La lutte à la chefferie du Parti québécois
Les angles morts d’une course
Sept mois. Telle est la durée de la course à la direction du Parti québécois (PQ), entre les premières annonces officielles de candidatures et le premier tour de scrutin de la mi-mai. Cette longue période, normalement propice à de riches échanges et réflexions, aura-t-elle bien servi le parti ? A-t-elle pour effet de le remettre en selle et de le positionner clairement sur les enjeux de l’heure ?
Au moment d’aller sous presse, force est d’admettre que cette course, quoique loin d’être terminée, n’aura pas permis au PQ de faire un véritable bilan critique de sa défaite historique d’avril 2014. Les tabous qui étaient ceux du parti il y a un an restent les mêmes aujourd’hui. Il est presque interdit d’y aborder publiquement les questions suivantes : la charte des valeurs a-t-elle mis le feu à la prairie souverainiste ? A-t-on bien fait de vouloir marauder ouvertement l’électorat caquiste ? Un Berlusconi québécois peut-il conserver ses titres de propriété sur l’empire Québecor tout en dirigeant le PQ ? Le parti doit-il être pour ou contre le déficit zéro et les mesures d’austérité ? A-t-il l’intention, s’il prend le pouvoir, de revoir la colonne des revenus de l’État, donc d’imposer les gains sur le capital et d’accroître la part fiscale de la grande entreprise ?
Nécessité de bien lire la polarisation gauche/droite
Signalons d’abord que la défaite du 7 avril, dont les causes sont multiples, peut être envisagée en outre comme une conséquence logique du dévoiement du mandat démocratique obtenu le 4 septembre 2012. Robin Philpot l’analyse fort justement [1], cette courte victoire électorale était la résultante d’une mobilisation citoyenne unique, impulsée elle-même par le mouvement des carrés rouges. Sans l’immense colère populaire contre le gouvernement réactionnaire de Jean Charest, jamais le PQ n’aurait pu prendre le pouvoir [2]. Or, que s’empresse de faire ce parti une fois élu, sinon tourner le dos à la base sociale à laquelle il doit, en partie, son fragile mandat ? Dix-huit mois plus tard, à force de rupture d’engagements électoraux et de catho-laïcité intensive, le divorce était consommé.
Fidèle à lui-même, le PQ répète cette année la même erreur, en s’éclipsant du grand débat social sur l’austérité. Alors que la polarisation sur ce terrain devient chaque jour plus manifeste, le parti préfère éviter le sujet, réputé trop « divisif » pour une soi-disant coalition arc-en-ciel voulant rassembler tous les segments du spectre politique. Sauf que d’une part, ce retrait de la scène sociale isole le parti plus qu’il ne l’aide, en le coupant de toute possibilité de complicité avec les mouvements mobilisés. D’autre part, ce silence sur l’austérité fait de plusieurs favoris dans cette course des complices du programme néolibéral entrepris par le gouvernement.
En guise de chef de l’opposition officielle, quelle crédibilité auraient un Pierre-Karl Péladeau ou un Bernard Drainville de chercher à ralentir ou critiquer le programme d’austérité du PLQ, sachant leur absence d’intérêt pour cet enjeu durant la course ? Dans le fond, le PQ n’entend-il pas profiter du fait que le sale travail de charcutage de l’État soit réalisé par d’autres que lui, l’autorisant ensuite à se présenter en 2018 comme le candidat de la gestion publique feutrée et partenariale ?
La quadrature du cercle
Demeure tout aussi problématique l’éternelle dichotomie entre la prise du pouvoir coûte que coûte et l’authentique loyauté à la mission fondamentale du parti. À ce titre également, la course à la direction du PQ n’aura pas permis, à ce stade, de donner l’heure juste. Il est vrai cependant qu’au cours des six derniers mois, plusieurs candidat·e·s ont adopté une position claire, soit en faveur de l’horizon pragmatique de 2023 (Bernard Drainville et Jean-François Lisée, qui s’est retiré depuis), soit en faveur de l’élection en 2018 sur le thème du référendum rapide sur la souveraineté (Martine Ouellet, Alexandre Cloutier).
Cependant, la tentation de vouloir plaire à tout le monde et la realpolitik électorale semblent faire encore leur effet sur la course, si bien que le prochain chef pourrait vouloir maintenir le flou le plus longtemps possible sur cet enjeu. C’est le pari que fait PKP, lui qui a recours à une nouvelle formule creuse, le désir de « réaliser concrètement l’indépendance du Québec », faisant l’impasse sur la démarche référendaire jusqu’en 2018 au minimum.
