Gauche politique
Rebondir !
Éditorial du no 68
La période est morose, glauque. L’élection de Donald Trump en est le symptôme le plus troublant : qu’un personnage aussi grossier se retrouve à la présidence de la plus grande puissance mondiale a de quoi décourager les plus optimistes.
Ce n’est hélas que le prodrome d’une percée de la droite réactionnaire dans plusieurs autres pays, en particulier en Europe. Les élections présidentielles françaises de ce printemps se joueront ainsi probablement entre la droite ultra traditionnelle représentée par François Fillon et l’extrême droite incarnée par Marine Le Pen : charmante perspective ! Et cette montée est accompagnée par le recul, sinon le déclin, de la gauche politique un peu partout, notamment en Amérique latine, et de manière très éclatante au Brésil et au Venezuela.
Le Québec échapperait-il par miracle à cette malédiction ? Rien n’est moins sûr. Il est dirigé et dominé depuis plus de deux décennies par une poignée d’affairistes, réunis et acoquinés dans le Parti québécois des Bouchard et Landry d’abord, puis dans le Parti libéral du Québec. Le règne de ce dernier parti risque de se perpétuer à moins d’un sursaut, improbable pour le moment, des forces d’opposition et plus particulièrement d’une gauche capable d’élaborer et de défendre une véritable alternative.
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Deux initiatives récentes donnent à penser que tout n’est pas encore perdu. L’IRIS propose en effet dans un petit livre, Cinq chantiers pour changer le Québec, plusieurs réformes qui pourraient constituer autant d’éléments d’un programme politique à la fois radical et pragmatique. Radical, car il vise à transformer en profondeur la société actuelle et la logique capitaliste qui la fonde. Pragmatique, car plusieurs des mesures proposées seraient réalisables à court et moyen termes, dont la réduction du temps de travail, l’allongement des vacances légales, l’attribution d’un salaire minimum décent et d’un revenu viable pour tou·te·s, un investissement majeur dans le transport collectif, etc. Réunies en faisceau avec d’autres propositions également faisables, elles constituent l’embryon d’un programme politique que pourrait porter une gauche conséquente.
La seconde initiative se situe sur le terrain directement politique, sinon électoral. Prenant la forme d’une consultation et d’une discussion collective, l’entreprise lancée et animée par Gabriel Nadeau-Dubois et le groupe « Faut qu’on se parle » (FQSP), qui a rencontré un incontestable succès dans sa tournée du Québec, doit normalement trouver bientôt un débouché sur le plan de l’intervention politique.
Comment cela se traduira-t-il ? On peut évoquer un certain nombre d’hypothèses dont les suivantes.
La création d’un mouvement d’éducation populaire et citoyenne visant à réunir des militant·e·s sur une base non partisane s’offre comme une première avenue. Le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) a fait cela au début des années 1960. Le Rassemblement pour une alternative politique (RAP) a fait de même à la fin des années 1990. Dans les deux cas, ces mouvements se sont ensuite transformés en partis pour agir sur le terrain des institutions politiques et parlementaires.
L’engagement dans Québec solidaire d’une partie des animateurs·trices de FQSP est aussi une possibilité au moment où la question de la relève se pose dans ce parti. Il est peu probable toutefois que cette option soit le choix de toutes et de tous et il reste à voir comment cette initiative serait accueillie par ceux et celles qui ont participé à la consultation sans s’attendre à ce qu’elle se termine par une option politique singulière comme l’adhésion à QS.
Faciliter une convergence électorale entre Option nationale, QS et le PQ apparaît également comme une hypothèse envisageable et certains organismes et militant·e·s y travaillent. Mais c’est une avenue semée d’embûches, ne serait-ce qu’en raison des objectifs et des intérêts, sur plusieurs points contradictoires, de ces formations.
On peut encore envisager la création d’une sorte de « Front de gauche », différent du prototype français qui réunit essentiellement des organisations politiques. Celui du Québec pourrait regrouper, dans l’optique des élections de 2018, des partis, dont QS, des syndicats, des groupes populaires, des réseaux féministes et écologistes. Mais est-ce réalisable d’ici la prochaine échéance électorale ?
Quoi qu’il en soit de ces spéculations, il est urgent de rebondir politiquement, mais également sur le terrain social. Une résurgence des luttes syndicales, populaires et citoyennes contribuerait au combat pour un véritable changement de système. Faute de quoi, le régime pourri et régressif qui nous afflige, à notre grande honte, risque fort de battre le record de longévité du duplessisme !