Dossier : Le populisme de gauche. À tort ou à raison ?
Entretien avec Catherine Dorion. Comment dire les choses autrement en politique ?
Pour le meilleur et pour le pire, de l’intérieur ou de l’extérieur, Québec solidaire est parfois associé au populisme de gauche. Chose certaine, le défi de faire connaître et apprécier un programme politique considéré par plusieurs comme radical est toujours grand. Nous discutons de la question avec la députée Catherine Dorion qui, de son côté, a été souvent confrontée à un populisme… de droite.
Propos recueillis par Claude Vaillancourt.
À bâbord ! : Québec solidaire a un message considéré comme assez radical qui effraie une certaine partie de la population – les élites économiques plus particulièrement. Quelle a été votre stratégie pour le rendre plus digeste et accessible ?
Catherine Dorion : En ce qui nous concerne, nous les député·e·s, c’est par une division efficace du travail. Chacun·e est le porte-parole de ses dossiers. Nous sommes un parti décentralisé dans notre façon de fonctionner ; nous n’avons pas une façon unique de parler, de prendre la parole. Personne ne nous dit : voici comment nous allons livrer le message. Nous échangeons nos arguments, nous nous partageons les notes de recherche. Nous choisissons un angle particulier, nous privilégions certains aspects. Il y a autant de façon de procéder qu’il y a de porte-parole. Bien sûr, il y a les deux porte-parole officiels. Mais si je dois m’exprimer, par exemple, sur la crise des médias, personne ne me dira comment procéder. Je connais évidemment la position de QS et je consulte tout le monde – le caucus, les employé·e·s – si je dois ajouter du nouveau. La sagesse collective arrive à une prise de position. Comme j’ai beaucoup creusé le dossier, il est clair que ma position compte pour beaucoup. Quand il faut défendre le dossier, je le fais à ma façon. Pour les autres, c’est la même chose.
ÀB ! : L’accessibilité du message de QS est donc liée à une forme de souplesse dans l’application de la ligne de parti ?
C.D. : Oui, en effet.
ÀB ! : Dans plusieurs pays, c’est une droite radicale et populiste qui recueille le vote des déçus et des laissés-pour-compte de la mondialisation néolibérale. Considérez-vous que c’est aussi le cas au Québec ?
C.D. : Un intellectuel québécois dont j’ai oublié le nom disait que le Québec a l’avantage d’avoir un retard historique. Ce qui est moins vrai aujourd’hui, parce que tout va plus vite, tout se diffuse plus vite, les idées politiques et ce qui alimente les grands mouvements. Mais ce décalage nous a permis de voir arriver ce qui provient de la France, des États-Unis, entre autres, notamment une droite identitaire qu’on appelle « populiste »… Au Québec, on ne sait pas trop si François Legault peut être rattaché à ces mouvements. Mais c’est le cas des chroniqueurs et des chroniqueuses de radio à Québec et de ceux et celles de Québecor. Nous avons là du vrai populisme ! Ce phénomène existe depuis longtemps. Ces gens-là font de la politique tout autant que François Legault et Simon Jolin-Barette. Ils font accroire qu’ils sont les chiens de garde de la démocratie, qu’ils demandent au pouvoir de rendre des comptes. Mais ce sont eux qui devraient rendre des comptes, après tout le travail de modelage de l’opinion publique qu’ils ont accompli, un travail militant, constant, appuyé par des fonds généreux – tout ceci a un effet sur le public. Bien sûr, la popularité des idées de la droite radicale n’est pas liée à ce facteur unique. Il y a aussi des enjeux économiques, sociaux, il y a la présence de mouvements beaucoup plus profonds.
ÀB ! : Vous vivez justement à Québec, au royaume de la « radio-poubelle ». Vous n’avez jamais eu peur d’aller confronter ces médias, de répondre à leurs invitations. Vous avez même tenu une chronique dans une de ces radios. Que retirez-vous de cette expérience ?
C.D. : C’était une expérience très intéressante ! Je ne regrette rien, je serais même prête à réessayer. Hannah Arendt parlait de la banalité du mal et de comment les gens pris dans certains systèmes, qui se trouvent à être des acteurs de mouvements politiques, deviennent néfastes, entre autres en perpétuant des discours haineux, comme celui qu’on entend dans les radios privées de Québec. Mais en même temps, les personnes qui sont dans ces structures ne sont pas de mauvaises personnes… enfin, pour la plupart. Il faut avoir un esprit très, très ouvert pour voir quelque chose de bon chez certaines d’entre elles ! Prenons par exemple l’animateur Sylvain Bouchard, avec qui j’ai partagé le micro. Malgré tout ce que je pourrais lui reprocher, je dois dire que quand je l’avais devant moi, je ne pouvais pas penser qu’il était un mauvais gars. Il joue son rôle d’animateur dans une station de radio de droite, il doit bien le jouer, peut-être sans se poser de questions sur ce que ça donne. Me rendre compte de tout ça m’a beaucoup apporté. J’ai constaté que la tentation est grande de s’acharner contre ces individus, de ne faire que cela. Bien sûr, ils ont souvent besoin d’être remis à leur place, mais ça devient contre-productif de leur accorder trop d’importance. Si on y tient, il faudrait plutôt s’attaquer à ce qui permet à ces médias de répandre du mal.
ÀB ! : QS a toujours soutenu le scrutin proportionnel. Avec la popularité de la radio de Québec, est-ce que cela ne permettrait pas de donner naissance à un parti populiste d’extrême droite ?
