Culture
Des essais pour ados
Entretien avec Pauline Gagnon, Écosociété
La maison d’édition Écosociété s’est taillé une place de choix dans le monde des essais québécois au fil de ses 30 années d’activités. Pour son anniversaire, elle lance une nouvelle collection destinée aux adolescent·es et aux jeunes adultes. À bâbord ! s’est entretenue avec Pauline Gagnon, directrice de la collection Radar.
Propos recueillis par Philippe de Grosbois
À bâbord ! : Écosociété souligne ses 30 ans cette année. Comment en êtes-vous arrivé·es à l’idée de vous adresser plus spécifiquement aux ados et aux jeunes adultes ?
Pauline Gagnon : Depuis longtemps, l’équipe souhaitait offrir des livres destinés à un lectorat plus jeune. D’ailleurs, on nous le demandait régulièrement lors de rencontres avec nos lecteurs et lectrices dans les Salons du livre. Comme on trouve d’excellents documentaires pour les plus jeunes et très peu d’essais destinés aux 15 ans et plus, le projet d’une collection pour les ados s’est rapidement imposé. Ainsi, Radar – le nom choisi pour la collection – viendra combler un important vide éditorial. L’adolescence est une période tellement charnière. C’est le moment où l’on commence à mieux comprendre le monde, les injustices qui le traversent et cela nous révolte ! C’est aussi un moment où l’on se cherche, où l’on fait des rencontres et des apprentissages qui forgent l’adulte en devenir. Bref, c’est un moment où les questionnements politiques pointent leur nez. Pourquoi ne pas assumer la nécessité de parler d’enjeux sociaux et politiques avec cette tranche d’âge qui vit aussi de grands bouleversements en comprenant l’urgence climatique ?
Et, pour souligner nos 30 ans d’existence, nous ne pouvions nous offrir plus beau cadeau que d’agrandir notre lectorat !
AB ! : La littérature jeunesse est maintenant bien développée au Québec. Dans ce qui s’adresse aux adolescent·es, on trouve une fiction de grande qualité, mais peu d’essais. Comment expliquer cette absence ? Est-ce que ça a déjà existé par le passé ? Est-ce que ça se fait actuellement ailleurs dans le monde ?
P. G. : C’est certain que, pour une maison d’édition, créer une collection d’essais pour ados demeure un défi de taille, autant dans l’ensemble de la francophonie qu’ici, au Québec ! Ce n’est pas un hasard si ce segment de l’édition n’est pas aussi développé que celui des documentaires jeunesse. Ce groupe d’âge, les 15 ans et plus, navigue entre la fin de l’enfance et le début de l’âge adulte ; et on y trouve un lectorat extrêmement diversifié. C’est aussi un moment de la vie où les centres d’intérêt sont multiples et parfois aussi une période où la lecture devient moins prioritaire. C’est là qu’il devient essentiel de miser sur leur curiosité, sur leur besoin de trouver des réponses aux nombreuses questions qu’iels se posent. Ça demande aussi une certaine part d’audace, un pari qu’un éditeur doit faire lorsqu’on désire rejoindre les adolescent·es en leur offrant des livres qui ouvrent aux multiples manières de voir et penser le monde.
AB ! : Comment aller chercher l’intérêt pour des enjeux plus vastes ? Comment savoir ce qui peut intéresser les jeunes de ce groupe d’âge ?
