Dossier : Québec, ville plurielle

Dossier : Québec, ville plurielle

Que peut-on attendre du tramway ?

Jean Dubé

L’annonce du projet de réseau structurant de transport en commun (RSTC) à Québec a fait couler beaucoup d’encre et nourri de nombreuses tribunes, chacun y allant de son interprétation et de sa lecture. Dans les discussions ayant eu lieu autour du tramway et de ses effets, la science a été mise de côté pour faire place aux opinions. Ce texte propose d’explorer les impacts possibles sur la base de faits, soit d’études reconnues et publiées.

En économie urbaine, on cherche à isoler l’impact économique du transport en commun par la mesure des externalités, c’est-à-dire des effets générés par l’action d’un·e agent·e économique, mais qui touche les autres. Une approche largement répandue consiste à mesurer la volonté de payer pour être situé à proximité de certaines infrastructures urbaines susceptibles de générer des avantages/inconvénients.

Impacts sur les valeurs immobilières

Dans la plupart des cas, les études suggèrent qu’il existe une prime positive liée à la proximité des transports en commun. Évidemment, plusieurs variables modulent l’effet mesuré. Celle-ci est plus forte pour les grandes villes, plus faible pour les services d’autobus, plus élevée pour le train de banlieue, plus concentrée pour le secteur commercial que résidentiel, et généralement limitée à une aire d’influence qui atteint 800 mètres. La formule magique permettant d’estimer l’impact net du tramway à Québec sur la base des études empiriques n’est donc pas si simple…

Une étude réalisée pour la ville de Québec et la ville de Lévis a démontré qu’il existe bel et bien une volonté de payer pour se localiser à proximité du transport en commun. L’implantation des services d’autobus rapide, correspondant aux services Métrobus et Lévisiens, s’est matérialisée en des hausses de prix pour certaines résidences unifamiliales. Les impacts, lorsque significatifs, sont fortement concentrés dans l’espace (à moins de 300 mètres du trajet).

L’implantation des trajets dans les secteurs plus urbanisés a généralement un impact positif, alors que les trajets qui sont situés plus en périphérie, à l’ouest et au nord, n’ont pas eu d’effet significatif sur les valeurs. La prime estimée est largement corrélée à l’indice de marchabilité [1]. Le transport en commun est valorisé là où l’on peut complémenter son utilisation à d’autres activités quotidiennes.

Sur la base de ces résultats, on peut penser que l’impact du tramway à Québec se fera surtout sentir à proximité du tracé et des stations. Les impacts sur les valeurs immobilières se limiteront fort probablement à un rayon de 500 mètres, soit l’équivalent, pour la haute-ville, des secteurs contenus entre le Chemin Sainte-Foy et le Boulevard Laurier / Grande-Allée. On peut aussi penser que le visage de ces secteurs changera graduellement pour faire place à une offre commerciale concentrée le long du trajet du tramway (sur la rue) et autour des stations, et que les loyers commerciaux seront plus fortement touchés à ces endroits.

La hausse des valeurs immobilières dans le périmètre identifié aura fort probablement un impact sur la transformation et l’adaptation du type d’habitation qui se développera dans le futur. On peut d’ailleurs sentir ce phénomène d’adaptation. Des maisons unifamiliales sont achetées, démolies puis reconstruites en des unités de logement multiples de plus petites tailles. À l’heure actuelle, une certaine densification s’effectue progressivement. Cette densification viendra probablement augmenter la marchabilité et, par ricochet, la volonté d’utiliser des transports alternatifs à la voiture, dont le tramway, mais aussi l’autobus et le trambus.

Conséquences négatives : inadéquation spatiale

L’engouement pour le tramway permettra, toutes choses étant égales par ailleurs, d’augmenter les revenus fiscaux de la ville. Ces revenus supplémentaires pourront être utilisés pour défrayer une partie des coûts d’opération, ou encore pour développer certains projets à portée sociale. Cette seconde option s’avère intéressante dans l’optique où la hausse des valeurs immobilières résidentielles ne sera probablement pas sans impact pour les moins fortunés… qui sont généralement les utilisateurs du transport en commun.

Le transport en commun permet, pour plusieurs ménages peu fortunés, de rejoindre leurs lieux d’emplois à un coût raisonnable. Leur éviction, générée par une hausse du prix des loyers dans certains quartiers, contribuera à les exclure davantage du marché du travail. Cet impact (ou dommage) collatéral n’est évidemment pas souhaitable. Cet effet de sélectivité, associé au phénomène de gentrification (ou embourgeoisement), contribue à ce que l’on qualifie, dans la littérature scientifique, d’inadéquation spatiale ou isolement spatial (traduction de spatial mismatch). Éloigner les populations dépendantes du transport en commun peut s’avérer un accélérateur d’inégalités économiques et sociales.

Évidemment, il faut prendre cette prédiction pour ce qu’elle représente, avec toute l’incertitude qu’elle implique. La difficulté d’un tel exercice consiste à évaluer et anticiper la réaction du marché (agents économiques) afin d’identifier les possibles effets collatéraux et de les anticiper le mieux possible pour y répondre adéquatement. Un des défis consiste à bien doser les actions afin de ne pas trop contraindre les agents économiques, tout en contrôlant adéquatement la production d’externalités. Un autre défi consiste à imaginer des solutions pour soutenir une partie de la population pour laquelle le marché n’offre habituellement que très peu de solutions avantageuses.

L’idée derrière le développement du tramway n’est pas d’uniformiser les préférences (et les comportements) et de pénaliser les automobilistes, mais plutôt d’améliorer les milieux de vie en corrigeant, en partie, un déséquilibre qui existe actuellement dans l’offre de transport. La voiture est, et demeurera, un outil important dans la mobilité des individus. Une bonification et une diversification de l’offre de transport s’avèrent importantes si l’on souhaite diminuer l’empreinte écologique liée aux déplacements à Québec et influencer la trajectoire future du développement de l’agglomération. À moins que l’on pense que l’ensemble des autres grandes villes font fausse route et que Québec représentera l’exception à la règle...


[1Indice déterminant la possibilité d’effectuer les activités quotidiennes à pied, tel que calculé par exemple par www.walkscore.com/

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