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La NUPES devant la présidentialisation du régime français
Les élections législatives françaises, devenues l’objet d’un « troisième tour » visant à faire élire Jean-Luc Mélenchon comme Premier ministre, n’ont pas permis à la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (NUPES) d’obtenir une majorité de sièges à l’Assemblée nationale. Cette alliance historique des trois gauches en France a tout de même permis de combattre la présidentialisation du régime français, et d’envisager une reparlementarisation de ses institutions.
Les élections législatives françaises sont un peu comme nos élections à nous : sur un bulletin de vote, on retrouve le nom d’un·e candidat·e député·e représentant un parti politique, qui sera élu·e dans une des 577 circonscriptions. Sauf à trois exceptions dans l’histoire de la Ve République (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002), la majorité parlementaire a toujours été celle du président.
À la différence des dernières années, les élections législatives françaises de 2022 ont permis de faire émerger un nouvel élément de discours, celui d’un « troisième tour ». Normalement caractérisées par un haut taux d’abstention – surtout chez les jeunes – et un mandat clair donné au président, les législatives se transforment cette année en terrain de lutte, dont l’objectif est de faire « élire » le premier ministre. C’est dans ce contexte que naît la NUPES, un accord historique entre les quatre principaux partis de gauche du paysage politique français, soit le Parti communiste français (PCF), le Parti socialiste (PS), Europe Écologie Les Verts (EELV) et L’Union populaire (UP). Or, cet accord survient après plus d’une décennie de dialogue de sourds entre les « gauches irréconciliables ». Comment cette alliance reconfigure-t-elle le champ politique français ?
Les trois gauches en France : le social, l’écologique et le populaire
La distinction « topologique et ontologique » entre gauche et droite survient en août 1789, dans une des dernières séances de l’Assemblée nationale, en référence à la position des membres dans l’hémicycle [1]. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que la pensée socialiste émerge en France et qu’elle adopte progressivement l’ontologie politique de la gauche. Après la violente répression de la commune de Paris de 1871, cinq courants socialistes se côtoient : celui marxien, mené par Paul Brousse, celui anarchiste, sous l’impulsion de Jean Allemane, puis ceux fédérés respectivement autour de Jean Jaurès, de Jules Guesde, et d’Auguste Blanqui. Cette constellation mène à la création de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) lors du congrès du Globe, en 1905, qui deviendra la première force socialiste jusqu’à la fondation du PS en 1969.
Le PCF naît quant à lui en 1920 lors du congrès de Tour, après une « scission accidentelle » avec le mouvement socialiste. D’abord, la participation du PS au gouvernement de guerre à partir de 1914 crée une première rupture intellectuelle, puis, au moment de la création de la IIIe Internationale par Lénine en 1919, le « bolchevisme à la française » s’impose dans l’imaginaire politique. L’émergence du communisme en France est donc le résultat d’une jeunesse militante, confrontée à la guerre, révoltée face à la participation gouvernementale du PS, et désireuse de revoir la direction du mouvement socialiste. La fondation du PCF, à la suite du congrès de Tour, doit être vue comme la réaction d’une minorité socialiste, influencée par les idées bolcheviques, à changer de nom pour refonder la lutte socialiste autour des idées communistes. Le PCF et le PS se sont historiquement divisé le vote de la classe ouvrière, en incarnant chacun à leur tour une certaine hégémonie sur le discours de rupture face au capitalisme. Réduction du temps de travail, augmentation du salaire minimum, protection des retraites, bref, une lutte frontale face à la concentration du capital.
Le parti EELV, dans sa forme actuelle, apparaît à la suite des Assises Constituantes de Lyon, tenue en 2010, en regroupant ce qui constituait alors deux partis, Europe Écologie et Les Verts. Lors des élections de 1974, ces derniers présentent le premier candidat écologiste en France, René Dumont, qui se démarquait alors par ses positions tiers-mondistes, anticoloniales et écologistes. Toutefois, le discours écologiste a été plus ambivalent, historiquement, dans son rapport à la gauche. André Görtz, l’un des premiers théoriciens de la décroissance, parlait dans un article publié dans les années 1970, de « notre écologie et la leur », en référence à l’accaparement des enjeux environnementaux par les partis de centre et de droite. Encore en 2021, lors des primaires d’EELV, Sandrine Rousseau a perdu la course à l’investiture de justesse sur une campagne écoféministe face à Yannick Jadot, pour qui « l’écologie c’est bien plus que la gauche ».
