servir la population et à réinventer le service postal public. Les membres ont toujours exigé de faire partie de la solution.
Un service public menacé
En 2013, sous le gouvernement Harper, la direction de la société d’État, composée de plusieurs gros bonnets nommés par les conservateurs, a mené une des plus grandes attaques contre ce service public. Les dirigeant·es ont tenté de justifier l’arrêt de la livraison à domicile à des millions de Canadiens et Canadiennes avec comme seul argument la décroissance de la poste-lettre. Les membres du STTP et leurs allié·es ont mené ce qui s’est avéré la plus grande lutte pour la survie du système postal public de son histoire contemporaine. Cette attaque ouvrait une brèche pouvant mener à une éventuelle privatisation. Pour les travailleuses et les travailleurs, il était évident que la réponse à ces chambardements ne passait pas par l’austérité et la réduction des services, bien au contraire.
C’est dans cet esprit qu’on a vu naître la campagne Sauvons Postes Canada. Le syndicat passait alors en mode solutions. Le manifeste de la campagne prônait une expansion de nouveaux services pouvant desservir les différentes communautés partout au pays, notamment par la création d’une banque postale publique, un service de vigilance auprès des personnes âgées et vulnérables, la livraison d’aliments frais et la mise en place de carrefours communautaires. Ces solutions s’appuyaient sur des initiatives que le syndicat avait pu observer dans différentes administrations postales à travers le monde et qui ont donné des résultats concluants tant au point de vue économique, environnemental que social. Pensons simplement aux services bancaires postaux présents dans plus de soixante pays.
Fort·es de cette proposition, les membres ont multiplié les interventions auprès des politicien·nes, organismes communautaires, allié·es et médias, au point où ils et elles ont réussi l’exploit de s’inviter dans la campagne électorale de 2015. Une fois élu, le gouvernement Trudeau s’est trouvé sans autre choix que de faire cesser ce délestage des services. L’année suivante, afin de revoir les perspectives d’avenir de Postes Canada, le gouvernement a commandé un examen du mandat de la société d’État. Encore à cette étape, le STTP a fait flèche de tout bois avec l’aide d’allié·es naturel·les et d’acteur·trices de la scène politique, tant municipale, provinciale que fédérale, afin de prendre avantage de cet exercice et imposer le ton en faveur d’une offre accrue de services. À l’issue de ses travaux, cette commission publique plaidait pour un renouveau de Postes Canada et son rayonnement dans toutes les communautés. La quasi-totalité des recommandations soutenaient une expansion et une amélioration des services.
Une poste verte pour des collectivités durables
En 2016, à la suite de la ratification historique de l’Accord de Paris sur le climat, le STTP met sur pied une nouvelle campagne nommée « Vers des collectivités durables ». Cette campagne défend une réinvention du service postal du 21e siècle par l’expansion des services offerts à la population, mais va encore plus loin en incorporant la notion de la lutte aux changements climatiques. Le STTP propose des solutions pour réduire l’empreinte carbone liée directement aux opérations de Postes Canada, et apporte des solutions pour avoir un impact réel plus large dans la collectivité.
La campagne s’appuie sur le concept de « transition juste [1] » porté par le mouvement syndical. Présentement, ce concept est sur toutes les lèvres. Par contre, il est clair qu’il y a des dérives et une instrumentalisation par différents acteur·trices de la notion de transition dite juste. La campagne Vers des collectivités durables est la réponse des travailleurs et travailleuses des postes qui, n’étant pas invité·es à ce chantier, ont décidé de ne pas attendre et de s’imposer à la table décisionnelle.
Postes Canada détient la plus grande flotte de véhicules polluants au Canada. Le STTP milite pour une électrification complète des véhicules de livraison, incluant des appels d’offres dont les critères seraient stricts et syndicalement acceptables, touchant toute la chaîne de production des nouveaux véhicules conçus et produits au Canada. En ayant recours à ce type d’appels d’offres, il est possible d’avoir un réel impact sur l’industrie en favorisant l’économie circulaire. Dans l’optique de rayonner plus largement, un réseau de bornes de recharge de véhicules électriques – utilisables par la population – pourrait être installé à travers le plus vaste réseau de ventes au détail au pays, soit plus de 6300 bureaux de poste implantés dans les collectivités d’un océan à l’autre.
La campagne se différencie par son approche non conventionnelle. Par le passé, nos luttes syndicales étaient traitées en silo et avec une vision beaucoup moins intersectorielle. Plutôt que d’aborder un enjeu qui touche simplement les membres du syndicat et de s’en tenir à ce que l’on s’attend traditionnellement d’un service postal, le STTP apporte une vision beaucoup plus structurante incluant un horizon sur le long terme.
Ainsi, le traditionnel bureau de poste peut permettre de relancer les communautés qui l’entourent, en développant une stratégie d’intégration de services de proximité. Parmi ces services, la banque postale illustre bien tout le potentiel sous-exploité que peut offrir le réseau. La banque postale publique et universelle vient accroître l’inclusion financière, favoriser le développement économique et générer des revenus permettant de préserver le service postal public et les emplois s’y rattachant. Voilà un modèle gagnant pour l’ensemble de la population.
Par et pour les travailleur·euses
Les membres du syndicat des travailleurs et travailleuses des postes ont réussi tranquillement à faire bouger le navire postal dans la direction d’une transition juste et cet effort doit être poursuivi. Jamais les travailleur·euses n’accepteront de laisser la barre aux dirigeant·es qui, au moindre obstacle, seront tenté·es de mener le bateau à tribord. Pour y arriver, la campagne actuelle vient même chambouler nos mœurs internes, puisqu’elle apporte la nécessité d’intégrer ces solutions vertes dans chaque palier décisionnel de notre structure syndicale.
La conjoncture actuelle donne une opportunité de revenir à la base du syndicalisme et d’être des vecteurs de changements positifs pour l’ensemble de la société. Une approche critique, mais bonifiée de solutions tangibles ratissant plus large que le seul spectre des conventions collectives, force les employeurs et gouvernements à suivre les orientations et visions des travailleur·euses. En poursuivant sa lutte en accord avec le projet d’une transition juste, le STTP souhaite que l’énergie de ses membres ait un effet contagieux, que celles-ci et ceux-ci inspirent l’ensemble du monde ouvrier afin que chacun·e prenne conscience de ses responsabilités sur le plan syndical et social. Il est nécessaire de poursuivre la résistance contre les assauts néolibéraux, de proposer et de diffuser des solutions ainsi que des projets structurants et rassembleurs afin de construire une société plus juste, équitable et égalitaire. Ensemble, nous sommes le changement !
[1] Voir à ce sujet le texte de Patrick Rondeau dans À bâbord ! : « Entre urgence et volonté d’agir », no 71, 2017. En ligne : www.ababord.org/Entre-urgence-et-volonte-d-agir-2606