Travail
Droit à l’assurance-chômage : le combat de tous et toutes
Entrevue avec Jérémie Dhavernas
En septembre 2022 paraissait aux éditions Écosociété le livre Trouve-toi une job ! Petite histoire des luttes pour le droit à l’assurance-chômage. À bâbord ! s’est entretenu avec Jérémie Dhavernas, avocat du Mouvement Action-Chômage (MAC) et auteur de l’ouvrage. Propos recueillis par Viviana Melisa Isaza Lescano.
À bâbord ! : Qu’est-ce que le Mouvement Action-Chômage ?
Jérémie Dhavernas : Le MAC est un organisme communautaire issu de groupes populaires créés dans les années 70 qui défend les droits des sans-emploi. Le MAC offre des services de formation, d’accompagnement et de représentation juridique afin d’aider les sans-emploi à avoir accès à leur droit de prestations.
ÀB ! : Quelles sont les raisons qui ont convaincu le MAC de Montréal de faire la lumière sur l’histoire récente du chômage et sur la fragilité de cette maille du filet social ?
J. D. : Le MAC revendique l’amélioration et la sauvegarde du programme d’assurance-chômage qui est constamment menacé par les stéréotypes et les préjugés véhiculés par les gouvernements. Pour son 50e anniversaire, nous avons décidé de souligner son histoire et ses luttes contre les réformes du programme d’assurance-chômage et la propagande des gouvernements fédéraux dénigrant les chômeur·euses. En bref, ce discours dit : « un chômeur est un mauvais pauvre, un paresseux et un fraudeur ».
Depuis les années 70, le MAC défend des travailleur·euses qu’on tente d’exclure du régime à l’aide de la loi et de l’application de directives restreignantes, voire agressives, par les fonctionnaires. Il ne faut pas oublier que ces chômeur·euses ont déjà été à l’emploi et ont contribué à la caisse d’assurance-chômage destinée à les aider en cas de perte d’emploi. Ils n’ont pas à avoir honte.
ÀB ! : Comment ces préjugés et ces stéréotypes subsistent encore aujourd’hui ?
J. D. : La source première de cette dynamique est le programme d’assurance-chômage en lui-même. D’abord, le programme exclut dans une très grande majorité les travailleur·euses qui ont dû quitter leur emploi pour diverses raisons et ceux et celles qui ont été congédié·es pour une inconduite, sans égard au nombre d’années durant lesquelles ils et elles ont contribué à l’assurance-chômage.
La deuxième problématique est le traitement inquisitoire et culpabilisant réservé aux sans-emploi. Bien que les chômeur·euses remplissent les critères d’admissibilité, soit avoir un emploi assurable, avoir un arrêt de rémunération et avoir travaillé les heures demandées par le programme, on présumera de leur mauvaise foi, on remettra en doute leur volonté de se trouver un nouvel emploi et on croira davantage la version du patron lorsque la fin d’emploi est litigieuse. Tout ceci s’exprime par une pression sur les sans-emploi qui se traduit par : TROUVE-TOI UNE JOB !
ÀB ! : Le MAC réclame un programme social pour l’assurance-chômage avec « un minimum syndical ». Quel est ce minimum syndical ?
J. D. : Nous avons cinq revendications qui visent à améliorer la couverture des travailleur·euses par le programme d’assurance-chômage.
La première revendication concerne le nombre d’heures de travail nécessaires pour se qualifier au programme d’assurance-chômage. Ce nombre varie d’une région à l’autre, allant de 420 à 700 heures en fonction du taux de chômage de la région de résidence des travailleur·euses sans emploi. Par exemple, si deux travailleur·euses sont mises à pied du même poste, mais demeurent dans deux régions différentes, l’une pourrait toucher l’assurance-chômage alors que l’autre, non, simplement en raison de taux de chômage différents dans leur région respective. Le MAC réclame donc l’uniformisation du nombre d’heures de travail nécessaire pour avoir droit aux prestations et de le fixer à 350 heures dans la période de référence (la dernière année).
