Louis Rousseau (sous la direction de)
Le Québec après Bouchard-Taylor, les identités religieuses de l’immigration
Le Québec après Bouchard-Taylor, les identités religieuses de l’immigration, sous la direction de Louis Rousseau, PUQ, 2012, 393 p.
Cet ouvrage comporte deux types d’analyse. L’une, sociohistorique, est entièrement menée par Frédéric Castel sur les Québécois et Québécoises d’origines khmère cambodgienne, tamoule sri lankaise, algérienne et congolaise. L’autre, conduite par différents auteurs, étudie des communautés religieuses qui recoupent partiellement le découpage social effectué par Castel, soit le bouddhisme cambodgien, l’hindouisme tamoul, l’islam de confession sunnite d’origine maghrébine et, enfin, le pentecôtisme d’origine africaine.
Castel montre que les immigrantEs, qu’ils soient réfugiéEs ou non, proviennent de pays qui ont été bouleversés par des guerres ou autres calamités humaines : 20 % de la population cambodgienne sera liquidée durant le règne des Khmers rouges (1975-1979) ; la guerre civile entre Tigres tamouls et le gouvernement cinghalais (1983-2009) engendrera une centaine de milliers de victimes ; le peuple algérien a été pris en sandwich entre les islamistes et l’armée durant les années 1990 ; la première guerre du Congo (1996-1997) suivie de la seconde qui impliquait neuf États africains (1998-2002) feront des millions de morts. L’auteur conclut ainsi son dernier chapitre : « Hormis les pillages et les diverses formes de violence, dont les viols de femmes érigés en arme de guerre, ces luttes armées auront détruit l’agriculture, les infrastructures routières, les écoles et provoqué l’effondrement du système de santé, ce qui rendra la population vulnérable aux épidémies infectieuses (p. 306). » La mémoire de ces immigrantEs est hantée par ces catastrophes, ce que nous oublions trop souvent.
J’ai particulièrement trouvé instructive l’analyse de l’Algérie. Castel présente la diversité des positions politiques et religieuses qui traversent les Algériens, dont les Berbères qui ne sont pas arabes. Il décrit également la « révolution culturelle », engendrée par la scolarisation massive des jeunes femmes et des jeunes hommes, qui a favorisé le passage de la famille étendue à la famille nucléaire et transformé « en catimini » les Algériens, comme l’ensemble des Maghrébins. Cette « révolution » éclaire les origines du printemps arabe.
Les chapitres sur la pratique religieuse donnent un aperçu sur quatre grandes traditions religieuses et permettent ainsi de contrecarrer l’ignorance de la majorité des Québécois à ce sujet.
Ces études montreraient l’ambivalence des immigrants face à la culture québécoise ou canadienne. Ils apprécient la sécurité (ce n’est pas difficile de comprendre pourquoi), les libertés, dont la liberté religieuse, l’État social ou providence, nommément en santé et en éducation et, enfin, une économie prospère, même si plusieurs obstacles les empêchent de bénéficier pleinement de cette prospérité. Ils rejettent le modèle familial où l’autorité du mari sur la femme et celle des parents sur les enfants seraient contaminées par un égalitarisme absolu et une liberté illimitée.
Les études instructives sur les traditions religieuses me paraissent toutefois biaisées par trois vices majeurs.
1. La définition de religion est si large qu’aucun phénomène social ne semble lui échapper.
2. L’étude porte sur des pratiquants de communautés religieuses spécifiques. Or tous les immigrants ne sont pas pratiquants, particulièrement chez les musulmans et les bouddhistes qui prennent respectivement la 21e place et la 23e place sur une échelle du taux de pratique religieuse de 24 positions dont la dernière est occupée par les catholiques du Québec. Même si ce n’est pas l’objectif de Louis Rousseau, les descriptions des communautés religieuses peuvent induire le lecteur à croire qu’elles sont représentatives. Or elles ne le sont pas plus que ne le sont pour l’ensemble des Québécois catholiques ceux qui vont à la messe chaque dimanche.
3. L’ouvrage devait comprendre deux études « dont un malheureux concours de circonstances » non spécifiées a rendu leur contribution impossible. L’une portait sur les adolescents et les adolescentes, ce qui aurait permis de saisir comment les enfants arrivent à combiner la culture de leurs parents à celle de leur pays d’accueil. L’autre étudiait le rapport entre hommes et femmes qui a été radicalement remis en question par le mouvement féministe durant les 40 dernières années. Espérons que ces deux études seront bientôt disponibles.