C.D. : Le scrutin proportionnel permet à des idées plus radicales d’émerger. Cela ne favorise pas la politique beige et centriste. C’est un risque que nous assumons pleinement. Nous faisons confiance en la démocratie. Nous faisons confiance aux Québécois·es. Quand on fait de la politique, on est scruté de près et on doit rendre des comptes.
ÀB ! : Est-ce que vous considérez que QS a une stratégie populiste de gauche ?
C.D. : Le mot « populiste » est problématique. Il peut être pris dans plusieurs sens. Une des définitions qui me conviendrait c’est : « Faire appel aux émotions dans le but de créer un mouvement populaire ». Le populisme, tel qu’on le comprend maintenant, est beaucoup associé au populisme de droite, qui désinforme, s’acharne sur des minorités, défend des opinions qui s’opposent aux faits. Tout cela est très négatif. Pour quelqu’un qui cherche la vérité, qui veut de la franchise, du réel et une vision plus profonde des choses, ce n’est pas bon. On ne veut pas s’associer à ce mot. Cela peut devenir un problème quand les journaux et les revues comme la vôtre nous demandent : êtes-vous des populistes de gauche ? Mais revenons à l’idée de faire appel aux émotions. On dit que les émotions permettent de manipuler les gens. Mais la droite ne manipule pas seulement avec des émotions. Elle y arrive aussi avec des idées, avec la raison. Moi, je ne cherche surtout pas à manipuler les gens. Ce que j’assume cependant, c’est de dire que la politique ne se fait pas seulement avec des arguments rationnels. La crise du climat en est un bon exemple : tous les arguments rationnels sont du côté des environnementalistes. Mais les gouvernements ne font rien et agissent comme s’ils étaient des climatosceptiques. Ils peuvent se le permettre parce qu’ils sont les plus forts. On a beau avoir raison, ça ne suffit pas pour eux. Il faut à notre tour être les plus fort·e·s. Comment peut-on bâtir une réponse politique plus forte ? Il est impossible d’y arriver sans avoir recours aux émotions. Il faut avoir un influx dans le corps, se sentir soulevé·e·s ! Et quand on parle de soulèvement, on parle d’un accès de colère, mais aussi de joie. Si c’est ça être populiste, je le suis ! C’est surtout être intelligent…
ÀB ! : Partagez-vous vos réflexions avec d’autres partis qui vous ressemblent, La France insoumise, Podemos, Die Linke par exemple ?
C.D. : Oui, il y a des liens. Je suis allée à Bilbao dans un forum de la gauche européenne. J’ai été invitée au grand congrès des DSA (Democratic Socialists of America) aux États-Unis. Des militant·e·s très présent·e·s dans QS continuent de maintenir ces liens, bien humblement. Si nous avions davantage de ressources, nous pourrions développer encore plus ces relations. Mais avec dix député·e·s et une trentaine d’employé·e·s, notre tâche est énorme, nous faisons tous du travail supplémentaire ! On fait donc ces rapprochements à temps perdu… mais il y a très peu de temps perdu pour nous ! De plus, il n’y a pas de réelle équivalence entre eux et nous : ces partis sont gros par rapport à nous et ils sont nationaux, nous, nous demeurons pour le moment pris dans un État fédéral et nous ne sommes pas sur un même pied d’égalité qu’eux. Ils ont des budgets pour l’international, pas nous.
ÀB ! : Votre métier est celui de comédienne. Considérez-vous que cela vous aide quand il s’agit de s’adresser au public, pour bien passer un message ? Comment ce métier prépare-t-il à la carrière de politicienne ?
C.D. : Je ne sais pas trop comment, mais j’ai l’impression que ça me sert. J’ai fait le Conservatoire d’art dramatique à Québec, trois années super intenses, axées sur la pratique. Au théâtre, on se met en danger devant les autres, il faut accepter d’avoir l’air con, de prendre des risques, de se péter la gueule ou de réussir quelque chose d’extraordinaire. Je ne sais pas à quel point ça m’a marqué, mais il y a plein de choses que j’ai intégrées naturellement. Par exemple, faire une pause après avoir dit une idée importante. Et d’autres trucs du genre. Les gens disent : « C’est une comédienne, elle est bonne pour faire semblant. » Non ! Être comédienne, ce n’est pas faire semblant, c’est être vraie ! Et dans mon travail de députée, je n’ai pas à jouer un autre personnage que moi-même.
ÀB ! : On peut dire que les partis de centre gauche, au Québec et ailleurs, ont gouverné un peu comme les gouvernements de centre droit, et ont adopté des politiques qui ont renforcé les élites économiques. Comment QS pourrait-il éviter de tomber dans ce piège ?
C.D. : À l’intérieur de tous les partis, il y a des tensions qui nous incitent à être tantôt plus radicaux, tantôt moins radicaux. Plus on se rapproche du pouvoir, plus ceux qui prétendent qu’il faut être moins radicaux ont du poids. À QS, à mon avis, il faut continuer à avoir une parole radicale, mais en procédant différemment des autres partis, pour que les militant·e·s les plus engagé·e·s continuent à soutenir le parti et ne laissent pas les élu·e·s faire seul·e·s de la politique. Nous ne sommes pas un parti de politicien·ne·s. J’essaie de véhiculer ce message. Je ne sais pas combien de temps je vais rester en politique, pas toute ma vie. Mais pendant mon passage, j’aimerais briser quelques murs, de façon à ce que celles et ceux qui ont envie de se lancer puissent se dire : « Crisse, je peux y aller moi aussi et rester moi-même. » Ces personnes seront attirées par QS non pas pour avoir un emploi, mais pour faire avancer des idées, faire des vagues, garder l’envie de militer.