P. G. : Les adolescent·es s’intéressent déjà à plusieurs enjeux sociaux et environnementaux ; plusieurs sont impliqué·es dans des mouvements qui revendiquent des changements. Iels mesurent bien la complexité du monde qui les entoure et ont une conscience planétaire que nous n’avions pas à leur âge. L’objectif est d’atteindre autant les plus militant·es que celleux dont on entend peu la parole. Comment les intéresser ? En leur offrant des livres qui abordent des sujets qui les préoccupent sous un angle original, afin de les aider à mieux comprendre le monde dans lequel iels vivent. Dès que je suis entrée en poste, j’ai voulu aller confirmer ou infirmer mes intuitions sur les thématiques que je voulais aborder dans Radar. Nous avons donc fait circuler un sondage auprès de 200 adolescent·es, qui ont fait ressortir plusieurs thématiques que je me suis ensuite attelée à explorer avec les auteur·es. Cela allait de la place de l’anxiété face aux changements climatiques ou de la performance à la sexualité en passant par l’amitié, les enjeux de genre et des enjeux propres aux communautés LGBTQ+. Une grande place était aussi consacrée à l’environnement dans les préoccupations des jeunes. Cela m’a beaucoup guidée tout au long du travail éditorial pour approcher les auteur·es. Par ailleurs, nous croyons fortement en la nécessité de transmettre les thématiques que nous abordons déjà pour les adultes aux jeunes. Il faut donc trouver un équilibre entre les sujets que nous voulons proposer à réfléchir et ceux qu’il faut absolument aborder pour répondre à leurs préoccupations. Évidemment, les deux peuvent se rejoindre.
AB ! : Un premier essai porte sur l’amitié. Écosociété étant une maison d’édition qui aborde surtout des enjeux sociaux et écologiques, je suppose qu’il y avait là un certain défi d’articuler l’intime et le politique ?
P. G. : Cet essai sur l’amitié, il est tout à fait dans l’esprit de la collection Radar. L’amitié, c’est beaucoup plus subversif qu’on ne le croit ! D’ailleurs le titre est, à cet effet, fort éloquent : S’engager en amitié. Non seulement le lien amical est un outil d’émancipation individuelle, mais il permet également de déconstruire certains modèles sociaux que, trop souvent, on oublie de questionner. Camille Toffoli parle d’amitié d’une façon tout à fait originale et qui fait tellement de bien. Pour faire le lien avec le politique, elle rappelle l’importance d’instaurer des « espaces de vulnérabilité » dans notre rapport à l’amitié. Ces communautés, dans lesquelles on peut parler librement de ce qui nous affecte, peuvent nous donner envie de nous mobiliser pour améliorer nos conditions de vie et celles des gens qui vivent des problèmes semblables aux nôtres.
AB ! : L’autre essai porte sur les GAFAM. Ici, le défi était peut-être la vulgarisation de questions complexes… Comment vous y êtes-vous pris ?
P. G. : Parce qu’il enseigne depuis plus de 30 ans à des ados l’éducation aux médias, l’auteur Philippe Gendreau présente une impressionnante somme d’informations avec une grande simplicité. Il débroussaille le sujet, montre les rouages de ces grandes entreprises, met en évidence certains de leurs côtés plus obscurs tout en démontrant la place prépondérante qu’elles occupent dans nos vies. Nous avons travaillé à responsabiliser, sans culpabiliser. Philippe donne des clés pour ouvrir les multiples portes que ces entreprises ont érigées entre eux et nous. Cet essai va aider les ados à se retrouver dans cet univers complexe.
AB ! : D’ailleurs, j’imagine que le ton à utiliser pour cette collection a dû susciter plusieurs questionnements. Comment être accessible sans être racoleur, comment être pédagogue sans sursimplifier ?
P. G. : C’est là que se trouve le vrai défi pour Radar ! Les auteur·es présentent l’information de manière simple, efficace et concise. Évitant les raccourcis et les longues tirades, on s’adresse à eux et elles en faisant appel à leur capacité à comprendre les grands enjeux sociaux et environnementaux.
Il faut aussi mettre de côté ses a priori et s’abstenir de toute complaisance. Surtout, l’important pour nous est de ne pas sous-estimer les lecteur·rices, ni les prendre de haut, tout en leur offrant des textes accessibles dans une présentation graphique qui va leur plaire et leur donner envie de lire.
Avec les titres de la collection Radar, on souhaite que les essais figurent dans le choix de lectures des ados, au même titre que les ouvrages de fiction.