Les freins d’une résistance

No 082 - janvier 2020

Saguenay–Lac-Saint-Jean

Les freins d’une résistance

Isabel Brochu

Près de 3 000 personnes ont marché pour l’urgence climatique dans les rues de Chicoutimi le 27 septembre dernier. Le projet de gaz naturel liquéfié (GNL) à Saguenay était la principale cible de cette manifestation.

C’est un euphémisme d’affirmer que le projet de construction d’une usine de gaz liquéfié divise la population de Saguenay. En effet, la capacité territoriale de résistance face au projet GNL se heurte à l’inquiétude quant à l’avenir économique de la région. Une brève description de l’ensemble des projets industriels à Saguenay est nécessaire pour comprendre le niveau de complexité auquel est confrontée la population, mais aussi les groupes qui souhaitent résister à ces projets. Cet article se concentre sur la ville de Saguenay et les municipalités de la MRC du Fjord-du-Saguenay, mais ces enjeux dépassent ce territoire.

Niveau de complexité

GNL exige à lui seul une analyse à plusieurs niveaux notamment parce qu’il a été saucissonné en plusieurs sous-projets : gazoduc de l’Alberta à Saguenay, usine de liquéfaction au port de Grande-Anse à La Baie (Saguenay) et transport maritime avec des méthaniers (fjord du Saguenay et fleuve Saint-Laurent). Les processus impliquent directement plusieurs territoires, limites administratives, instances de consultation et niveaux de gouvernement (municipal, MRC, provincial et fédéral). Du point de vue du citoyen, il devient difficile de bien comprendre le rôle des institutions ou de savoir quand et où s’informer. Les organisations profitent de cette confusion pour nier leurs responsabilités face aux demandes citoyennes. Par exemple, toutes les interventions auprès des conseils municipaux sont restées lettre morte. Sur ce sujet, une analyse a démontré à quel point les lois et mesures actuelles, notamment celles sur l’aménagement et l’urbanisme, excluent la participation citoyenne dans ce type de projet où se côtoient les enjeux locaux, supra-locaux et mondiaux [1]. Il y a un autre élément majeur à considérer : GNL n’arrive pas seul dans l’espace public saguenéen. Il fait partie de la stratégie de développement de la zone industrialo- portuaire (ZIP) dont le dénominateur commun est Port Saguenay, l’administration portuaire de la ville.

La construction du gazoduc et de l’usine de liquéfaction de GNL ainsi que son transport par bateau s’ajoutent à trois projets d’approvisionnement pour le développement de la ZIP (gaz naturel, électricité et eau de procédé). S’additionnent aussi trois autres projets industriels : l’usine Métaux BlackRock (MBR), l’usine cryogénique (liée à MBR) et la construction d’un nouveau terminal maritime sur la rive nord du Saguenay (Arianne Phosphate). Si une personne veut comprendre les impacts liés au trafic maritime sur le fjord, elle doit considérer le trafic actuel (installations portuaires de Rio Tinto, terminal maritime de Grande-Anse, les bateaux au quai de croisières internationales à La Baie) et celui des nouveaux projets. Un casse-tête uniquement du point de vue de la disponibilité et de l’accès à l’information où se contredisent allègrement les promoteurs.

Appui massif

La classe politique locale de Saguenay et de la MRC du Fjord-du-Saguenay appuie unanimement tous les projets industriels de la ZIP, que ce soit à travers les déclarations ou résolutions officielles. Les élu·e·s qui ont des réticences sont d’une discrétion absolue, du moins dans l’espace public. Sans surprise, la Chambre de commerce et d’industrie Saguenay-Le Fjord appuie tous les projets. La position éditoriale du journal Le Quotidien y est plutôt favorable de même que la populaire et très conservatrice station Radio X. Les organisations du milieu touristique sont muettes alors qu’elles risquent de subir des conséquences majeures en lien avec ces développements industriels. Sylvain Gaudreault, député de Jonquière, est le seul qui a adopté une position ferme contre le projet GNL. Tous les autres s’en remettent au dépôt des analyses environnementales. Le sujet est chaud et, mis à part le Parti vert, on préfère attendre les résultats des analyses qui arriveront après les élections fédérales. Les retombées économiques et le poids de ces projets sur l’avenir de la région dominent les discours.

