Dossier : Financiarisation du (…)

Dossier : Financiarisation du logement - Champ libre au privé

Locataires, on se mobilise !

Martin Blanchard

Comment se battre contre les monstres que sont les grands conglomérats financiers qui, en ce moment même, font main basse sur une bonne partie des logements au Québec et affaiblissent dangereusement les droits des locataires ? Malgré la grande difficulté de lutter contre un tel adversaire, il est possible de se mobiliser et de faire reculer cette menace.

Les conglomérats financiers (fonds de pension, fonds négociés en bourse, compagnies gestionnaires, etc.) sont en expansion rapide dans le secteur locatif. Leur présence devient dominante aux États-Unis et leur part de marché au Canada est estimée à environ 20 % du parc locatif privé. Le Québec tire un peu de l’arrière, mais il n’est pas en reste : la Caisse de dépôt et de placement du Québec est un très gros propriétaire locatif hors Québec (notamment aux États-Unis) qui se vante d’avoir comme stratégie de « hausser significativement les loyers » des logements qu’elle acquiert [1].

Ces conglomérats financiers ne visent pas tant à loger les ménages qu’à extraire le plus d’argent possible des locataires pour le redistribuer à leurs actionnaires et dirigeants. La meilleure preuve de cette démesure est dans leur présence nettement plus importante dans les provinces canadiennes où les protections des locataires sont les plus faibles. Si les conglomérats financiers s’établissent davantage dans ces régions, c’est que leur objectif de faire des profits exorbitants passe par des attaques directes aux locataires : compressions dans les services et entretien, remplacements des locataires en place par des ménages payant des loyers plus chers et hausses abusives à répétition. Les locataires font ainsi face à un système prédateur qui rappelle d’autres époques.

Des situations inacceptables

Les tentatives de déroger aux droits des locataires ne sont pas une nouveauté, mais ces attaques se généralisent aujourd’hui. Dans le but de faire des surprofits, les conglomérats financiers encaissent sans peine les pertes occasionnées par des logements vacants pour mieux faire grimper les loyers de leurs logements plutôt que de les louer à un prix raisonnable. Leur capacité financière quasiment infinie leur permet aussi d’évincer tous les ménages locataires d’un même immeuble sur une longue durée. Les autres types de propriétaires, qui veulent survivre dans ce monde sans pitié, ont vite repris ces pratiques. C’est ainsi qu’on constate depuis plusieurs années une recrudescence des hausses faramineuses de loyer, des rénovictions frauduleuses et des conversions de toutes sortes dans la vocation des logements (hébergement touristique, condos, résidence pour aîné·es) qui évincent tous les ménages d’un immeuble d’un seul trait. Résultat : de plus en plus de ménages se retrouvent à la rue et les loyers des logements disponibles dépassent follement le coût de la vie, comme le montre notre enquête sur le marché incontrôlé des loyers, Sans loi ni toit, qui analyse 50 000 annonces de logements à louer sur Kijiji [2].

Les impacts et les conséquences de ces pratiques, on le devine, sont très néfastes : perdre son chez-soi, s’appauvrir chaque mois, respirer l’air vicié d’un appartement mal entretenu sont des épreuves terriblement dures. Des personnes en meurent et de nombreuses vies sont brisées à tout jamais. Ces tragédies se déroulent derrière des portes closes, mais les travailleurs et travailleuses en intervention d’aide assistent à ces drames au quotidien. Ce ne sont pas seulement les ménages directement touchés par la financiarisation, ainsi que leurs familles et leurs proches, qui en subissent les effets néfastes, c’est tout le filet social qui écope. Tant du côté des groupes logement que des organismes qui travaillent sur des enjeux connexes, les difficultés et la surcharge de travail s’accumulent, le stress et l’impuissance gangrènent les vies et la relève n’a pas trop envie de s’engager.

La machine de la financiarisation du logement fait aussi entrevoir l’inquiétant recul d’une qualité de vie de première importance. Toute personne devrait pouvoir profiter d’un toit permanent, d’un voisinage de confiance, d’un quartier agréable, d’une ville adorée, d’un territoire inspirant. Mais si on laisse les requins de l’immobilier prendre le dessus, il faudra payer le prix pour en profiter. Que faire pour éviter ce désastre ?

