Q comme qomplot. Comment les fantasmes du complot défendent le système

No 095 - Printemps 2023

Wu Ming 1

Q comme qomplot. Comment les fantasmes du complot défendent le système

Nathalie Garceau

Wu Ming 1, Q comme qomplot. Comment les fantasmes du complot défendent le système, Traduit de l’italien par Anne Echenoz et Serge Quadruppani, Lux, 2022, 576 pages.

Wu Ming est le nom d’un collectif d’écrivains italiens fondé en 2000. Wu Ming signifie « anonyme » en mandarin. Le groupe est reconnu entre autres pour son projet Luther Blisset et son livre Q publié en 1999.

Pavé de 576 pages, Q comme qomplot est un livre titanesque, bourré d’informations diverses. Son objectif principal est de faciliter la compréhension du mouvement QAnon et des théories du complot pour mieux les combattre.

Le livre est divisé en deux parties fort différentes l’une de l’autre. La première partie est un véritable fourre-tout d’histoires et de récits sur le complotisme, que ce soit sur l’origine de QAnon sur le forum web 4chan ou encore la conspiration concernant la mort de Paul McCartney dans un accident de voiture. Dans son analyse, l’auteur décide de différencier les hypothèses de complot (spécifiques et situés ayant un but précis – pensons au Watergate) des fantasmes du complot. Ces derniers « concernent toujours une conspiration universelle, qui a comme but la conquête ou la destruction du monde entier par des sociétés secrètes, des confraternités occultes, des races sournoises (…) ou des conquérants extraterrestres. »

La deuxième partie se lit comme une fascinante fresque historique sur la genèse des plus importants fantasmes du complot. L’auteur remonte à plusieurs siècles pour expliquer les origines du complot juif, des Illuminati et du satanisme. Ces chapitres nous rappellent les moments peu glorieux de notre histoire collective comme les paniques sataniques, les chasses aux sorcières ou encore la persécution du peuple juif. L’auteur tient à historiciser tous ces faits pour une raison simple, mais importante : en comprenant d’où ces fantasmes proviennent, on peut mieux les déconstruire.

Facile à lire, mais parfois difficile à suivre : le livre de Wu Ming 1 est captivant, mais manque souvent de cohérence, particulièrement dans la première partie. Le fil directeur est flou ; les chapitres se suivent, mais ne se ressemblent pas. La deuxième partie est la plus prenante ; le dévoilement historique qui s’impose à nous entraîne de nombreux moments de subites illuminations et encourage une réflexion approfondie. 

Cette différence entre les deux parties se retrouve aussi dans le style narratif : la première partie est très explicative ; on décrit des faits, on énumère des arguments et on définit des termes. La deuxième partie est plus poétique ; l’auteur raconte un rêve dans lequel il enseigne à un groupe de personnes les origines des fantasmes du complot. 

Tout au long du livre, l’auteur ne ridiculise pas les fantasmes du complot ni ses adeptes : il a la volonté louable de vouloir disséquer ce qui se cache derrière ceux-ci et de comprendre pourquoi certains y adhèrent. Selon lui, le conspirationnisme offre une porte d’entrée à toute personne désireuse de changer le monde ; il offre des causes pour lesquelles militer et donne en bonus une explication aux petits et grands malheurs qui ponctuent notre vie. Les fantasmes du complot deviennent alors la réalité des complotistes et leur raison d’être. C’est une fascination qui ne cesse d’être alimentée par les réseaux sociaux et la communauté qui s’y investit.

La masse d’informations que cet ouvrage contient et sa longueur pourront en décourager certains. C’est à se demander si celui-ci n’aurait pas dû être divisé en deux volumes plus courts. Toutefois, il est décidément un ouvrage majeur pour aider à comprendre les origines de Qanon et les fantasmes du complot en général.

Thèmes de recherche Livres, Analyse du discours
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