Les débroussailleurs en arrachent

No 046 - oct. / nov. 2012

Assurance-emploi

Les débroussailleurs en arrachent

Ariane Gagné

On en compte environ 10 000 au Québec. Payés au rendement, ils triment dur dans les forêts denses et éloignées de l’Abitibi, du Lac-Saint-Jean, de la Mauricie ou de la Côte-Nord pour un salaire un tant soit peu convenable. Ils espèrent, une fois la saison terminée, pouvoir retirer le maximum de l’assurance-emploi – lequel plafonne à 485 $ par semaine, est-il besoin de le rappeler – pour pouvoir subsister jusqu’à la saison suivante.

Les journées de travail des débroussailleurs, aussi nommés travailleurs sylvicoles, sont longues et les conditions pénibles en raison de différents facteurs avec lesquels ils doivent composer tels que le poids de l’équipement, les déplacements difficiles, les moustiques ainsi que la chaleur ou le froid. Armés d’une lourde scie à l’épaule qu’ils doivent se procurer eux-mêmes, ils sont appelés du matin au soir par les compagnies forestières qui les engagent à enlever toute la végétation autour des arbres. Cette activité permet aux arbres de se développer plus vite et d’alimenter à un rythme soutenu l’industrie du bois.

Une fois leur contrat terminé, ces travailleurs ne sont pas au bout de leur peine : alors que la durée des prestations de chômage qu’ils obtiendront ne leur permet pas toujours de faire le pont jusqu’à l’autre saison (d’octobre à la fin de mai), ils doivent faire face à une Commission de l’assurance-emploi du Canada dont l’intransigeance à leur endroit frise l’acharnement.

Fraudeurs malgré eux

Le principal problème rencontré par les débroussailleurs et les travailleurs nomades en général auprès du chômage est la notion de « lieu de résidence habituel » contenue dans la loi. Comme celle-ci crée des disparités régionales en termes d’accessibilité au régime, de durée des prestations et, dans certains cas, de taux accordé, la Commission porte une attention particulière à l’application de cette notion. Pourtant, dans certaines situations, le lieu de résidence habituel se révèle très difficile à déterminer.

Comme l’expliquait l’un des débroussailleurs venu témoigner de son expérience lors d’une soirée thématique du Mouvement action chômage de Montréal (MAC), la notion de lieu de résidence habituel est inopérante pour les travailleurs nomades, car elle ne correspond pas à leur réalité : « Notre statut est précisément d’être en constant déplacement. Il est donc certain que nous serons toujours amenés à repasser par un grand centre. Mais la Commission perd de vue qu’on habite un autre lieu durant une partie importante de l’année. Elle est déterminée à nous prendre en défaut. »

Plusieurs travailleurs font leur demande de chômage dans la région où ils ont travaillé (et habité, par le fait même) et où ils espèrent décrocher un nouveau contrat. Lorsque leur plan ne se déroule pas comme prévu, la situation risque de refaire surface un jour ou l’autre à l’assurance-emploi et d’entraîner des réclamations de la part de la Commission : celle-ci leur reprochera alors d’avoir fait leur demande dans une région qui ne correspond pas à ce satané lieu de résidence habituel.

D’autres travailleurs demandent pour leur part du chômage dans la région où ils ont bossé durant plusieurs mois en se doutant qu’ils retourneront en ville. Peut-on vraiment le leur reprocher ? Pourquoi les travailleurs nomades ne pourraient-ils pas bénéficier, au même titre que les personnes qui habitent un endroit situé à cheval entre deux régions, des normes d’admissibilité et du taux de prestations le plus avantageux ? La question mérite d’être posée.

Offensive des conservateurs

La façon qu’a le gouvernement de traiter la situation des travailleurs nomades a pour effet de placer en situation de fraude des personnes qui tentent tant bien que mal de s’en sortir. Ainsi, il n’est pas rare que la Commission exige le remboursement de montants qu’elle juge avoir payés en trop et impose en plus une pénalité monétaire et un avis de violation, si elle estime qu’il y a eu fausse déclaration. Des débroussailleurs, probablement les plus déterminés d’entre eux, entreprennent alors les démarches pour contester ce genre de décision de la Commission. À cet effet, une vingtaine de travailleurs nomades ont été représentés par le MAC depuis un peu plus de deux ans. Le gouvernement a cependant annoncé, dans son dernier budget, l’abolition du système actuel d’appel des décisions et fera des procédures juridiques de contestation une véritable course à obstacles. On peut penser que bien des débroussailleurs renonceront à faire respecter leurs droits devant la complexité de ce processus considérablement alourdi.

Dans son élan pour réduire encore davantage l’accessibilité au chômage, le gouvernement Harper élimine aussi la notion d’emploi convenable contenue dans la loi. Celle-ci accorde au prestataire un délai raisonnable pour rechercher un poste correspondant aux conditions de son emploi précédent. Ce faisant, les conservateurs créent trois différentes classes de chômeurs qui seront soumises à des conditions différentes devant la loi. Les prestataires dits fréquents, c’est-à-dire ceux qui ont déposé trois demandes de chômage et plus au cours des cinq dernières années ou reçu 60 semaines de prestations, seront forcés d’accepter tout emploi dès la première semaine de chômage, à 80 % de leur salaire, sous peine de se voir refuser leurs prestations. À partir de la 7e semaine de chômage, ils devront accepter un emploi à 70 % de leur salaire.

Les travailleuses et travailleurs saisonniers et à statut précaire sont ainsi visés de plein fouet par le gouvernement, qui se prête à leur égard à une discrimination sans nom.

Il n’y a pas à dire, les débroussailleurs n’ont pas fini d’en arracher devant le chômage.

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