Secteur public : premières négociations sous un gouvernement caquiste

No 082 - janvier 2020

Syndicalisme

Secteur public : premières négociations sous un gouvernement caquiste

Philippe Boudreau

En publiant sa mise à jour économique en novembre dernier, le gouvernement de François Legault a défini le terrain sur lequel il veut que se tiennent les négociations du secteur public. Avec ce décor qui se précise, comment analyser la posture dans laquelle se trouvent les organisations syndicales à la ligne de départ ? Les sombres années d’austérité libérale sont-elles terminées ? Le camp syndical pourra-t-il enfin sortir vainqueur d’un bras de fer avec l’État ?

Pour saisir ce qui se dessine dans le secteur public, il faut avoir un portrait clair des orientations budgétaires caquistes en vigueur depuis maintenant 14 mois. S’il y a une chose qu’on peut retenir de la Coalition avenir Québec (CAQ), c’est qu’elle inscrit son œuvre dans le prolongement d’une gestion néolibérale de l’État, moyennant quelques adaptations spécifiques.

Le paradigme conservateur

Le 7 novembre, le bouquet de mesures dévoilées par le ministre des Finances Éric Girard « pour remettre de l’argent dans les poches des contribuables » agit comme un écran de fumée, en dissimulant la poursuite de la rigueur budgétaire. Derrière le vocable de « gestion responsable » des finances publiques, le gouvernement caquiste donne priorité au remboursement de la dette, puis relance quelques dogmes du credo néolibéral désormais familier : contrôle serré des dépenses, équilibre budgétaire, investissements significatifs dans le Fonds des générations et réduction de taxes.

D’abord, notons cet empressement à rembourser la dette. Le gouvernement déclare fièrement avoir atteint « six ans plus tôt que prévu » sa cible consistant à ramener sous la barre des 45 % le ratio dette/PIB. Non contente de cela, la CAQ annonce du même souffle que la nouvelle cible à atteindre désormais consiste à ramener ce ratio à 41 % d’ici 2025. Une pareille urgence à s’attaquer à la dette est inédite et n’a jamais été soumise au débat public durant la campagne électorale de 2018.

Des ressources colossales sont ainsi affectées en priorité à rembourser les créanciers de l’État québécois, et ce, de deux façons. D’abord par remboursement direct de la dette (10 milliards au cours de la dernière année), ensuite via le Fonds des générations. Il s’agit d’un fonds spéculatif et opaque censé générer des intérêts élevés. Ici, c’est la bagatelle de 21,3 milliards de dollars qui est canalisée vers ce Fonds durant les 7 années budgétaires allant de 2017-2018 à 2023-2024.

En affectant à un rythme aussi soutenu des ressources à la dette, les caquistes prolongent à leur manière le cycle austéritaire. Ainsi, le sévère régime minceur imposé par le PLQ depuis 2014 est globalement maintenu ; la CAQ n’entend pas réparer le filet de sécurité sociale lourdement amoché par les libéraux. Tout au plus, elle accepte de consacrer des centaines de millions de dollars à des initiatives très ciblées, comme les maternelles 4 ans, les maisons des aîné·e·s et le tarif perçu pour les enfants en CPE. Les ravages de l’austérité [1] ne disparaissent pas pour autant.

Pire, l’approche budgétaire conservatrice est maintenue dans son ensemble, car le gouvernement fait tout en son pouvoir pour suggérer qu’il n’a à peu près pas de marge de manœuvre. Il est hors de question de restaurer les missions de l’État mises à mal durant l’ère Leitão-Coiteux-Couillard. La priorité absolue donnée au remboursement de la dette devient le moyen par excellence de juguler les dépenses. De la sorte, la boucle austéritaire connaît un nouveau souffle et qui sait si, juste avant les élections de 2022, la CAQ ne mettra pas en sourdine momentanément son obsession pour la dette afin d’octroyer des baisses d’impôts.

Notons aussi cet entêtement à ne pas partager les fruits de la croissance avec les salarié·e·s. Les ténors de la CAQ le répètent à satiété : au Québec, la croissance économique des dernières années est remarquable. Le PIB a beau avoir connu une croissance robuste en 2017, 2018 et 2019, il est hors de question pour le gouvernement de revoir la rémunération ayant été accordée aux salarié·e·s de l’État durant cette période. On leur promet plutôt le taux d’inflation pour les années à venir, donc à partir de 2020.