Par delà ces considérations, c’est encore une fois la question du rapport péquiste aux autres forces sociales et partisanes qui reste entière. Plutôt que de choisir clairement son camp, le parti semble toujours enclin à vouloir s’en remettre à un sauveur afin de recréer les sacro-saintes conditions gagnantes, grâce auxquelles il récupérerait son hégémonie sur l’agenda national et progressiste. Or, sur ce terrain, il garde au moins deux épines au pied.
Qu’advient-il du virage identitaire ?
D’abord, l’évaluation critique de l’épisode « Charte des valeurs » n’a jamais été faite ouvertement dans les rangs péquistes. La blessure infligée par cette charte à un électorat sensible aux réalités multiculturelles, qui aurait pu être (ou était) sympathique à la cause souverainiste, ne sera pas cicatrisée tant et aussi longtemps que cette évaluation n’est pas effectuée publiquement.
Le PQ tournera-t-il le dos à ses vieux démons ? Le principal protagoniste de la course à la chefferie ne se montre pas très versé dans l’art du débat, lui préférant semble-t-il celui de l’étalage médiatique, voire de l’esclandre. Pour sa part, le chartiste Drainville persiste et signe. Pierre Céré, Jean-François Lisée, Martine Ouellet et Alexandre Cloutier ont pu prendre leurs distances à l’égard des excès et méandres nauséabonds où la charte conduisait. Les éminences grises du nationalisme identitaire, bien que malmenées par les résultats du 7 avril 2014, conserveront-elles malgré tout leur influence prédominante sur le parti ?
L’impossible équation du mode de scrutin
Ensuite, il faut se demander si le mode de scrutin peut encore servir longtemps les intérêts du PQ, sachant la configuration partisane qui prend place au Québec depuis une décennie environ. La part combinée du vote CAQ/ADQ et Québec solidaire se situe, en moyenne depuis 2007, à 30 % des suffrages exprimés, ce qui rend plus difficile la formation de gouvernements majoritaires. Durant la même période, le score électoral moyen du PQ était également de 30 %. Il faudrait un revirement majeur pour que cette caractéristique structurelle du système partisan au Québec soit notablement altérée.
Il s’en faut de peu que le PQ connaisse un jour le sort ayant longtemps été celui de l’ADQ, soit la difficulté de se hisser, aux élections, jusque dans ce que les spécialistes appellent la « zone payante » en nombre de sièges. Autrement dit, les probabilités sont élevées que le mode de scrutin en vienne à désavantager un jour le PQ. Or, jusqu’à nouvel ordre, les péquistes refusent de voir cette éventualité. En matière électorale, le PQ semble rester cramponné à ce qu’on appelle le Winners take all, c’est-à-dire que la seule option envisageable, pour les stratèges du PQ, c’est le « tout ou rien ». Soit on gagne seuls, soit on perd.
Minces consolations
Deux notes positives pour terminer. D’abord, avec cette course à la direction, jamais l’aile gauche du PQ n’aura été aussi visible ces dix dernières années. Jusqu’à la fin janvier, 50 % des candidat·e·s à la direction étaient clairement associés à la gauche du parti, une proportion démesurée lorsqu’on songe au poids réel de ce courant au PQ. Cela aura donné à ce courant une présence médiatique inhabituelle ; cette gauche semble encore bien vivante et expose correctement plusieurs des écueils qu’impliquerait un PQ devenu PKPiste.
Ensuite, la cuirasse du matamore Péladeau n’est peut-être pas aussi blindée que ce à quoi l’on s’attendait. Le favori dans la course déçoit de plus en plus d’observateurs et son apparente supériorité pourrait avoir quelque chose d’artificiel. Peu importe l’issue de cette campagne à la chefferie, le « test de la réalité » hors des cercles du parti attendra le nouveau leader de la formation et tôt ou tard, il/elle devra répondre aux questions les plus difficiles…
[1] Robin Philpot, « Se rappeler constamment d’où vient cette victoire électorale », L’Action nationale, vol. 102, nos 7-8, septembre-octobre 2012, p. 163-167.
[2] Rappelons-nous que chaque fois que le PQ parvient à ravir le pouvoir au PLQ (donc en 1976, en 1994 et en 2012), cela fait suite à une importante mobilisation citoyenne.