La deuxième revendication vise à bonifier la durée des prestations. Présentement, la durée des prestations est de 14 à 45 semaines, dépendamment du taux de chômage régional et des heures travaillées. Le MAC demande pour que les prestations universelles soient versées pendant 50 semaines.
La troisième revendication vise à assurer un taux de prestation à 70 % du salaire avec un plancher de 500 $ par semaine. Nous avons vu avec la pandémie que cette bonification est non seulement faisable, mais nécessaire. Selon Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada de 2013 à 2020, la Prestation canadienne d’urgence (PCU) à 500 $ par semaine a sauvé le Canada de la faillite, puisque notre programme d’assurance-chômage était extrêmement précaire.
La quatrième revendication est la fin des exclusions totales pour départ volontaire ou inconduite, afin de rétablir l’accès au programme pour les travailleur·euses dans ces situations.
La dernière revendication est de permettre l’accès aux prestations régulières en cas de situation de chômage sans égard aux prestations parentales reçues. La majorité du temps, ce problème survient lorsque les femmes perdent leur emploi durant ou immédiatement après leur congé de maternité. Au Québec, cette situation survient lorsque le parent touche près d’un an de prestations du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). Encore aujourd’hui, ce parent est presque toujours la mère. Ce sont donc les femmes qui se retrouvent sans protection contre le chômage lorsqu’elles ont le malheur de perdre leur emploi après être devenues parents. Le MAC a représenté six travailleuses dans cette situation devant le Tribunal de la sécurité sociale et a eu gain de cause en janvier 2022. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé de porter en appel cette décision, ratant une belle occasion de rendre le programme équitable et juste…
ÀB ! : Comment le programme d’assurance-chômage a-t-il désavantagé les femmes ?
J. D. : Le programme d’assurance-chômage a toujours été et demeure paternaliste. Par exemple, jusqu’en 1957, les épouses devaient respecter des critères supplémentaires pour toucher des prestations dans les deux ans suivant leur mariage, car on jugeait leur demande suspecte. Entre 1940 et 1957, des milliers de femmes ont ainsi perdu leur droit à une protection en cas de chômage.
En 1971, Pierre Elliott Trudeau modifie la Loi sur l’assurance-chômage et crée les prestations de maternité, améliorant la protection des travailleuses. Il imposera toutefois aux femmes enceintes désirant avoir accès au chômage-maternité de cumuler ٢٠ semaines de travail dans la dernière année, dont dix durant leur grossesse, alors que pour les travailleur·euses qui ne sont pas enceintes, on exige huit semaines pour se qualifier. En 1984, la Loi sur l’assurance-chômage est corrigée pour mettre fin à cette discrimination. Cependant, la Loi demeure discriminatoire pour les femmes qui perdent leur emploi pendant ou suite à leur congé de maternité.
Le programme désavantage également les femmes sur d’autres plans. Selon les statistiques de 2016, 53 % des hommes ont accès à l’assurance-chômage contre seulement 35 % des femmes. Pourquoi ? Notamment parce que les règles sévères d’admissibilité laissent de côté les salariées précaires et à temps partiel, qui sont encore en grande majorité des femmes. C’est sans compter les femmes qui seront exclues du programme car elles quittent leur emploi pour s’occuper de leur famille ou de leur entourage, sans que ce départ volontaire soit considéré comme justifié…
ÀB ! : À travers l’histoire du MAC, on en apprend plus sur les crises internes qu’a connues le mouvement, notamment sur la confrontation de deux visions concernant son organisation. La première vision favorise la centralisation et l’action collective, tandis que la seconde est plus favorable à la décentralisation et vise à mieux répondre aux besoins des travailleur·euses sans emploi. Quelle est la vision que priorise le MAC pour revendiquer une meilleure accessibilité au droit à l’assurance-chômage ?
J. D. : Depuis 1990, nous avons une position beaucoup plus équilibrée entre les deux visions, puisque le service individuel nourrit l’action collective. À travers l’éducation populaire, le MAC s’attèle à défaire le stéréotype du mauvais pauvre et à permettre aux chômeur·euses de mieux connaître leurs droits. Nos séances d’information outillent les travailleur·euses, les syndicats et les organismes pour qu’ils puissent mieux naviguer ce programme complexe et parfois déroutant.