La pétition « Oui aux projets Énergie Saguenay, Arianne Phosphate et Métaux BlackRock », portée par un citoyen connu pour défendre aveuglément les grandes entreprises, a recueilli 10 000 signatures. En février 2019, la Chaire de recherche en écoconseil de l’UQAC, sous la direction du biologiste Claude Villeneuve, a signé une entente avec GNL. L’objectif consiste à trouver des solutions pour que le complexe de liquéfaction de gaz naturel soit carboneutre. Pour plusieurs, l’association du « pape » régional de l’environnement au projet d’usine de liquéfaction lui apporte une caution incontestable. Pourtant, leur étude ne concerne que l’usine, sans l’extraction, le gazoduc et le transport maritime. Tous ces silences et appuis, réels ou interprétés, en amènent plus d’un à affirmer que la population entérine tous les projets industriels, dont celui de GNL.

Résistance éclatée

L’organisation de la résistance citoyenne est liée aux différents projets et à leur territorialisation. Le premier groupe à voir le jour a été le Collectif de l’Anse-à-Pelletier, à Saint-Fulgence, qui questionne le projet d’exploitation de la mine du lac à Paul (2013) et la construction du port sur la rive nord dédié au transport du minerai [2]. Le Collectif de la Batture, formé en 2018 à La Baie (rive sud), vise aussi ce port qui sera construit face à leurs habitations. Les autres collectifs locaux se sont ajoutés en 2018 : Bas-Saguenay, Saint-Rose-du-Nord et la secrète Cellule des Abysses. D’autres groupes existent au Lac-Saint-Jean, en Abitibi et sur la Côte-Nord. Animée par un sentiment d’urgence et une volonté de se regrouper, la Coalition Fjord  [3] a été formée en novembre 2018 lors d’une soirée organisée en quelques heures et qui a attiré une centaine de personnes. La Coalition Fjord a choisi de se battre contre GNL, qui constitue le symbole ultime de ce que combattent les groupes environnementaux. La résistance se fait en collaboration avec divers groupes québécois et canadiens (Pacte pour la transition, Eau secours, Fondation David Suzuki).

Malgré cette diversité des fronts, les défis liés à l’organisation d’un mouvement de résistance sont nombreux, les enjeux étant mondiaux, nationaux et locaux. Les collectifs ne visent pas tous les mêmes projets et territoires. Les militantes et militants ne partagent pas les mêmes niveaux de connaissance ni les mêmes intérêts. L’éventail des tactiques et d’actions possibles est élevé, contrairement aux moyens financiers. Cet éclatement ne facilite pas l’élaboration d’une stratégie commune pour faire face à l’appui massif des élites locales ou pour sensibiliser la population aux impacts cumulatifs des projets.

Un des freins importants à la résistance locale, et qu’il ne faut jamais sous- estimer, réside dans les effets de proximité de la communauté. Les individus, entreprises et organisations qui appuient massivement ces projets sont aussi des parents, des employeurs actuels et potentiels, des clients et, surtout, de subventionnaires. On peut y voir une explication plausible (mais partielle) de l’absence d’un positionnement clair de certaines organisations liées de près aux enjeux environnementaux (ex. : Eurêko, organismes de bassins versants, comités ZIP). Tout au plus ont-ils réclamé une seule évaluation environnementale et un prolongement des consultations publiques sur GNL. En juin 2019, le Regroupement national des conseils régionaux s’est opposé au projet de GNL par voie de communiqué. Membre de ce regroupement, le Conseil régional de l’environnement et de développement durable (CREDD) du Saguenay–Lac-Saint-Jean n’a toutefois fait aucune déclaration dans les médias régionaux.

C’est pourtant le développement de la région périphérique du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui se trouve au cœur de ces questions alors que les élites locales et régionales, appuyées par les gouvernements du Québec et du Canada, s’accrochent à un vieux modèle qui n’a plus d’avenir. La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean risque en effet de devenir le dindon d’une farce où les investissements porteurs d’avenir se font ailleurs au Québec, pendant que des compagnies étrangères profitent des derniers soubresauts d’un modèle obsolète.


[1I. Brochu et J.-G. Simard, « Municipalités locales et MRC : proximité avec qui ? », L’Action nationale, juin 2019, p. 136-151.

[2Il y a actuellement trois infrastructures maritimes : installations portuaires industrielles de Rio Tinto à La Baie (bauxite), le quai de croisières internationales (La Baie) et le terminal de Grande-Anse à La Baie qui accueille les projets industriels, dont celui de GNL. Le port sur le versant nord serait la 4e infrastructure portuaire dans un secteur assez restreint du fjord du Saguenay.

[3Voir Valérie Beauchamp, « Une coalition à la défense du fjord », À bâbord !, no 81, novembre 2019.

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