Négos 2015
Assauts répétés contre la fonction publique
Un débat fait rage en ce moment au Québec. Il s’agit de celui visant à cibler les mesures nécessaires en vue de rétablir, d’ici 2016, l’équilibre budgétaire. Selon les porte-parole gouvernementaux (Philippe Couillard, Martin Coiteux, etc.) et certains de leurs alliés dociles et serviles (André Pratte, Alain Dubuc, le Conseil du patronat), l’exercice entraîne forcément une stricte limitation des dépenses gouvernementales dont, nous répète-t-on à satiété, « 60 % du total est consacré à la rémunération des employés ». Ce débat n’est pas nouveau et comme nous le verrons, il repose sur une manipulation malhonnête de certaines données.
« Il serait préférable que tous se basent sur les faits... »
– André Pratte, « La diète », La Presse, 2 décembre 2014
Les offres gouvernementales présentées le 15 décembre 2014 aux 541 000 salarié·e·s syndiqué·e·s des secteurs public et parapublic renvoient tristement à du déjà vu et s’avèrent, une fois encore, discriminatoires à l’endroit des femmes puisque celles-ci composent à 75 % ces deux secteurs. Le gouvernement propose à ses employé·e·s un gel de salaire sur deux ans, suivi d’une augmentation annuelle de 1 % pour les trois années suivantes. De plus, maintenant que nous vivons plus longtemps, l’âge de la retraite passerait de 60 à 62 ans et la rente de retraite serait calculée selon la moyenne du salaire des huit meilleures années, au lieu des cinq meilleures comme c’est le cas actuellement.
Historique des offres gouvernementales
Le motif à l’origine d’une telle offre salariale : le gouvernement du Québec a décidé d’assainir les finances publiques. C’est précisément depuis la fin des années 1970 que les dirigeant·e·s de la classe politique québécoise, toujours sous le même prétexte (le « contrôle des dépenses, sans hausser les impôts des contribuables »), mettent tout en place pour tantôt contenir tantôt réfréner la rémunération de leurs employé·e·s syndiqué·e·s. Prouvons-le.
• La négociation de 1978-1979
Lors de cette ronde de négociation, l’intention du gouvernement de limiter la croissance de la rémunération dans les secteurs public et parapublic fut répétée à maintes reprises. Tout au long de celle-ci, le ministre des Finances de l’époque, Jacques Parizeau, redisait continuellement qu’il visait à réduire l’expansion des salaires dans ces secteurs, « autrement il faudrait augmenter les impôts », insistait-il. Le règlement final montre que la formule de la rémunération fut modifiée à l’avantage du gouvernement. Jacques Rouillard note à ce sujet : « [Le gouvernement du Québec] ne consent que la protection du pouvoir d’achat, excluant la participation à l’enrichissement collectif [1] » Depuis, les salarié·e·s syndiqué·e·s ont été obligé·e·s à de nombreuses reprises d’encaisser une détérioration de leur rémunération.
• La non-négociation de 1982
La ronde de non-négociation du début des années 1980 s’inscrit dans le mouvement amorcé par la précédente ronde. Le gouvernement entendait réduire, encore une fois, ses dépenses en haussant la productivité des secteurs public et parapublic et en baissant la rémunération du personnel à l’emploi de ces secteurs. La récession avait eu pour effet de provoquer un manque à gagner de l’ordre de 700 millions de dollars dans les coffres de l’État. Pour remédier à cette carence monétaire, le gouvernement du Québec n’envisageait rien de moins qu’une limitation de la masse salariale dans les secteurs public et parapublic. Dans les faits, les salaires des personnes syndiquées de ces deux secteurs ont été amputés de 20 % du 1er janvier au 31 mars 1983. Ces compressions salariales draconiennes ont été accompagnées, pour l’année 1983, d’un gel salarial.
• La négociation de 1993
En juin 1993, le gouvernement a adopté une loi spéciale, la Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public et le secteur municipal (L.Q. 1993, c. 37), qui a eu pour effet de décréter une prolongation des conventions collectives du 30 juin 1993 au 30 juin 1995. La masse salariale a été amputée de 1 % (c’est-à-dire de 2,6 jours de congé sans rémunération) pour les années 1993-1994 et 1994-1995.
• La ronde de 1997
En février 1997, au nom du « déficit zéro », le gouvernement rouvre les conventions collectives et fixe des objectifs de résultat. Les salarié·e·s syndiqué·e·s des secteurs public et parapublic doivent alors accepter diverses formes de compressions visant la diminution des coûts de main-d’œuvre. L’objectif visé par le gouvernement est le suivant : réduction de 15 000 postes à temps complet. Cible qu’il parviendra à imposer aux organisations syndicales en adoptant une loi spéciale, la Loi sur la diminution des coûts de main-d’œuvre dans le secteur public et donnant suite aux ententes à cette fin (L.Q. 1997, c. 7).
