Anne Plourde
Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé
Anne Plourde, Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé, Écosociété, 2021, 288 p.
Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé a comme fil conducteur l’évolution des Centres locaux de services communautaires (CLSC), que l’autrice décrit comme « un modèle socialiste dans une société capitaliste ». Chercheuse postdoctorale à l’Université York et à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), Anne Plourde dresse un portrait éclairant et édifiant des mal aimés CLSC, de leur implantation dans les années 70 à la suite de la Commission Castonguay-Nepveu, qui les destinait à devenir la principale porte d’entrée du système de santé, jusqu’à la réforme Barrette de 2015 qui abolira « les derniers vestiges de démocratie qui pouvaient encore exister dans le système public de santé et de services sociaux » (p. 214).
Pour mieux nous faire comprendre les mérites du modèle initial des CLSC, caractérisé par une équipe multidisciplinaire inspirée des cliniques populaires des années 50 et la participation active des citoyens, Plourde s’intéresse d’abord à l’histoire des luttes contre les effets délétères du capitalisme. Pour l’autrice, la création du réseau public de la santé au Québec, dont l’instauration d’une assurance maladie complète et universelle est le cheval de bataille, apparaît comme l’une des plus éclatantes victoires des mouvements ouvriers, syndicaux et communautaires de l’histoire récente des Amériques, favorisant le passage du Québec d’un « État social sous-développé » à un État social avant-gardiste en Amérique du Nord.
Mais la contre-offensive capitaliste des années 70 et de la vague néolibérale des années 80 et 90 empêcheront le Québec d’opérer véritablement les cinq virages proposés par la Commission Castonguay-Nepveu (1967) qui reprochait déjà au système de Santé d’être « centré sur la médecine curative, l’hôpital et les médecins » (p. 109). Anne Plourde déploie alors une critique rigoureuse et implacable d’un demi-siècle de politiques complaisantes envers tous ceux à qui profite un système hospitalo-centrique comme le nôtre. Cela explique, selon l’autrice, l’incapacité de notre système de santé à répondre adéquatement à la pandémie de la COVID 19.
Dans un dernier chapitre lumineux et pénétrant, Anne Plourde avance six solutions « pour préparer l’après-pandémie en santé et services sociaux ». Elle explique avec éloquence comment le financement du réseau à hauteur des besoins actuels et à venir doit s’accompagner d’un élargissement de la couverture publique à plusieurs services médicaux de première ligne (des soins à domicile à la dentisterie) et du retour du pouvoir décisionnel des « travailleuses de la santé ». Elle souligne aussi l’importance des milieux communautaires dans la transformation « d’un système hospitalo-centrique à un système centré sur la prévention et la première ligne » (p. 263) afin que les services de première ligne soient efficaces et permettent de réduire les dépenses en santé.
« Le retour à un modèle d’établissement inspiré de celui des CLSC est au cœur de cette triple proposition de nationalisation, décentralisation et redémocratisation » (p. 256) du système de santé et de services sociaux. Les propositions d’Anne Plourde paraissent révolutionnaires auprès des timides mesures annoncées par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé. Mais n’est-ce pas inévitable alors que l’on sait que les changements climatiques auront des répercussions importantes sur notre santé et causeront, par conséquent, une pression croissante sur les infrastructures de santé publique ?
Dans la prochaine réforme de la santé, dont nous avons eu un avant-goût au printemps dernier, il y a fort à parier que la « conception capitaliste de la santé », à l’écoute des gestionnaires d’hôpitaux, continuera de mettre à mal le réseau sociosanitaire québécois.