Éditorial du no 46 - Maintenant en kiosque
Les urnes et la rue
Commençons par une évidence : la faible quantité de députés que le Parti québécois a réussi à faire élire, le 4 septembre dernier, n’est pas suffisante pour lui assurer une majorité parlementaire. Une période d’incertitude politique est donc à prévoir au cours des prochains mois ou des prochaines années. Combien de temps le gouvernement Marois restera-t-il en selle ? Mystère et boule de gomme. Chose certaine, il ne dispose pas des cinq prochaines années devant lui et une nouvelle élection sera déclenchée dès que la députation du PLQ et de la CAQ le décidera.
Manifestement, le mode de scrutin uninominal à un tour est porteur d’un certain nombre de distorsions. Entre le vote obtenu et le nombre de députés élus, il y a un écart qui désavantage les tiers partis. Un autre phénomène qui mérite d’être mentionné, suite à la récente soirée électorale, est celui de la performance du Parti libéral dirigé par Jean Charest. Rarement un gouvernement a-t-il suscité autant d’insatisfaction tout au long de sa gouverne. Et pourtant, il s’en tire avec un léger retard de 0,7 % dans le suffrage exprimé et un déficit de quatre députés face au Parti québécois. Malgré tous les soupçons qui l’entourent, en terme de corruption et de favoritisme, le Parti libéral est parvenu à maintenir une large part de ses appuis électoraux. L’électorat québécois, pour des raisons qu’il faudra éclaircir, est manifestement réticent au changement et s’est montré très sensible aux appels de voix de sirène prônant la loi et l’ordre. En additionnant les résultats du PLQ à ceux de la CAQ (58 % des voix), force est de constater qu’une bonne proportion de l’électorat a donné son aval à des mesures conservatrices ou réactionnaires.
En revanche, au cours des derniers mois précédents la soirée électorale, nous avons assisté – et participé – à un processus de politisation de la population d’une intensité rarement égalée dans notre histoire. Entre l’offre politique électorale et le printemps érable, un décalage important s’est produit. Cependant, la gauche parlementaire, même en triplant ses appuis électoraux, reste sous la barre des 7 %. Doit-elle disparaître de la scène électorale et laisser la place à deux partis non alternatifs, qui se succèdent l’un à l’autre ? Bien sûr que non. Plus que jamais, il faut éviter le piège du bipartisme parlementaire. Lors de la présente campagne électorale, Québec solidaire a démontré qu’il mérite d’être adéquatement représenté à l’Assemblée nationale. Depuis le temps qu’on en parle, une réforme du mode de scrutin, mettant un terme à « la prime à l’urne », s’impose le plus tôt possible.
La bonne nouvelle en provenance de cette soirée électorale réside en ceci : Pauline Marois, même minoritaire, n’a pas le choix. Elle devra aller de l’avant avec certains éléments de son programme électoral. Pensons ici à l’abrogation de l’inique Loi 12, au gel (« provisoire » dans le cas du PQ) des frais de scolarité, à l’élimination de la taxe santé, à l’ajout de paliers d’imposition pour les personnes gagnant plus de 130 000 $, etc. En fait, plusieurs pans de la « Révolution tarifaire » des Lucides sont en voie d’être retirés du décor. En cela, il faut non seulement remercier les étudiants et étudiantes ainsi que le soulèvement qu’ils ont suscité ce printemps, mais aussi la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, pour son travail soutenu de mobilisation sur cette question, et ce, depuis plus de deux ans. L’engagement citoyen, qu’il débouche sur une victoire électorale ou non, peut avoir des impacts positifs sur notre quotidien.
Que dégager comme conclusion de ces deux événements qui ont marqué l’actualité politique le printemps dernier et en ce début du mois de septembre 2012 ? Le vote n’est pas l’horizon démocratique indépassable de notre époque. Sans égard pour la forme de gouvernement (majoritaire ou minoritaire) qui en résulte, en tout temps, la population doit continuer à exprimer les problèmes criants que les dirigeantes politiques ne veulent ni voir ni entendre. Nous retenons de nos luttes et de nos mobilisations que ce n’est pas en se confinant dans le silence que nous avons été en mesure de faire entendre nos revendications. C’est par nos luttes que certaines de nos revendications ont influencé et changé le cours des choses. Les droits s’arrachent dans et par la lutte. De deux voies, l’électorale ou l’action protestataire solidaire, la deuxième s’impose comme étant nécessaire en tout temps. Notre sort reste entre nos mains.