Société
L’austérité s’immisce à la Régie du logement
Les mouvements sociaux au Québec se mobilisent massivement contre le paquet de politiques d’austérité introduit au cours de la dernière année par le Parti libéral de Philippe Couillard. Journées de débrayage, manifestations, éducation populaire : on se sert d’une panoplie de moyens afin de contrer la logique du fameux « déficit zéro » et maintenir nos programmes sociaux.
Mais l’austérité, ce n’est pas qu’une simple série de coupes ou une réduction des dépenses. À la base, c’est un processus de redistribution de richesse où on enlève le peu de ressources disponibles aux plus démuni·e·s pour grossir les portefeuilles des plus riches. Pendant que le gouvernement du Québec coupe dans les CPE et le système de santé et vise les régimes de retraite des employé·e·s municipaux, les plus riches et les grosses compagnies continuent d’échapper à une vraie taxation qui permettrait de financer correctement l’ensemble des programmes sociaux. Il s’agit, en effet, d’une redéfinition du rôle de l’État au Québec, celui-ci passant d’un modèle qui se veut protecteur de l’ensemble de la population vers un modèle qui vise à être un simple « rouage de l’économie » parmi d’autres.
Cette transformation n’a jamais été plus claire qu’avec la récente réforme proposée par Pierre Moreau, ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, qui avait pour but de réduire les longs délais d’attente à la Régie du logement.
Le droit au profit avant le droit de se loger
Ce tribunal de l’État, à l’origine conçu en tant que « chien de garde » des droits des locataires, connaît depuis de nombreuses années une énorme dysfonction dont le résultat est de très longs délais pour les locataires qui veulent obtenir une audience afin de régler un problème de logement. Actuellement, les « causes civiles générales » (qui peuvent traiter plusieurs sortes de problèmes comme l’invasion de punaises, la moisissure, les réparations, etc., et qui constituent la majorité des causes introduites par les locataires) prennent en moyenne 21 mois avant qu’une première audience ait lieu. Les délais pour des causes de non-paiement de loyer par exemple – uniquement introduites par les propriétaires évidemment – ont à peine augmenté depuis 1998, la moyenne se situant à 1,4 mois. Il y a clairement une priorisation qui s’est instaurée au fil des années, où le droit au profit prime le droit au logement à tout prix.
Les groupes de défense des droits des locataires décrient cette situation depuis longtemps et proposent des solutions simples et concrètes : que la mise au rôle [1] soit revue pour que toutes les causes soient entendues sur la base du premier arrivé, premier servi, et ce, à l’intérieur de trois mois ; et que toutes les causes urgentes (ayant un impact sur la santé ou la sécurité) soient entendues dans les 72 heures. Afin d’y arriver, un réinvestissement important de la part du gouvernement provincial serait nécessaire. Il y a actuellement 42 régisseurs (juges) à la Régie du logement, chacun·e capable de rendre environ 1 200 décisions par année, soit 50 400 au total. C’est cependant 78 400 nouvelles causes qui ont été déposées au tribunal l’an dernier, ce qui demanderait l’embauche de 23 régisseurs supplémentaires afin de traiter les 28 000 dossiers restants.
Malheureusement, l’intervention récente du ministre Moreau ne s’est surtout pas inscrite dans cette logique. Au lieu d’annoncer des changements à la politique d’embauche de la Régie ou une révision de la mise au rôle des causes, le gouvernement a choisi de recruter quatre nouveaux « greffiers spéciaux » pour traiter encore plus rapidement des causes en non-paiement ! Le Parti libéral du Québec a clairement plié devant la pression des puissants lobbyistes des propriétaires. C’est le modèle classique néolibéral : refiler des ressources publiques vers les plus riches, croiser les doigts et espérer (ou feindre d’espérer) que des bénéfices vont peut-être en découler à la majorité de la population.
Dans la rue
Mais il s’agit d’un modèle qui ne tient plus la route. Des regroupements, collectifs, syndicats et groupes communautaires représentant plusieurs milliers de personnes de partout au Québec ont récemment adhéré à la Déclaration commune pour un réel accès à la justice à la Régie du logement qui dénonce la discrimination implicite dans la gestion de la Régie. Ce n’est qu’un indice parmi plusieurs de la grogne massive de la population du Québec envers son gouvernement, et le rejet total de sa vision de notre société. Ces milliers de personnes joignent leur voix à celles qui criaient récemment dans les rues de Montréal et Québec pour une société plus juste et équitable pour tous et toutes.
[1] La mise au rôle, c’est le processus de priorisation de causes déposées à la Régie du logement, qui détermine la catégorie et la priorité de la demande.