Dossier : Financiarisation du logement - Champ libre au privé
Parc-Extension : Pas de Plan Marshall en vue, les locataires prennent la rue !
Plusieurs actions et campagnes de mobilisation ont été organisées au cours des dernières années pour dénoncer la gentrification de Parc-Extension et réclamer une meilleure protection des droits des locataires. La lutte du Comité d’action de Parc-Extension (CAPE), dans un quartier avec de fortes singularités, mérite toute notre attention.
Parc-Extension est un lieu où habitent des personnes à faibles revenus issues de l’immigration de première ou de deuxième génération. Ce quartier fait face à de nombreux changements préoccupants. Les loyers subissent une hausse dramatique, notamment depuis l’ouverture du Campus MIL de l’Université de Montréal à l’automne 2019, tandis qu’un nombre croissant de nouveaux propriétaires tentent d’évincer leurs locataires afin de rendre les logements disponibles pour une « clientèle » plus rentable.
Les différents visages de la gentrification
La gentrification d’un quartier est un phénomène qui s’accompagne presque toujours d’une augmentation des expulsions de locataires à faibles revenus, afin de céder la place à de nouveaux résidents et de nouvelles résidentes plus fortuné·es, ou encore, particulièrement dans le cas de Parc-Extension, à des personnes qui sont arrivées récemment au pays et qui ne savent pas qu’elles se font avoir par leur propriétaire en payant trop cher pour des logements mal rénovés. Un nombre croissant de propriétaires harcèlent leurs locataires ou rendent leurs conditions de logement insupportables (en se montrant insistants, en refusant des réparations nécessaires, en introduisant des recours frivoles ou en rendant l’immeuble dangereux) pour les forcer à quitter. D’autres effectuent des reprises de mauvaise foi, en prétextant, par exemple, que leur mère va se loger dans l’appartement. Celui-ci demeure vacant pendant des mois et finit par être mis en location avec un loyer deux à trois fois plus élevé qu’auparavant. Nous observons aussi une « gentrification par abandon » [1], avec de nouveaux propriétaires qui utilisent les problèmes de structure, de salubrité et d’entretien dans leur immeuble afin de forcer une évacuation des locataires, avec le soutien des services d’inspection de la Ville de Montréal. Cette stratégie leur permet d’expulser leurs locataires sans devoir passer par le Tribunal administratif du logement, tout en sauvant du temps et en économisant sur les frais associés au dossier.
Il importe de souligner que plusieurs locataires de Parc-Extension font face à des obstacles majeurs pour défendre leurs droits. Leurs problèmes sont liés, entre autres, à leur statut d’immigration précaire, à des barrières linguistiques et au racisme systémique. Des propriétaires font effectivement du chantage avec leurs locataires sans statut, en menaçant de les dénoncer à l’Agence des services frontaliers du Canada en cas de litige sur leurs conditions de logement. Les locataires racisé·es font face à de la discrimination sur le marché locatif, particulièrement après une expulsion. Les locataires allophones peinent souvent à accéder aux services qui les aideraient à mieux connaître et défendre leurs droits.
Les résident·es de Parc-Extension avec un statut d’immigration précaire tendent aussi à occuper des emplois très exigeants physiquement et mentalement, qui éreintent leur santé et qui nécessitent de longs déplacements pour se rendre sur les lieux de travail, ce qui limite le temps et l’énergie dont ils et elles disposent pour entamer des recours ou participer à des mobilisations. De plus, l’incertitude dans laquelle ils et elles peuvent demeurer pendant plusieurs années quant à leur possibilité d’obtenir la résidence permanente les accapare et les décourage d’entreprendre des démarches pour améliorer leurs conditions de logement, même avec le soutien de notre équipe. Ces obstacles s’ajoutent aux difficultés liées à la pauvreté, notamment la vulnérabilité face aux imprévus et les problèmes d’accès à la justice.
Adapter les stratégies, multiplier les cibles
Apprendre à reconnaître les manières dont la gentrification se manifeste nous permet non seulement de mieux la comprendre, mais aussi d’y résister plus efficacement. Prendre en compte la diversité et la complexité des obstacles auxquels les locataires de Parc-Extension sont confronté·es nous permet notamment d’identifier des convergences et des projets à développer avec d’autres organisations. En reconnaissant les croisements entre de mauvaises conditions de logement, le fait d’occuper des emplois mal rémunérés et un statut d’immigration précaire, nous avons pu prioriser, au cours de la dernière année, l’établissement d’une collaboration plus étroite entre le CAPE et deux organisations préoccupées par les mêmes problèmes, le Centre des travailleurs et travailleuses immigrant·es (CTI) et Solidarité sans frontières (SSF).
Pour être efficaces, il nous faut multiplier les cibles afin de répondre aux difficultés des locataires de Parc-Extension, par exemple la violence psychologique et parfois physique infligée par les propriétaires, le sous-entretien des immeubles et les obstacles posés par le statut d’immigration précaire. Nous devons également envisager un élargissement de nos revendications : la majorité des mobilisations contre la gentrification dans Parc-Extension ont porté, au cours des dernières années, sur des immeubles et des projets spécifiques, que ce soit l’acquisition d’un terrain par la Ville de Montréal, le blocage d’un projet d’appartements de luxe ou encore des actions de solidarité avec des locataires menacé·es d’éviction. Des efforts supplémentaires méritent d’être investis dans une campagne plus large pour la protection du parc locatif et le développement de logements sociaux dans le quartier.
Continuer le combat
Le succès des luttes contre la gentrification à Parc-Extension dépend de la capacité des personnes et des organisations qui s’engagent à prendre en compte les besoins et les aspirations des locataires, les contraintes auxquelles ils et elles font face, en profitant des ressources et des talents disponibles. Plusieurs locataires qui ont bénéficié du soutien du CAPE pour régler leurs problèmes de logement deviennent des leaders indispensables pour le mouvement. Leur leadership nous aide à défendre les droits des résidents et résidentes du quartier et à améliorer leurs conditions de vie.
L’Office de consultation publique de Montréal a déposé un rapport de plus de cent pages en mars dernier, après une troisième consultation depuis 2007 à propos du Campus MIL, qui appelait à la création d’un « plan Marshall » afin de limiter les effets de la gentrification à Parc-Extension [2]. Ce plan est urgent, mais les villes de Montréal, Québec et Ottawa tardent à le mettre en application. Pour notre équipe, le message est clair : l’établissement d’un rapport de force, le travail d’éducation populaire et l’adaptation constante de nos stratégies aux nouveaux problèmes sont nos meilleurs outils pour soutenir les locataires à faible revenu du quartier et défendre leur droit au logement.
[1] Louise Leduc, « Des locataires dans le flou quant à une évacuation » La Presse, 12 mars 2022. En ligne : www.lapresse.ca/actualites/2022-03-12/parc-extension/des-locataires-dans-le-flou-quant-a-une-evacuation.php.
[2] Zacharie Goudreault, « L’OCPM réclame un « plan Marshall » contre l’embourgeoisement de Parc-Extension », Le Devoir, 30 mars 2022. En ligne : www.ledevoir.com/societe/693483/l-ocpm-reclame-un-plan-marshall-pour-s-attaquer-a-l-embourgeoisement-dans-parc-extension.