Dossier : Québec, ville plurielle
L’essor de l’extrême droite
La montée des mouvements et partis xénophobes, islamophobes et racistes en Occident n’a pas épargné le Québec, encore moins la ville de Québec. Depuis 2015, une extrême droite organisée y sévit. Si cette extrême droite se nourrit de l’hostilité d’une partie de la population à l’égard des immigrant·e·s et des réfugié·e·s, le discours de plusieurs acteurs médiatiques de même que certains projets de loi contribuent à l’enhardir.
Exception faite du Parti national social chrétien d’Adrien Arcand dans les années 1930 et des bandes skinheads néonazies dans les années 1990, le Québec et la ville de Québec n’ont pas vraiment eu à composer avec l’extrême droite. Celle-ci est demeurée marginale et groupusculaire, incapable de diffuser massivement son message ou d’organiser des événements publics d’une certaine ampleur. La situation change à partir de 2015 alors que surgit une vague de nouveaux groupes : La Meute (2015), Soldats d’Odin-Québec (2015), Atalante (2016), Storm Alliance (2016) et les Threepercenters (2016). Dès lors, une nouvelle extrême droite prend forme au Québec et dans la ville de Québec, lieu de résidence de la plupart des chefs et fondateurs des groupes précédemment mentionnés, qui constitue en plus, étant donné la présence du parlement, un lieu de convergence des mobilisations en tout genre.
Que véhicule cette extrême droite ?
Son discours est à la fois classique de l’extrême droite historique (ultranationalisme, racisme, antisémitisme, etc.) et relativement nouveau sous quatre aspects. Il se démarque par son islamophobie virulente (1), sa dénonciation d’un « sexisme venu d’ailleurs » (2), son intérêt pour l’autochtonie (3) et son instrumentalisation de la notion de laïcité (4). En effet, le discours de l’extrême droite de Québec cible principalement les musulman·e·s ; brandit la menace d’une perte de droits pour les femmes si le Québec accueille ou accommode des gens provenant de pays ne partageant pas « notre » conception des rapports hommes-femmes ; s’intéresse aux autochtones dans l’espoir de les entraîner dans une lutte aux côtés des « Québécois de souche » contre les « étrangers » ; instrumentalise la question de la laïcité pour mener un combat « contre les religions »… celles des « autres », bien entendu.
Que fait cette extrême droite à Québec ?
Entre 2015 et juin 2019, l’extrême droite de Québec a organisé pas moins de 116 activités publiques. Le groupe néofasciste Atalante a été de loin le plus actif, organisant 84 d’entre elles. Atalante est le seul groupe actif de manière constante et récurrente sur le territoire. Les activités et les actions organisées par ce collectif d’une dizaine de personnes sont variées : distribution de nourriture aux personnes en situation d’itinérance le dimanche, commémorations et marches symboliques à la mémoire de Jeanne d’Arc ou des émeutes de la conscription, affichage et tractage, mise sur pied d’un club de boxe, intimidation et actions directes contre des journalistes (CBC, Le Soleil, Vice). Il est à noter que les leaders d’Atalante sont aussi les leaders du Quebec Stomper Crew, une bande skinheads de droite dont des membres ont été reconnus coupables de crimes violents et de trafic de stupéfiants. Mentionnons aussi que des membres d’Atalante font partie du groupe Légitime Violence, groupe musical ayant partagé la scène avec des formations identitaires et néonazies européennes.
La Meute et Storm Alliance procèdent d’une tout autre façon. Plutôt que d’assurer une présence continue sur le terrain, ces organisations tentent de mobiliser le plus massivement possible leurs sympathisant·e·s dans le cadre de rassemblements et de manifestations, conférant à l’extrême droite québécoise un aspect « mouvement social ». Le 20 août 2017, La Meute a mobilisé 400 personnes dans une manifestation contre « l’immigration illégale ». Cette mobilisation a dû faire face à une contre-mobilisation de pareille ampleur qui l’a forcée à se terrer plusieurs heures dans un stationnement à étages puis à marcher sous haute protection policière. Trois mois plus tard, le 25 novembre, c’est Storm Alliance qui parvenait à mobiliser plus de 300 personnes dans les rues de Québec dans le cadre d’une manifestation contre le Parti libéral du Québec.