• La ronde de 2003-2005
Lors des négociations qui se dérouleront entre 2003 et 2005, l’équipe ministérielle décide de recourir à la voie autoritaire pour imposer unilatéralement son point de vue. Les négociations se terminent par l’adoption de la Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public (L.Q. 2005, c. 43). Celle-ci touche les employé·e·s du gouvernement et les salarié·e·s travaillant dans les commissions scolaires, les collèges et les établissements du réseau de la santé et des services sociaux. Le but de la loi, tel que défini à l’article 1, vise à « pourvoir aux conditions de travail des salariés des organismes du secteur public dans le cadre des limites qu’impose la situation des finances publiques ». Les conventions collectives sont renouvelées jusqu’au 31 mars 2010. L’annexe 1 fixe la hausse des taux de traitement applicables pour les années 2006 à 2009. Ce taux est établi à 2 % de majoration annuelle. Rien n’est prévu pour les années 2004 et 2005. Les salarié·e·s syndiqué·e·s des secteurs public et parapublic se font donc imposer un gel salarial de deux ans.
• La ronde de 2009-2010
Dans le cadre de cette ronde, le gouvernement du Québec a conclu avec la partie syndicale un contrat de travail de cinq ans (du 1er avril 2010 au 31 mars 2015) comportant une hausse de salaire de 6 % et des ajustements salariaux additionnels pouvant atteindre 4,5 % (1 % pour tenir compte de l’inflation et un éventuel 3,5 % si l’économie du Québec progresse de plus de 17 % de 2010 à 2013 inclusivement). Dans les faits, pour cette période de cinq ans, la hausse de la rémunération se limitera à un maximum de 7,5 % (en incluant l’ajustement salarial de 1 % pour compenser, en partie, l’érosion du pouvoir d’achat).
La manipulation des chiffres
Quiconque se donne la peine de scruter d’un peu plus près certaines données en provenance du Conseil du trésor est en mesure de constater que de 2007 à 2015, le coût de la rémunération, par rapport aux dépenses de programmes, a de fait progressé de 55,8 % à 59,1 %. Un examen un peu plus détaillé fait cependant ressortir que la masse salariale du personnel syndiqué est passée, durant la même période, de 43,4 % à 44 % (une mince progression de 0,6 point de pourcentage) ; alors que celle des professionnel·le·s de la santé a bondi de 8,1 % à 11,2 % par rapport aux dépenses des programmes (une ascension de 3,1 points de pourcentage). Il est donc malhonnête de prétendre que les salarié·e·s syndiqué·e·s sont responsables de l’augmentation de la part de la rémunération sur les dépenses de programmes. Ce pourcentage est plutôt demeuré stable. Il est plus juste de dire que c’est, pour l’essentiel, la masse salariale des omnipraticen·ne·s et des médecins spécialistes qui est à l’origine de cette élévation. Discourir sans tenir compte de ces données ventilées relève de la malhonnêteté intellectuelle.
Des offres gouvernementales illégales ayant un caractère sexiste
Il faut rappeler que les négociations dans les secteurs public et parapublic sont encadrées par la loi intitulée Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic (L.R.Q., chapitre R8.2). Cette loi, toujours en vigueur, prévoit un contrat de travail de trois ans. La présente « offre » gouvernementale, d’une durée de cinq ans, est illégale et elle a la particularité d’être trop restrictive pour les salarié·e·s syndiqué·e·s. Étant donné que la proposition salariale du gouvernement de Philippe Couillard a un caractère sexiste, nous en appelons, entre autres, au Cercle parlementaire des femmes de l’Assemblée nationale et au Conseil du statut de la femme pour contrer ce nouvel assaut ayant pour effet d’amenuiser sérieusement le pouvoir d’achat des salarié·e·s syndiqué·e·s des secteurs public et parapublic. La position que nous avançons trouve son inspiration dans l’extrait suivant du livre de la féministe Thérèse F. Casgrain intitulé Une femme chez les hommes (Éditions du jour, 1971) :
« Aujourd’hui, les femmes n’ont pas à envisager les mêmes difficultés qu’autrefois : elles s’affirment davantage et sont un peu mieux écoutées, mais la société d’égalité entre les hommes et les femmes est loin d’être réalisée. […] Il est beaucoup plus important de s’attacher à des questions fondamentales, par exemple, la parité de salaire, l’égalité dans les avantages économiques […] »
Rappelons que la rémunération globale des employé·e·s de l’État accuse maintenant un retard de 8 % par rapport à l’ensemble des salarié·e·s québécois qui travaillent dans une entreprise de plus de 200 employé·e·s. Cet écart grimpe à 21 % par rapport aux fonctionnaires fédéraux et à 38,6 % quand on établit la comparaison avec les fonctionnaires municipaux [2].
À la lumière de la présente analyse, se pose une question inévitable pour quiconque adhère au principe de l’égalité des sexes : à quand la mise en place d’une politique de rémunération égale, équitable et non sexiste pour les salarié·e·s syndiqué·e·s des secteurs public et parapublic au Québec ?
[1] Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme québécois, Montréal, Boréal, 1989, p. 387.
[2] Institut de la statistique du Québec, Travail et rémunération. Rémunération des salariés. État et évolution comparés. 2014. Faits saillants, Québec, 2014, p. 3.