Dossier : Financiarisation du logement - Champ libre au privé
Logement social : un travail invisible et essentiel
La pénurie de logements est permanente pour les femmes en situation de handicap qui sont à la recherche d’un appartement qui convient à leurs besoins et capacités. Elle l’est également pour les aînées de la diversité sexuelle qui peinent à trouver des milieux de vie respectueux où elles sont à l’aise de dévoiler leur orientation sexuelle et de recevoir leur famille choisie.
Quel que soit le taux d’inoccupation, les femmes monoparentales affrontent de nombreux préjugés et n’ont qu’un revenu pour loger leurs enfants. Ces familles sont fréquemment à risque d’itinérance.
Le logement social comme solution pour répondre aux mal-logés est souvent abordé de façon quantitative. Le milieu politique promet, par exemple, d’investir 500 millions, d’inclure 20 % de logements sociaux dans les nouveaux ensembles résidentiels ou de développer 6000 unités au cours d’un mandat. Le milieu communautaire revendique 23 000 nouveaux logements sociaux pour répondre aux ménages sur les listes d’attente ou réserver 25 % des logements sociaux aux ménages menés par les femmes. Le milieu de la recherche analyse le rythme de développement annuel qui est, par exemple, actuellement trois fois plus lent que dans les années 1970. Ces chiffres tendent à invisibiliser de larges pans de cette politique sociale qui, depuis une trentaine d’années, repose essentiellement sur le travail du milieu communautaire.
Des groupes féministes ont investi le milieu de l’habitation pour répondre de façon globale aux besoins des femmes qui sont cheffes de familles monoparentales, en difficulté, à risque d’itinérance ou qui fuient une situation de violence. Leurs projets offrent plus qu’un simple logement subventionné. Elles intègrent des considérations liées à la sécurité, au soutien mutuel, aux espaces pour les enfants, au respect de la vie privée et aux opportunités pour la reprise de pouvoir et l’autonomisation. Elles pensent aux services sur place et à ceux qui doivent être disponibles à proximité. Ces organisations développent des projets immobiliers qui comprennent des espaces communautaires comme une cuisine collective, des salons partagés et des salles de rencontres. Ce sont généralement de petits développements qui comprennent entre 10 et 30 unités à la fois pour créer des milieux de vie conviviaux et sécuritaires ce qui s’éloigne de la perspective quantitativiste du logement social.
Revitaliser un secteur et créer du logement pour les mal-logé·es
Depuis 2002, 32 organisations ont développé plus de 42 projets de logements communautaires dédiés aux femmes à Montréal. Ces projets, qui ont ajouté près de 850 logements, ont été rendu possible grâce des programmes et engagements municipaux, provinciaux et fédéraux, comme l’organisation Mon Toit, mon Cartier (MTMC). Leur élan de mobilisation émane d’un effort de revitalisation dans le quartier Bordeaux-Cartierville. Les partenaires communautaires et institutionnels participaient à un état des lieux pour identifier les enjeux qui minent le bien-être de la population et dégager un plan d’action sur dix ans pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Ces démarches ont mis en lumière notamment les problèmes de logement, les besoins des femmes monoparentales et le manque de ressources qui leur sont dédiées.
MTMC répond notamment à un vide : puisque le logement social n’entrait dans le mandat d’aucune organisation du quartier, des intervenant·es se sont mobilisé·es. Ce collectif a par la suite développé un premier projet de logement pour soutenir ces femmes dans un projet de vie pour plus d’autonomie nommé « Grandir jusqu’au toit ! ». Leur projet reposait sur l’achat et la rénovation d’un immeuble résidentiel dans le secteur prioritaire à revitaliser. La rénovation de l’immeuble a été ponctuée de nombreux obstacles qui ont allongé le calendrier de réalisation, engendré des dépassements de coûts et les ont forcés à revoir certaines ambitions du projet. Bien que l’accès à des fonds publics ait permis ce projet, l’équipe de MTMC a dû se tourner vers des dons privés et y consacrer un nombre incalculable d’heures de bénévolat. Malgré tout, cette initiative qui intégrait toute une vision pour les femmes et le quartier a été complétée et accueille maintenant plus d’une dizaine de familles.
Le care : dimension clé du logement social
Le soin (ou le care) est au cœur de cette initiative. Le soin est l’ensemble des attitudes associées à la sollicitude et aux actions concrètes pour veiller au bien des personnes. Il repose sur une multitude de relations multidirectionnelles ayant des degrés variés de formalité, de professionnalisme, de rémunération, de reconnaissance et d’obligations sociales qui permettent de répondre adéquatement aux besoins. En général, le soin passe sous silence, il est banalisé, invisible et pris pour acquis.
Le soin influence profondément l’action des communautés. Cette approche favorise des initiatives comme Mon Toit, mon Cartier qui émergent du constat que certaines familles monoparentales ont des loyers trop élevés, des logements trop petits ou vivent de la violence et de l’instabilité. Ce contexte empêche les mères de pouvoir prendre soin d’elles-mêmes et de leurs enfants, ce qui contribue à leur vulnérabilité. L’exemple de Mon Toit, mon Cartier montre aussi que la communauté n’a pas toujours des moyens suffisants pour répondre aux besoins des familles qui frappent à leur porte. L’organisation ne pouvait garder ces familles à long terme dans leurs programmes résidentiels alors qu’il n’y avait pas assez de logements pour elles.
Les retombées pour la santé
Quelques dizaines de logements ne sont pas suffisants pour résoudre la crise du logement qui creuse, entre autres, les inégalités de santé. Néanmoins, les intervenant·es du milieu voient ces initiatives comme des leviers pour la promotion de la santé des ménages qui y résident. L’accès permet d’abord de transformer les conditions d’habitation pour réduire leur exposition à des risques (comme les moisissures, les violences et le stress). Ensuite, la stabilité que leur procurent ces logements leur donne la possibilité de prendre en main leur santé (comme accéder à des professionnels, améliorer leurs habitudes et suivre les traitements). Cet accès est parfois même facilité par des services et activités offertes sur place. Enfin, l’accès aux programmes leur offre un répit et des opportunités pour développer leur autonomie et leur capacité à accéder aux déterminants de la santé (comme le revenu, les services de garde et l’alimentation).
Comme le souligne l’une des intervenantes à Montréal, cet impact sur la santé et leur autonomisation n’est pas uniforme et immédiat : « Lorsqu’elles arrivent, elles ont un gros poids qui leur tombent des épaules et ça, ça fait des choses complètement différentes pour chacune. Pour certaines, ça donne un boost pour partir puis elles ont un projet de vie à réaliser, qu’elles enclenchent tout de suite. D’autres, qui avaient tellement de poids sur leurs épaules, elles soufflent et ça prend un temps. Il y a celles que les maladies se sont enfin déclarées parce qu’elles étaient tellement tout le temps sur l’adrénaline, sur la nervosité pour tenir pour les enfants qu’elles ignoraient les symptômes… »
Ces logements sociaux, qui ont des impacts majeurs pour celles qui y résident et pour l’action des groupes communautaires, sont marqués par une importante invisibilité. Ces bâtiments, surtout ceux qui sont dédiés aux femmes, cherchent à passer inaperçus dans nos villes, notamment pour éviter la stigmatisation ou encore pour assurer la sécurité de celles qui fuient des contextes de violence.
Les bilans quantitatifs des gouvernements des unités développés cachent que ce sont des communautés qui portent à bout de bras l’idéation, la construction et la gestion de ces merveilleux immeubles. Surtout, ces chiffres masquent les impacts liés, entre autres, au soin et à la promotion de la santé. En espérant que ces quelques pages auront permis de mettre en lumière ce travail invisible et essentiel.