Éditorial du numéro 98
Pour la survie des services publics
Les difficiles négociations entre le gouvernement et les travailleurs et travailleuses des secteurs public et parapublic du Québec révèlent des enjeux qui vont bien au-delà de relations de travail entre patrons et salarié·es. Ces négociations se font alors que les services publics subissent une importante dégradation, notamment dans le domaine de la santé et de l’éducation.
Les médias le mentionnent régulièrement, nos services publics font face à des problèmes multiples : rareté de main-d’œuvre, manque d’attractivité, conditions de travail difficiles, tâches épuisantes, salaires insuffisants, managérialisation de l’administration des services, incapacité de fournir des services minimaux dont la population a grandement besoin. Tout cela crée un mouvement de spirale vers le bas. Devant le peu d’attention qu’on leur accorde, les services offerts ne peuvent que devenir moins efficaces.
Pourtant, ceux-ci nous semblent plus importants que jamais. Les années d’austérité budgétaire ont montré à quel point leur affaiblissement affecte la population dans ce qui lui est le plus indispensable : la capacité de bien se soigner, de recevoir une éducation de qualité, de répondre aux besoins des personnes marginalisées. La pandémie de COVID-19 a révélé que sans les employé·es de l’État qui ont tenu le fort envers et contre tout, nous n’aurions peut-être pas tenu le coup, en tant que société.
L’attitude du gouvernement du Québec est carrément méprisante pour celles et ceux qui accomplissent ce travail primordial. La CAQ semble très bien intégrer l’idée que tous les individus n’ont pas la même valeur et que certains doivent recevoir de très hauts salaires. Les député·es (avec leur hausse de 30 %), les médecins spécialistes, les entrepreneurs méritent, semble-t-il, ces revenus exceptionnels qui séparent de plus en plus le 1 % des plus riches du reste de la population. Mais celles et ceux qui tiennent en main ce que l’État offre de mieux, qui donnent des services essentiels, peuvent toujours se contenter de beaucoup moins et se débrouiller avec des conditions de travail insatisfaisantes.
Tout cela alors qu’il est de plus en plus difficile de bien gagner sa vie, avec une forte inflation, des loyers de plus en plus inabordables, de fins de mois particulièrement difficiles à boucler. Certes, le gouvernement Legault nous a offert de belles baisses d’impôts, pour lutter contre l’inflation, dit-il. Mais ces dernières ont surtout comme conséquence de réduire le budget de l’État et de rendre encore plus difficile le bon coup de pouce financier dont toute la fonction publique a grandement besoin. En outre, elles ne « profiteront » qu’aux contribuables les plus fortuné·es.
L’extraordinaire mobilisation des syndiqué·es montre bien à quel point leur lutte est essentielle. La grande manifestation du 23 septembre, les votes massifs en faveur de la grève et la solidarité entre les centrales et fédérations syndicales sont des signes évidents d’un attachement à un modèle social qui a fait ses preuves. Le gouvernement semble prêt à le sacrifier, ce modèle, par économies de bouts de chandelle, par ignorance, par son grand attachement à la classe des plus riches.
À À bâbord !, nous soutenons sans réserve le mouvement syndical des salarié·es des secteurs public et parapublic ainsi que le modèle social que celui-ci défend. Nos services publics peuvent et doivent être améliorés : meilleur financement, amélioration des conditions de travail, démocratisation et décentralisation de leur gestion, et les revendications des syndiqué·es s’inscrivent dans cette optique. Mais les négliger, comme le fait actuellement le gouvernement Legault, revient à agir comme un pompier pyromane et à développer considérablement les inégalités sociales.
Dans son immense lucidité, François Legault a attribué sa défaite électorale dans le comté de Jean-Talon à son reniement de la promesse d’un troisième lien à Québec. Aveuglement volontaire, stratégie de diversion ou étroitesse d’esprit ? Peu importe, le propos était offensant. Son refus clair de bien comprendre la situation que vivent tant de Québécois·es révèle à quel point cette administration est de plus en plus inapte à gouverner pour l’ensemble de la population.