Les chauffeurs californiens d’Uber resteront des travailleurs indépendants
Résultat d’un référendum à l’indépendance discutable
Géolocalisés, autonomisés, réduits aux conditions de travail et de santé et sécurité minimales, les chauffeurs Uber californiens ont accueilli dans une grande déception le résultat du référendum ayant pour effet d’abolir une loi qui obligeait les géants de la gig economy à les reconnaître comme salariés.
Lors des élections américaines, il est monnaie courante de consulter la population par voie de référendum. En Californie, ce ne sont pas moins de 385 référendums qui étaient organisés en même temps que l’élection présidentielle. La Proposition 22, objet d’une consultation référendaire, visait l’abolition de la loi AB5, adoptée récemment et obligeant les plateformes de services à requalifier les chauffeurs et autres livreurs en salariés et à leur accorder salaire minimum, congés maladie et assurance chômage. Cette loi novatrice avait été très favorablement accueillie par la California Labor Federation, le syndicat se réjouissant à l’époque d’une « immense victoire pour les travailleurs ! ».
Uber, Lyft et quelques autres prétendaient qu’un grand nombre de chauffeurs souhaitent bénéficier d’une flexibilité d’horaire dénuée des contraintes d’un emploi à temps plein. Pour cette raison, ils ont financé une campagne référendaire à hauteur de plus de 220 millions de dollars américains, un montant sans précédent en Californie. Selon le porte-parole de la campagne pour la Proposition 22, soutenue à coup de publicités télé, radio, internet…, les répercussions d’une non-adoption de la proposition auraient été énormes en termes de suppression d’emplois et de service à la clientèle. Quant aux personnes opposées à la Proposition 22, donc favorables au maintien de la loi AB5, ils n’ont pu lever qu’environ 10 millions de dollars et ont multiplié en vain des manifestations.
La question du statut juridique des chauffeurs Uber ne cesse de défrayer la chronique depuis des années. Considérés comme des travailleurs autonomes, ils sont livrés à eux-mêmes en matière de protection sociale notamment. Et il n’est pas uniquement question des chauffeurs Uber, mais aussi des chauffeurs de taxi classiques, qui vivent une grande concurrence que l’on peut qualifier de déloyale. En effet, les plateformes numériques permettent de mettre en relation chauffeurs indépendants et clients, prélevant au passage une commission. Selon Uber, ce n’est pas une organisation de recrutement de salariés, ni une entreprise de transport. Cette entreprise cherche à défendre son modèle économique qui fait des ravages en matière de conditions de travail, que ce soit aux États-Unis ou au Canada.
Les syndicats californiens ne veulent pas en rester là. Ils souhaitent contester la constitutionnalité du statut des chauffeurs, et sont d’ailleurs engagés dans un combat judiciaire depuis plusieurs années.
L’ubérisation n’épargne guère de professions. Aujourd’hui, les chauffeurs et livreurs – et demain, les avocats, les conseillers financiers... Ce n’est pas la numérisation de l’économie qui fait peur, mais le modèle social qu’elle cherche à imposer : un modèle d’indépendance, de libre entreprise, de salariat déguisé contre lequel il faut lutter.
Si l’ubérisation peut permettre dans certains cas à des personnes au chômage de trouver un travail, cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix.