Les coops d’habitation, pourquoi ?

No 077 - déc. 2018 / janv. 2019

Mini-dossier : État du droit au logement au Québec

Les coops d’habitation, pourquoi ?

Benoit Gagné

Se loger est un besoin essentiel – qui le conteste ? Parmi les manières de le faire, la coop d’habitation est excellente pour favoriser un milieu de vie hospitalier, démocratique, solidaire et abordable.

Une coopérative est une entreprise privée dont la propriété et le contrôle sont collectifs. En cela, elle est comme les sociétés par actions qui dominent notre système économique. Toutefois, ce ne sont pas des investisseurs·euses qui possèdent et contrôlent la « coop », mais plutôt une association de membres : des client·e·s ou des travailleurs et travailleuses. Dans les deux cas, les orientations sont décidées démocratiquement en assemblée et un conseil d’administration est élu pour la gestion courante. Des cadres ou d’autres employé·e·s peuvent être embauché·e·s. La coop se distingue par l’égalité de chacun·e dans les votes en assemblée. Aussi, les « profits » doivent y être considérés comme des « trop-perçus » et être réinvestis dans l’entreprise ou reversés sous forme de ristournes aux membres. Par ailleurs, une coop ne peut être vendue. L’élément le plus distinctif d’une coop est son but : se donner des services ou du travail dans les meilleures conditions possible.

« Le coopératisme [...] permet de réconcilier l’économie avec l’homme. [...] Ce système fondé sur la liberté, l’égalité et la solidarité [...] a permis à des millions de personnes de s’initier à la citoyenneté par l’éducation coopérative et la pratique de la démocratie participative. C’est par les hommes et les femmes regroupés dans des cellules démocratiques et coopératives que le monde pourra changer  », explique Claude Béland, ancien président du Mouvement Desjardins, dans un ouvrage sur le sujet [1].

Pour quel projet de société ?

Le coopératisme permet de mettre en place des solidarités sans attendre une transformation globale de la société. Même une perspective anarchiste (celle de Sébastien Faure par exemple) peut considérer que le coopérativisme porte une saine notion d’organisation sociale dans la mesure où il enseigne à ses membres à administrer eux-mêmes et elles-mêmes leurs affaires. La vulnérabilité de sa démocratie à l’accaparement peut être soulignée et davantage encore sa posture non révolutionnaire, tout en le reconnaissant par ailleurs comme « substitution pacifique [...] au régime économique bourgeois » et « réformisme d’action directe, et non étatiste », selon les mots de l’anarchiste français.

Par ailleurs, même des classiques du libéralisme économique comme Walras, von Mises, Lange et Stuart Mill font la promotion du modèle coopératif comme solution à l’inégalité et à l’injustice économique du capitalisme [2]. L’ONU et l’Organisation internationale du travail recommandent d’ailleurs le modèle coopératif. On voit sa viabilité dans une large palette de perspectives et de projets de société.

Une manière différente de se loger

Au Québec, les coops sont amenées par les agriculteurs et agricultrices pour l’approvisionnement, la transformation et la vente. Les Caisses populaires Desjardins sont fondées en 1900 pour les financer. Les coops prennent de la vigueur avec le soutien de l’Église et des syndicats pendant les années 1930. Un conseil québécois est fondé en 1940 et la loi actuelle sur les coopératives est adoptée en 1982. Cette loi encadre leur constitution, leur financement et leur fonctionnement associatif. La production agricole est aujourd’hui majoritairement coopérative et les coops gagnent une place croissante dans les soins de santé, les services sociaux et les services funéraires. Une variété d’autres secteurs est desservie par des coops, incluant ressources naturelles, alimentation, loisirs et culture, restauration et hôtellerie, enseignement, garderies, imprimerie, manufacturier, services professionnels et techniques, transport, technologies de l’information et de télécommunications... et habitation.

La région de Montréal compte 600 coops d’habitation. La plupart sont unies en front commun dans la FECHIMM (Fédération des coops d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain). Celle-ci réunit 460 coops logeant 12 000 ménages. Elle participe à la Table de concertation pour le développement coopératif et mutualiste de Montréal.

Dans une coop d’habitation, les résident·e·s sont locataires tout en étant collectivement propriétaires. Leur association possède et contrôle l’entièreté des immeubles et des espaces communs. C’est la propriété collective qui distingue les coops des immeubles à logements et des maisons à propriétaire unique. Ce trait est partagé avec les condominiums. Les immeubles en copropriété que sont les condos ressemblent d’ailleurs aux coops à plusieurs niveaux.

Le logement est privé dans les deux cas. Dans un condo, il est acheté. Sa rénovation est largement à la discrétion et aux frais de l’acheteur ou de l’acheteuse. Dans une coop, chaque logement est loué. L’association assume les obligations du propriétaire suivant les règles habituelles de la Régie du logement. Les espaces communs et les équipements partagés sont une propriété collective. Cela inclut les fondations, la toiture, etc. Dans un condo, cette propriété est fractionnée selon la valeur des espaces privés. Dans une coop, ils sont la propriété de l’association.

Les décisions collectives sont prises par une association dans les deux cas. L’assemblée des membres de la coop, ou le syndicat de copropriété du condo, décide des règles de régie interne et du règlement d’immeuble. Le droit de vote est proportionnel à la valeur de la propriété dans le condo ; dans une coop, il est égal pour chacun et chacune.

Un conseil d’administration est élu pour la gestion courante. Dans un condo, son mode de nomination peut varier. Dans une coop, la nomination se fait toujours dans une élection par l’assemblée. Le conseil d’administration prend les décisions nécessaires en respectant la régie interne, le règlement d’immeuble et les autres choix de l’association. La sélection des résident·e·s distingue beaucoup les coops, qui peuvent légalement choisir leurs membres en fonction des besoins, des capacités et des valeurs des candidat·e·s et de la coop. En contraste, chaque propriétaire de condo peut vendre à son gré.

La participation aux tâches est au cœur du modèle coopératif. Les membres doivent se partager les efforts qui incombent à un ou une propriétaire en plus de ceux qui soutiennent la vie associative.

Les loyers d’une coop sont habituellement plus bas qu’ailleurs. La gestion à but non lucratif, l’implication des membres et un financement favorable aident à maintenir ces loyers abordables. Une aide fédérale est aussi accordée pour le paiement des loyers d’un tiers des ménages. Une préoccupation pour la mixité sociale justifie de ne pas subventionner tous les ménages d’une coop.

Le financement des coops bénéficie donc moins de l’apport des résident·e·s, mais peut compter sur quelques programmes spécifiques, en plus des prêts bancaires habituels. Les autres types de logements sociaux comme les OBNL d’habitation et les HLM diffèrent en particulier par leur gouvernance. Le conseil d’administration des OBNL d’habitation est composé de gens n’y habitant pas nécessairement et les HLM sont administrés par des représentant·e·s de l’État. Ni la gestion à court terme ni la gestion à long terme ne relèvent de leurs résident·e·s.

Les coops d’habitation offrent donc des logements abordables de qualité et donnent du pouvoir aux membres sur leur environnement. Elles peuvent aussi modérer la spéculation et revitaliser des quartiers. Les coops constituent des communautés d’appartenance qui favorisent la solidarité et l’inclusion. En outre, elles aident le développement de compétences de travail, de gestion et de participation démocratique.

Et nous, là-dedans

Obtenir une place peut être difficile. En effet, les logements en coop sont moins nombreux que la demande. De plus, il peut être ardu de trouver l’information sur les coops, les places disponibles et la manière de postuler. Dans la région de Montréal, la FECHIMM rend disponible une liste de coops affiliées et offre des formations pour aider à vivre en coop (disponible en ligne).

Créer une coop où habiter est un projet laborieux, mais réalisable. Il faut se renseigner sur les lois applicables, le contexte et les enjeux, développer un plan, obtenir le financement et s’entourer des bonnes personnes. La coopérative de développement régional du Québec peut offrir du soutien. Dans tous les cas, il est impératif de sensibiliser les décideurs et décideuses quant à la valeur et aux enjeux des coops [3] !


[1Claude Béland, L’évolution du coopératisme dans le monde et au Québec, Anjou, Fides, 2012, 320 p.

[2Alain Alcouffe, Marius Chevallier et J. Prades, De Walras à Vanek. Coopération et politique, 2013. Disponible en ligne.

[3FECHIMM, Les demandes des coopératives d’habitations : 6 priorités, 2018. Disponible en ligne.

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