Tout ce travail d’éducation et de service individuel permet de mobiliser les gens dans la défense des droits des chômeur·euses, qui font partie des droits des travailleur·euses. Dès sa création, le MAC a d’ailleurs forgé des alliances avec les centrales syndicales pour dénoncer les réformes du programme d’assurance-chômage brimant les droits des sans-emploi. Un exemple récent est celui de la réforme de Harper en 2012, qui modifiait la notion de l’emploi convenable et créait ainsi un système punitif qui sanctionnait les chômeur·euses dit·es « fréquent·es », en les obligeant à chercher un emploi sous-payé. Dans cette même réforme, le gouvernement Harper mettait sur pied le Tribunal de la sécurité sociale, complexifiant indûment le processus d’appel afin de décourager les chômeur·euses de défendre leurs droits. Grâce à la mobilisation, cette réforme a depuis été abolie, ce qui démontre la force de l’action collective.
Il faut également souligner que le MAC fait partie du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE) qui lutte depuis plus de vingt ans pour la mise en place d’un régime d’assurance-chômage juste et universel. Le MASSE rassemble 17 groupes membres dans dix régions du Québec et du Nouveau-Brunswick. Le MASSE et ses groupes membres font de l’action politique en se mobilisant avec des syndicats et organisations alliés contre des politiques affectant l’accessibilité au programme d’assurance-chômage. À titre d’exemple, on peut penser aux groupes de l’Est-du-Québec qui revendiquent une meilleure couverture pour les travailleur·euses de l’industrie saisonnière et qui se sont rendus cet automne à Ottawa pour rencontrer les différents partis fédéraux.
ÀB ! : Qu’est-ce que la pandémie et le déploiement de la prestation canadienne d’urgence (PCU) ont démontré quant au programme d’assurance-chômage ?
J. D. : La pandémie a démontré que le programme d’assurance-emploi est extrêmement fragile, à un point tel que le premier ministre Trudeau a dû créer la PCU afin de ne pas accentuer la crise économique. Ce constat d’échec a pavé la voie à une promesse de réforme de l’assurance-chômage.
Plus concrètement, la PCU et les mesures temporaires à l’assurance-chômage qui ont suivi jusqu’en 2022 ont été un laboratoire permettant de tester certaines revendications portées par le MAC. Par exemple, le montant de la PCU était de 500 $, ce qui correspond à la revendication du MAC sur un taux plancher de prestations. Lors du déploiement des mesures transitoires qui ont suivi à l’assurance-chômage, on a pu constater que l’abolition du délai de carence, le prolongement de la durée des prestations à 50 semaines et la diminution du nombre d’heures travaillées requis pour se qualifier étaient des mesures tout à fait applicables et bénéfiques.
ÀB ! : Quelles sont d’autres contributions importantes du MAC ?
J. D. : Il y a eu la victoire juridique pour les chômeur·euses âgé·es de 65 ans qui étaient exclu·es du programme d’assurance-chômage en raison de leur âge. En 1989, la Cour d’appel fédérale déclarait que la disposition qui prévoyait leur exclusion était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et constituait de la discrimination basée sur l’âge. Suite à cette décision, le MAC, avec l’appui des centrales syndicales, a publiquement demandé au gouvernement Mulroney de ne pas porter la cause en appel, ce qu’il refusa. Finalement, la Cour suprême confirmera en 1991 que la disposition est discriminatoire, une grande victoire pour les travailleur·euses de plus de 65 ans !
Comme mentionné précédemment, le MAC représente en ce moment six travailleuses qui ont été privées de leur droit à l’assurance-chômage en raison de leur congé de maternité. Le Tribunal de la sécurité sociale du Canada a donné raison au MAC en jugeant que la Loi sur l’assurance-emploi était discriminatoire. Cette décision a été portée en appel et l’audience aura lieu à la fin mars. Un dossier à suivre avec beaucoup d’intérêt !