Un contexte favorable
Il est important de comprendre que cette extrême droite évolue dans un contexte où des facteurs internationaux, nationaux et locaux contribuent à son développement. Au niveau international, l’essor de l’État islamique et la multiplication de ses attentats ont alimenté une islamophobie déjà forte en Occident depuis le 11 septembre 2001, tandis que la crise des réfugié·e·s, survenue dans la foulée du conflit syrien, a augmenté la peur et la méfiance envers les personnes migrantes. Mentionnons aussi que l’élection de Donald Trump en 2016 a donné confiance aux mouvements réactionnaires et xénophobes et leur a démontré qu’une partie significative de l’opinion publique et de l’électorat est désormais réceptive à leur message.
Du côté québécois, la crise des accommodements raisonnables (2007) a eu un impact notable sur l’opinion publique et sur les forces politiques nationalistes (Parti québécois et Coalition avenir Québec), amenant progressivement celles-ci à soutenir un nationalisme identitaire, modéré et opportuniste, faisant la promotion de mesures législatives et administratives censées mettre fin aux querelles amorcées par la crise des accommodements. Le projet de « Charte des valeurs » (2013) et la loi 21 sur la laïcité de l’État (2019) relèvent tous les deux de cette logique. Or, comme le démontre l’économiste Raphaël Langevin dans une étude récemment produite par la Ligue, « les années qui ont suivi l’épisode de la Charte des valeurs du Parti québécois [2014-2017] ont été marquées par une hausse significative des crimes haineux au Québec comparativement aux crimes haineux observés dans les autres provinces canadiennes et à ceux observés au Québec entre les années 2009 et 2013 ». Son étude statistique met en lumière que « les crimes haineux liés à l’origine ethnique et à la religion au Québec ont connu une augmentation respective d’au moins 65,5 % et 64,6 % lors de la période 2014-2017 ». Mentionnons également le rôle joué par le groupe Québecor. En effet, de la crise des accommodements raisonnables à aujourd’hui, le groupe Québecor (Journal de Montréal et de Québec, TVA, LCN, etc.) a été le principal porte-voix des angoisses identitaires liées à l’immigration.
Du côté de la ville de Québec, la présence, la popularité et l’ancrage des radios-poubelles expliquent en partie pourquoi une frange de la population est réceptive aux idées réactionnaires et démagogiques d’extrême droite. Mais au-delà de la sphère médiatique, ajoutons que les groupes d’extrême droite ont bénéficié sur le terrain d’une certaine désorganisation/démobilisation de la gauche antiraciste au milieu des années 2010 tout en exploitant les inquiétudes d’une population locale peu habituée à la diversité culturelle ou ethnique. Québec devient lentement et progressivement une destination pour les nouveaux et nouvelles arrivant·e·s, surtout depuis les années 2000, et cela ne fait visiblement pas l’affaire d’une partie des gens de la communauté.
Les citoyen·ne·s de la ville de Québec doivent désormais prendre acte qu’une extrême droite xénophobe, islamophobe et raciste est active dans leur ville. Il est de la responsabilité des groupes de la société civile locale, particulièrement des groupes communautaires et syndicaux, de rester vigilants et d’agir pour contrer cette montée de l’intolérance organisée. La population locale a aussi un rôle à jouer en s’opposant fermement aux individus et groupes racistes et en occupant l’espace convoité par ceux-ci. Par ailleurs, une réorganisation de la gauche antiraciste et antifasciste allant plus loin que le simple réseautage via des groupes Facebook ne nuirait certainement pas à la cause.
Pour aller plus loin
Cet article s’appuie sur deux rapports récemment publiés par la Section de Québec de la Ligue des droits et libertés :
Raphaël Langevin, « Les projets de loi sur la laïcité augmentent-ils le nombre de crimes haineux au Québec ? », 2019, 26 p.
Pablo Roy Rojas, « Portrait de l’extrême droite à Québec. Organisations, discours et activités des groupes racistes et xénophobes de la capitale nationale », 2019, 31 p.
On peut les consulter en ligne.