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Mouvement des Sardines en Italie. Un petit poisson contre le fascisme
La voie semble bien tracée pour Matteo Salvini, à la tête de la Ligue, un parti d’extrême droite en Italie. Son discours populiste, raciste, identitaire profite d’un large soutien comme l’indiquent plusieurs sondages et des résultats électoraux à son avantage. Mais la menace d’une victoire de son parti en Émilie-Romagne, une région qui vote depuis longtemps à gauche, a soulevé une vive réaction : un mouvement spontané et original, celui des Sardines.
Le 18 novembre dernier, quatre personnes dans la trentaine ont lancé un appel à se rassembler sur la grande place de Modène, pour protester contre la Ligue. Le symbole de ce mouvement est la sardine, un petit poisson inoffensif. Mais lorsque les manifestant·e·s sont ensemble, tassés comme des sardines, ils ont la force du nombre. L’effigie de l’animal apparaît partout dans les manifestations, sous des formes diverses, de façon humoristique, alors qu’on interdit toute bannière, logo, ou signe d’appartenance à un parti politique ou à un syndicat. En moins d’un mois, les rassemblements se sont succédé, à Bologne, Milan, Florence, Turin, Gênes, Bari, Lecce, avec leur apogée à Rome, alors que 100 000 personnes étaient réunies sur la piazza San Giovanni.
Un renouveau pour la gauche
Alors que la gauche a fait d’innombrables compromis avec le néolibéralisme et que la Ligue triomphe, ce mouvement est un grand vent de fraîcheur. D’abord par son succès spontané. Mais aussi par sa volonté ferme de combattre le retour du fascisme dans ses diverses incarnations. Tout cela de façon non violente et par le biais de l’humour. Les Sardines dénoncent le racisme, la haine, le souverainisme, la violence verbale dans les médias et ailleurs. Ce mouvement se considère comme un antidote au populisme.
Jusqu’ici, il a été particulièrement rassembleur, en unissant des personnes de diverses générations et de diverses tendances politiques (bien que clairement campées à gauche). Il se sert d’outils informatiques pour réunir les gens sur de grandes places, dans de spectaculaires flash mobs. La célèbre chanson Bella Ciao est devenue l’hymne des manifestant·e·s, chanté en chœur sur les grandes places. Le slogan Non se legua s’entend partout, un jeu de mots difficile à traduire, mais qui signifie qu’on ne se « ligue » pas, qu’on refuse de se lier à la Ligue, le parti de Salvini.
La politique autrement
Bien que le mouvement soit sans chef, les médias ont adopté comme figure de proue l’un de ses quatre instigateurs, Mattia Santori, formé en économie et en droit, qui travaille comme entraîneur sportif auprès de personnes handicapées. Propulsé sur toutes les scènes et dans les grandes émissions télévisées, il défend le mouvement avec calme, avec une aisance remarquable et une belle franchise, qui contraste fortement avec la langue de bois des politicien·ne·s du centre et les discours enflammés et réducteurs des partis « antisystèmes » (comme la Ligue et le Mouvement 5 étoiles).
Selon lui, les Sardines ne sont pas contre la politique. Elles se distinguent ainsi du Mouvement 5 étoiles qui s’en est pris régulièrement au système politique – même si, paradoxalement, il se présente aux élections et partage aujourd’hui le pouvoir. Les manifestant·e·s du mouvement des Sardines souhaitent tout simplement que la politique se fasse autrement, avec plus de civisme, de meilleures valeurs et du respect pour toutes les personnes.
Il est difficile d’envisager l’avenir du mouvement. S’agit-il d’un feu de paille ou du début d’une importante opposition à l’extrême droite ? Depuis la grande manifestation de Rome, les Sardines ont été plus silencieuses. Déjà, d’importants objectifs ont été atteints : montrer que l’appui à Salvini et à la Ligue n’est pas aussi fort qu’on le laissait entendre ; faire naître de rien un mouvement qui fait voir que la gauche et ses valeurs ne sont pas mortes. Mais le véritable test sera les prochaines élections. Une nette victoire de la Ligue noierait, hélas, le poisson, à moins qu’elle ne ramène encore plus de sardines sur les places publiques.