Se battre malgré tout

Revenons sur ce qui a été dit. Le Québec résiste un peu mieux à la financiarisation que les autres provinces du Canada, en partie peut-être pour des raisons de langue ou d’un parc immobilier majoritairement composé de constructions de petites dimensions, mais surtout en raison de l’interdiction de hausser les loyers entre les changements de locataires et, de façon générale, à cause d’une législation relativement robuste pour protéger les locataires contre les pratiques abusives (notamment le droit au maintien des locataires dans les lieux mêmes dans le cas de travaux majeurs).

Les gouvernements de droite qui se succèdent au Québec cherchent cependant à affaiblir ces droits durement acquis. Non seulement faut-il combattre cette attaque, mais il est devenu urgent de faire pression pour renforcer ces droits et pour hausser le financement du logement social, puisque les droits des locataires sont mieux respectés lorsque l’offre de logements sociaux répond à la demande. À terme, on peut aussi réfléchir à des mécanismes de protection plus large, telle une imposition fiscale plus agressive du profit immobilier, une limitation du nombre de logements locatifs possédés par un seul propriétaire, une socialisation des immeubles possédés par des propriétaires malveillants, etc.

Il y a très peu de chances pour que nos gouvernements actuels répondent à ces demandes de façon spontanée. Par conséquent, la lutte a pour point de départ une opposition immédiate aux requins de l’immobilier, un cas à la fois, avec constance et acharnement, afin de préserver chaque habitat et éviter de tout perdre. Il n’y a pas de petits gains face à la perte d’un logement. De plus, chacun de ces actes de résistance est non seulement inspirant, il représente un maillon d’une longue chaîne menant à la transformation du social.

C’est ce genre de lutte que mènent les comités logement et les associations de locataires, qui chaque année aident des milliers de ménages locataires du Québec à améliorer leur sort, à garder leur logement, à tenir tête à des demandes abusives, à mettre en marche des projets de COOP et d’OSBL d’habitation et revendiquer plus de justice sociale. Nous savons aussi que des groupes locaux de voisins de paliers et de ruelles, des associations étudiantes et des groupes d’entraide, inspirés par le combat quotidien des groupes logement, travaillent énergiquement à réaliser ces mêmes objectifs. C’est sur cette base militante et engagée que la lutte se dessine.

La financiarisation que nous observons maintenant annonce une nécessaire extension de la lutte pour le droit au logement. Pendant que la planète se meurt et que la plupart des gens habitent des logements précaires et souvent trop chers, les plus riches se pavanent dans des demeures absurdement immenses, bien trop grandes pour leurs besoins. Cette situation ne peut perdurer.

Des organisations efficaces

Résister à cette folie, c’est possible au Québec. Les groupes logement sont rassemblés sous deux grandes bannières : d’une part, le Regroupement des comités logement et associations de locataire du Québec (RCLALQ) coordonne les luttes en matière de logement privé, et d’autre part, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) coordonne les luttes pour le logement social. De plus, les groupes de défense de droit en logement sont concertés dans les grandes luttes nationales pour l’avancement des droits sociaux.

Des gains importants ont été faits dans le passé grâce à cette concertation de la société civile, plutôt unique au monde. Il est plus que permis d’espérer faire reculer les conglomérats financiers si la mobilisation prend son essor, en commençant à la base, par une mobilisation pour aider notre voisin·e à garder son logement et à refuser sa hausse de loyer. Ça se poursuit avec des actions militantes pour un gel immédiat des loyers, un contrôle obligatoire des loyers (comme le revendique la campagne du RCLALQ « Les loyers explosent, un contrôle s’impose ») ainsi qu’un contrôle sévère de toutes les pratiques qui peuvent mettre fin à un bail (reprise, rénoviction, etc.) Et encore par des actions et occupations exigeant un réinvestissement massif dans le logement social.

Le premier pas consiste à prendre conscience de notre force collective. Les groupes logement locaux sont des ressources formidables pour faire ce premier pas ; leurs coordonnées se retrouvent sur les sites Web du RCLALQ et du FRAPRU.


[1« Un des pires deals de l’histoire de la Caisse », Journal de Montréal, 19 juin 2021. En ligne : www.journaldemontreal.com/2021/06/19/un-des-pires-deals-de-lhistoire-de-la-caisse

[2RCLALQ, Sans toit ni loi. Enquête sur le marché incontrôlé des loyers, juin 2022.

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