Dans ses documents budgétaires, le gouvernement caquiste adore comparer le Québec au Canada : croissance économique, création d’emplois, productivité, endettement de l’État, etc. Or, il refuse obstinément de se livrer à une telle comparaison s’agissant d’évaluer la rémunération des salarié·e·s du secteur public. Quand la comparaison avec le Canada sert une vision néolibérale de l’économie et des finances publiques, la CAQ veut bien la faire. Si elle montre éventuellement l’appauvrissement de la fonction publique québécoise, il vaut mieux ne pas la mettre en évidence.

En face, la partie syndicale

Comment se présentent les troupes syndicales dans ce contexte bien particulier ? Constatons d’abord l’éclatement du mouvement syndical du secteur public, qui s’exprime de deux façons : l’absence de front commun et le morcellement des forces en une kyrielle d’organisations. Celles-ci se définissent de plus en plus en fonction de corps d’emplois précis, ayant chacun des intérêts spécifiques. Les nombreuses périodes de maraudage ont contribué à sculpter des organisations qui se méfient les unes des autres, qui sont très jalouses de leur autonomie et très éprises de leur culture institutionnelle propre.

Le repli sur les demandes spécifiques de chaque groupe, demandes qui sont certes légitimes, nuit à une compréhension globale des intérêts des services publics, tant du point de vue de ses usagers et usagères que de celui de ses salarié·e·s. Les syndicats préfèrent centrer leur message sur les conditions de travail bien précises de leurs membres, plutôt que de mettre de l’avant une conception large de l’État-Providence, ce qui impliquerait une réflexion – et un débat de société – sur la dette, la fiscalité, le bien commun et le partage des richesses collectives.

En somme, la partie syndicale n’a pas élaboré un discours contre-offensif à même de saper les fondements de la rigueur budgétaire caquiste, puis éventuellement de défoncer le cadre financier imposé par le Conseil du Trésor. En outre, il n’est surtout pas question de restaurer le niveau de services qui prévalait avant l’instauration des mesures draconiennes de l’austérité libérale.

Il est étonnant que la partie syndicale ne prépare pas ce type de contre-offensive quand on connaît l’ampleur des augmentations salariales formulées (ex. : les enseignant·e·s de la CSQ réclament 8 % dès le 1er avril 2020, en sus des augmentations qui seront accordées à l’ensemble du secteur public). Les moyens de pression déployés seront-ils proportionnels à l’appétit affiché par les organisations ?

Il y a un risque à reprendre de zéro le dialogue avec l’État-patron en tournant la page de la médecine de cheval libérale, sans exiger que soient réparés les pots cassés. Dans les rangs syndicaux, nombreuses sont les personnes qui croient qu’avec la CAQ, la relation avec l’État-patron sera fondamentalement différente, que les années difficiles sont maintenant derrière nous, voire que la CAQ entend corriger les injustices faites historiquement aux salarié·e·s. La magie nationaliste opère toujours et l’aura dont est nimbée la CAQ dans l’opinion publique semble tenir lieu d’horizon indéfectible.

On se retrouve devant cette situation paradoxale où, à toutes fins utiles, les grands paramètres budgétaires définis par la CAQ sont donnés pour de bon. Un peu comme si, du point de vue des syndicats, il était futile de vouloir s’attaquer à ces paramètres en vue de les redéfinir. Encore une fois, la bataille du secteur public ne servira pas à briser le cycle de l’austérité. On visera plutôt le renouvellement mutuellement agréé des conventions collectives (incluant ajustement des salaires au taux d’inflation), avec à la clé quelques avantages bien circonscrits pour des groupes précis, comme les préposé·e·s aux bénéficiaires ou les profs en tout début de carrière.

À l’image du Québec dans la fédération canadienne, les syndicats semblent avoir opté pour la logique de la survivance du minoritaire. Les chancelleries syndicales s’apprêtent à reproduire le rituel de la négociation, sans ébranler le gouvernement ou la paix sociale, ce qui leur permettra à la fois de préserver les appareils syndicaux et de donner aux membres l’impression que le syndicalisme parvient à remplir sa mission, ne serait-ce que marginalement.


[1Voir l’étude de l’IRIS, Détournement d’État. Bilan de 15 ans de gouvernement libéral, Montréal, Lux, 2018, p. 49-89.

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