Jean-Luc Mélenchon s’inscrit en opposition à ces différents courants. Ancien trotskyste, puis membre du PS, il s’en séparera en 2008 après le congrès de Reims, notamment en raison de la victoire de « l’aile droite » du parti. Face à l’échec des propositions de la « gauche socialiste » à l’intérieur du PS, Mélenchon fonde successivement le Parti de gauche, puis le Front de gauche, et finalement La France Insoumise en 2016, devenue l’UP pour les élections de 2022. Il combine ainsi une écologie radicale à ce qu’il nomme la « révolution populaire ».
Pour Mélenchon, ce ne sont pas les travailleurs qui feront la révolution, comme dans l’ethos socialiste, mais plutôt le peuple. Comme il le soulignait dans une entrevue pour Ballast, ce dernier théorise depuis quelques années le rôle du peuple comme le vecteur de transformation à l’échelle nationale : « Une stratégie doit avoir une base matérielle dans la société. Dès lors, une stratégie révolutionnaire doit commencer par répondre à la question : qui est l’acteur révolutionnaire ? » Le rôle de l’UP, ce n’est pas d’être le dépositaire de la parole d’une classe, mais d’incarner la rupture avec le modèle actuel afin d’offrir au peuple la possibilité de choisir la société à instaurer, soit la « révolution citoyenne ».
La NUPES et la reparlementarisation du régime français
L’objectif de la NUPES est de faire converger ces trois gauches – populaire, écologique et sociale – grâce à une alliance politique autour du parti dominant aux élections présidentielles, l’UP. Cette alliance est donc un moment historique, puisqu’elle reconnaît le fondement théorique propre à chaque camp, et qu’elle consacre leurs points communs pour former un gouvernement de cohabitation. Malgré tout, Mélenchon retient de l’acronyme la forme orale « NUPE », reléguant le « social » au silence du langage. Dans cet arrangement de la praxis, le peuple a préséance sur la classe.
Après le premier tour des législatives, le discours de Macron était sans appel : « Nous avons besoin d’une majorité solide pour assurer l’ordre, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières ». Son groupe n’hésite d’ailleurs pas à reprendre les éléments de discours de l’extrême droite : la NUPES serait « anti-républicaine », « indigéniste », « communautariste », « anarchiste » ou encore « bolchévique » – parfois les deux en même temps.
Historiquement, le « barrage républicain » désignait l’alliance de la gauche et de la droite contre l’extrême droite, notamment à partir de l’accession au second tour de Jean-Marie Le Pen lors des élections de 2002. Or, cette fois, la majorité des membres du parti présidentiel En marche, lorsqu’ils étaient exclus du deuxième tour aux dépens de la NUPES et du Rassemblement national, n’ont pas appelé à voter pour la NUPES. Certain·es ont d’ailleurs explicitement appelé·es à faire barrage à la NUPES. Les résultats du second tour n’ont pas permis à la NUPES d’obtenir une majorité de sièges à l’Assemblée nationale. S’il n’est pas exclu que Macron se tourne vers la NUPES pour voter certains projets de loi, ses alliés objectifs se trouvent plutôt du côté des républicains pour trouver une majorité.
Le diagnostic de plusieurs expert·es sur l’état de la démocratie française n’était déjà pas reluisant : présidentialisation du régime, déparlementarisation, le tout accompagné d’un désenchantement démocratique. La panique médiatique sur la « capacité à diriger » de Macron n’en est que la démonstration, qui peut sembler risible depuis le Québec. Pourtant, la campagne menée depuis la réélection de Macron a permis de questionner la présidentialisation croissante du régime politique français. Dans ce contexte, la NUPES n’aura contesté qu’un seul dogme républicain, soit l’idée que « le pouvoir ne se partage pas ». Il faut y voir une source féconde pour la reparlementarisation du régime.
[1] La « gauche » référait alors à la position des élu·es dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire à la gauche de la personne présidant la séance. L’architecture parlementaire est donc un élément central dans la construction de la dichotomie gauche-droite. L’infographie ci-haut des parlements européens, produite par Calliess et Beichelt (2013), permet de cerner l’influence du modèle parlementaire français.