L’immobilier, pôle d’instabilité

No 046 - oct. / nov. 2012

Économie

L’immobilier, pôle d’instabilité

Philippe Hurteau

Depuis l’an 2000, une même question revient, récurrente : où en est rendue la crise du logement au Québec ? Chaque année, les mêmes constats s’imposent : la crise du logement semble être devenue permanente. Le maintien d’un état de pénurie, couplé avec les hausses de loyers, commence à avoir de sérieux impacts sur le reste du monde de l’habitation. Les loyers à la hausse permettent de justifier une hausse des prix des propriétés (surtout les condos, destinés aux jeunes ménages qui désirent passer du statut de locataire à celui de propriétaire) et, à l’inverse, l’augmentation de la valeur des propriétés justifie chez leurs détenteurs une majoration subséquente des loyers. Les politiques d’accès à la propriété, au lieu de libérer des places dans les logements locatifs pour ceux et celles qui en ont besoin, créent plutôt les conditions de création d’un marché inflationniste qui, à l’aide de fort mouvement de spéculation, pourrait bien mener à la création d’une bulle immobilière.

Marché locatif : pénurie permanente

La pénurie de logements perdure depuis 2000. À aucun moment, en 12 ans, cette pénurie ne s’est résorbée. Au printemps 2012, le taux d’inoccupation des logements locatifs québécois se situait à 2,2 %, soit 0,8 point de pourcentage sous le seuil d’équilibre de 3 %. Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement qu’il n’y a pas suffisamment de logements sur le marché pour répondre à la demande des locataires. Cette situation de rareté force alors de nombreuses personnes à la recherche d’un loyer à se résoudre à occuper un logement qui ne correspond pas à leurs besoins (logement trop grand ou trop petit, mal situé ou hors de prix). Autre conséquence, les propriétaires, qui s’appuient depuis plus d’une décennie sur un marché déséquilibré à leur avantage, en profitent pour hausser les loyers et pour se montrer plus « sélectif » dans leur choix de locataire. Depuis 2000, le coût moyen des loyers au Québec a augmenté, en dollar constant de 2012, de 36,90 $, soit 5,8 % au-delà de l’inflation.

Depuis le milieu des années 1990 – période de la lutte au déficit mené par le gouvernement fédéral – les pouvoirs publics carburent à l’accès à la propriété. Ainsi, l’intervention étatique dans le monde de l’habitation ne se fait plus suivant la stimulation de mise en chantier d’immeubles locatifs ou, mieux, par la construction de logements sociaux, mais bien en facilitant l’accès au crédit pour les ménages désireux d’acheter leur première demeure. En lieu et place d’une politique de logement, le gouvernement fédéral met plutôt en place une politique qui participe à l’explosion de l’encours hypothécaire au Canada (graphique 1) et donc, ultimement, à l’endettement des ménages.

Surchauffe et bulle immobilière

La facilitation de l’accès au crédit participe à maintenir le secteur de l’immobilier dans un état de surchauffe, particulièrement en ce qui concerne les condos. Pour le premier trimestre de 2012 uniquement, les mises en chantiers de ce type d’habitation ont augmenté de 27 % à Montréal, et ce, malgré les risques de saturation qui caractérisent ce sous-marché. Le nombre d’unités de condo achevées, mais invendues est en hausse à Montréal et à Québec (1 800 à Montréal et 350 à Québec), ce qui laisse poindre à l’horizon une crise de surproduction. Pour l’instant, ces risques ne semblent pas trouver écho dans le monde de la vente et de la revente, puisque les prévisions tablent sur une augmentation de 4,4 % des prix des condos en 2012.

La pression commence à se faire forte et un double risque se pointe le bout du nez. D’abord, un risque de dépréciation de la valeur des propriétés. Si le marché atteint et dépasse son seuil de saturation, la valeur des actifs immobiliers de bon nombre de ménages subira une dévaluation. Résultat : ceux qui comptaient sur la poursuite ininterrompue de l’accroissement des prix de revente pour financer l’achat d’une seconde propriété ou pour suppléer à l’insuffisance de leurs revenus de retraite se retrouveront le bec à l’eau. Autre risque : la multiplication des détenteurs d’hypothèque qui se retrouveront dans l’impossibilité de s’acquitter de leur « obligation » de paiement advenant une hausse des taux d’intérêt, hausse qui risque de se concrétiser quelque part en 2014.

La crise étatsunienne de 2008, cette « tempête parfaite » que bon nombre de spécialistes ne croyaient pas possible, pourrait alors se dérouler de ce côté-ci de la frontière si la réalisation simultanée de ces deux risques advenait. Anticipons sur la suite des événements :

  • La valeur des propriétés s’écroule au même moment que les taux d’intérêt augmentent.
  • Ceux et celles qui auront acquis un condo au prix d’un surendettement et qui devront se départir de leur propriété pour cause d’incapacité de paiement se retrouveront avec un actif immobilier dont la valeur est en chute libre.
  • Plusieurs propriétaires seront donc forcés de déclarer faillite, ce qui laissera les banques avec une grande quantité d’actifs immobiliers dévalués impossibles à écouler.
  • Le gouvernement, assureur en cas de défaut de paiement (par le biais des assurances prêts de la SCHL), devra alors se porter à la défense de l’intégrité du système bancaire canadien.
  • Pour injecter des liquidités dans le système bancaire, le gouvernement devra contracter des emprunts à d’autres banques.
  • L’endettement public explosera et, une fois les peurs de débâcle économique passée, la pression politique pro-austérité budgétaire ne sera que plus forte.

Ce scénario catastrophe ne s’est pas encore réalisé. Il n’est ni certain ni inévitable que nous devions voir se répéter le scénario qu’ont connu les États-Unis en 2008. Mais disons que les acteurs du marché immobilier travaillent fort pour nous pousser jusqu’au bord du précipice.

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