Les souffrances invisibles
Karen Messing, Les souffrances invisibles. Pour une science du travail à l’écoute des gens, Montréal, Écosociété, 2016, 232 pages.
Généticienne et ergonome, Karen Messing est reconnue notamment pour ses recherches sur la santé des femmes au travail. Elle esquisse, à travers une série d’anecdotes saisissantes, les jalons de sa carrière qui lui ont permis de prendre réellement en compte l’expertise des travailleurs et des travailleuses pour l’amélioration de leurs conditions de travail. L’association avec différents syndicats et les efforts déployés par son équipe de l’UQAM ont permis de grandes avancées quant aux normes du travail d’ici et d’ailleurs, et ce livre est une référence pour celles et ceux qui s’intéressent à la question.
C’est en faisant l’analyse de différents milieux de travail, principalement dans des secteurs précaires (marchés d’alimentation, chaînes de production d’usines, restauration, agence de nettoyage), mais aussi dans les systèmes de santé et d’éducation qu’elle nous fait découvrir son constat sur l’acceptabilité généralisée, parfois inconsciente, de l’attribution de tâches plus pénibles et de conditions de travail élémentaires aux personnes au bas de la hiérarchie sociale. Cette notion qu’elle nomme le « fossé empathique » est une composante clé à intégrer dans une réflexion plus large sur la justice sociale et la lutte des classes. Les exemples qu’elle met de l’avant permettent d’ailleurs une remise en question de nos propres perceptions.
Le récit de son parcours personnel et professionnel nous montre bien de quelle façon son approche empathique lui a mis des bâtons dans les roues. N’acceptant pas de laisser dérouter leurs recherches, ses collègues et elle se sont efforcées de défendre auprès des bailleurs de fonds, des employeurs et du milieu scientifique, une science visant le bien-être des salarié·e·s à l’inverse de la tendance pro-entreprise. C’est d’ailleurs par un appel senti à la collaboration des communautés scientifiques, syndicales et communautaires pour la défense d’une science « renforcée, supérieure et utile » qu’elle termine cet ouvrage.