Écrits sur l’éducation

No 085 - automne 2020

Bertrand Russell

Écrits sur l’éducation

Philippe de Grosbois

Bertrand Russell, Écrits sur l’éducation, Anthologie préparée et présentée par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, Montréal, Écosociété, 2019, 308 pages.

Trois ans après la parution d’Idéaux politiques, Normand Baillargeon, Chantal Santerre et Écosociété récidivent en traduisant et présentant une autre série d’écrits de Bertrand Russell (1872-1970), cette fois sur l’éducation. Non seulement le brillant philosophe britannique a-t-il écrit de nombreux textes à ce sujet, mais Russell a aussi fondé en 1927 l’école de Beacon Hill, avec sa partenaire d’alors, Dora Black. On trouve d’ailleurs dans l’ouvrage un prospectus présentant l’école, de même qu’une belle variété de textes qui permettent de se familiariser avec les idées de Russell en éducation (fondements, curriculum, rapports à la politique et à la pensée critique, rôle de l’université).

« L’autorité, en matière d’éducation, est presque inévitable, et les pédagogues doivent trouver un moyen d’exercer l’autorité tout en respectant l’esprit de liberté », écrit le philosophe dès 1916. De fait, une large part des réflexions de Russell sur ce thème cherchent à affiner cette articulation. Le système d’éducation et les enseignant·e·s doivent tenir les enfants comme des fins en eux-mêmes, et non comme des moyens : « personne n’est apte à être éducateur s’il ne comprend pas que l’élève est un but en lui-même, qui a ses droits à lui et sa personnalité à lui, qui n’est pas simplement [...] un citoyen dans un État » (1928). « Ce à quoi nous devons aspirer, complète-t-il en 1935, ce n’est ni la soumission ni la rébellion, mais un caractère amène, de la bienveillance et de l’ouverture tant aux gens qu’aux idées nouvelles ». Ces principes ont un aspect plutôt avant-gardiste, notamment lorsqu’ils s’incarnent dans l’éducation à la sexualité : en soutenant « une morale sexuelle positive » en 1932, Russell apparaît comme un pionnier du mouvement contemporain sex-positive.

En ce qui a trait à la religion, le penseur britannique fait preuve d’un anti-cléricalisme vigoureux mais nuancé. Certes, l’Église n’a pas sa place en éducation, qui doit s’appuyer sur une démarche rationnelle : « il est impossible d’inculquer l’esprit scientifique aux jeunes gens tant et aussi longtemps qu’il subsiste des propositions tenues pour sacro-saintes  », soutient-il dans « La religion et l’éducation » (1932). Néanmoins, Russell précise que lorsque « l’État est d’une irréligion militante, comme en France, les écoles de l’État deviennent aussi dogmatiques que celles qui sont entre les mains des Églises » (1916) ; un passage qui fait remarquablement écho, un siècle en avance, aux débats sur le port du hijab dans les écoles françaises. Sur l’embauche des enseignants, Russell ajoute dans « Pensée libre et propagande officielle » (1922) que « tenir compte des habitudes religieuses, morales et politiques d’un homme en lui donnant un poste et du travail est la forme moderne de la persécution ». En lisant ces lignes, je n’ai pu m’empêcher de penser à ces étudiantes québécoises en éducation qui ont récemment renoncé à leur choix de carrière parce que de confession musulmane.

Certes, quelques aspects de la pensée de Russell ont mal vieilli, notamment ses positions contre la mixité sociale à l’école, mais globalement, l’ouvrage jette une belle lumière sur la pertinence des idées du philosophe pour l’école du XXIe siècle.

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