Catherine Dorion
Les têtes brûlées
Catherine Dorion, Les têtes brûlées. Carnets d’espoir punk, Montréal. Lux éditeur, 2023.
« Nous sommes un parti décentralisé dans notre façon de fonctionner ; nous n’avons pas une façon unique de parler, de prendre la parole. Personne ne nous dit : voici comment nous allons livrer le message. (…) si je dois m’exprimer, par exemple, sur la crise des médias, personne ne me dira comment procéder. » Ce sont ici les paroles de Catherine Dorion publiées dans le numéro 82 d’À bâbord ! en janvier 2020, c’est-à-dire les mots d’une nouvelle députée de Québec Solidaire (QS) pour qui tout semblait possible, y compris mener une stratégie populiste de gauche. Quatre ans plus tard, le moins que l’on puisse affirmer, une fois terminée la lecture des Têtes brûlées, c’est que, d’une part, le fonctionnement de QS semble avoir changé au fil des dernières années et que, depuis, Dorion a déchanté non seulement sur la vie parlementaire, mais à l’égard de QS lui-même, notamment dans sa manière d’envisager ses relations avec les mouvements sociaux.
En fait, outre le livre de Lise Payette écrit il y a quelques décennies (Le pouvoir ? Connais pas !), rarissimes sont les témoignages de la qualité de ces « carnets d’espoir punk » relatant les coulisses du pouvoir (avec un petit « p »). Carnets qui font réfléchir et que je vous invite à lire sans aucune hésitation, et ce, pour deux grandes raisons.
Primo, l’autrice décrit très bien le malaise ressenti par nombre de sympathisant·es de QS qui, à force de vouloir se montrer respectable, devient aussi beige que n’importe quel autre parti. On dira que c’est ici moins l’affaire de personnalités que de contraintes structurelles-organisationnelles auxquelles doit s’astreindre un parti politique dont les récents succès électoraux ont aiguisé l’appétit du pouvoir. Pourtant, ces carnets nous rappellent que cela n’est pas une fatalité, mais relève bel et bien d’un choix politique, fort discutable au demeurant. Aussi, l’ex-députée de Taschereau ne manque pas d’identifier de nombreuses occasions ratées de la gauche (que ce soit en Grèce ou au Québec) et suggère de réfléchir à la pertinence d’un populisme de gauche qui tenterait de déjouer les attentes de la sphère politico-médiatique obsédée par le ronron des actualités évanescentes ou par le conformisme (vestimentaires, entre autres) des femmes en politique.
Deuxio, Dorion a l’intelligence de lier le singulier au collectif d’une admirable façon. Dans une mise en abyme quasi parfaite, elle démontre le caractère anxiogène, épuisant et dépressif de notre culture en alliant raison et émotion, et ce, dans une langue accessible qui rejette les codes classistes de la politique institutionnelle. On y trouve donc une belle critique du capitalisme dans ses effets atomisants et pathologiques. De là découle sa conception (romantique diront certain·es) de la politique comme médiation créatrice de liens sociaux.
Au cours de l’entretien cité ci-dessus, Dorion avançait que son parti ne devait pas devenir un parti de politicien·nes et parlait déjà de son « passage » en politique comme une opportunité de « briser quelques murs ». Force est de constater que ces derniers étaient plus solides qu’elle le croyait.