Dossier (en ligne) : Covid 19 (…)

Crise sanitaire. Avant, pendant et après

Francis Lagacé

Avant la crise sanitaire

Nous étions nombreux à vous le dire que la société de consommation à outrance conduisait à des déséquilibres tels qu’en cas de crise environnementale, sanitaire ou économique, ce serait la débâcle.

Nous étions nombreux à vous prévenir que le financement des organismes populaires par projet leur couperait les jambes et les empêcherait de se déployer pour servir la population, ce que permettrait un financement à la mission.

Nous étions nombreux à vous le dire que la gestion du système hospitalier en flux tendu comme pour les entreprises sans entrepôt autres que les camions qui circulent conduirait à la catastrophe en cas de crise.

Mais non, nous n’étions que de pauvres rêveurs vaguement maniaques.

Nul n’a su mieux que Jean-Luc Mélenchon annoncer ce qui nous pendait au bout du nez quand il a prédit le 2 avril 2017 que nous connaîtrions un krach sanitaire. Il a au moins le mérite d’avoir proposé autre chose que le « management » qui tient lieu de politique aujourd’hui.

On ne dit pas ça pour vous narguer ni pour vous faire de la peine, encore moins pour se vanter, mais juste pour vous rappeler que nous savions de quoi nous parlions et que, donc, nous le savons encore.

Pendant la crise sanitaire

Sous prétexte de situation exceptionnelle, nous acceptons des choses qui ne sont pas normales, nous entérinons des procédés spéciaux au risque de nous faire dire qu’on aurait toujours dû fonctionner ainsi. Par exemple, la délation est devenu un sport très prisé.

Par exemple, le fichage et le suivi des personnes est envisagé sans sourcillement. Le téléphone portable, qui déjà vous surveille et vous vend à tous les marketeurs du monde, est invoqué comme obligatoire, comme le bracelet électronique du prisonnier, lequel a remplacé le boulet d’autrefois.

Par exemple, les vieilles et les vieux, qui sont les victimes les plus importantes du virus, sont considéré·e·s par beaucoup comme des vecteurs de contamination plutôt que comme des populations à protéger.

Par exemple, les belles ententes commerciales qui engagent la spécialisation de la production par régions du monde et qui promettaient l’harmonie universelle se muent en escarmouches rageuses entre les États et les diverses mafias pour mettre la main sur le matériel médical difficile à trouver.

Les gouvernements deviennent tout à coup nécessaires à ces entrepreneurs qui ne juraient que par le marché libre et la concurrence non faussée. C’est curieux comme les ultralibéraux sont anti-gouvernement quand il s’agit d’aide sociale et subitement socialistes quand il s’agit de les aider.

D’ailleurs, il y a déjà des économistes et des entrepreneurs pour estimer que faire des affaires est plus important que de sauver des vies, pour mettre en balance la vie des commerces ou des entreprises et la vie des gens.

On nous prépare déjà à faire payer la citoyenne et le citoyen pour les investissements astronomiques que les États injecteront dans l’économie. Pourtant, si on ne prend que l’exemple du Canada, il y a 800 milliards de dollars à aller chercher dans les paradis fiscaux. Que font les ministres des Finances et du Revenu à cet égard ? Rien.

Et ces banques que nous avons sauvées sans contrepartie en 2008, elles n’ont rien changé à leurs façons de saigner l’épargnant et elles n’ont pas, bien au contraire, sanctionné leurs dirigeants gloutons. Ne devraient-elles pas contribuer sans contrepartie à leur tour ? Non, dans leur grande magnanimité, elles condescendent à diminuer les taux des cartes de crédit, ces taux qui même divisés par deux sont abusifs en comparaison des intérêts ridicules qu’elles versent sur les épargnes courantes, puis elles consentent de nouveaux prêts. Autrement dit, elles s’assurent que nous soyons davantage endettés et à elles redevables.

Après la crise sanitaire

Il ne faut pas compter sur les grands de ce monde, les financiers, les marionnettes qu’ils ont placées à la tête des États, pour corriger les bêtises de l’économie libérale. Pour ne prendre que l’exemple de la France, vous rappelez-vous Sarkozy la main sur le cœur en 2008 qui promettait de « réformer le capitalisme » ? Il en va de même avec les déclarations de Macron qui découvre tout à coup que certains domaines de la société, comme la santé, ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel du dieu Marché.

Ces promesses seront plus vite reniées que n’importe quelle élucubration d’ivrogne. Ces gens-là ne comprennent pas la plupart du temps ce qu’ils disent et, quand ils s’y entendent un peu, ils n’en croient pas un mot, pervers narcissiques qu’ils sont, comme le sadique qui sussure de douces paroles à l’oreille d’une personne pendant qu’il la torture.

Les capitalistes n’auront rien de plus pressé que de vouloir relancer la machine infernale : la course à la production excessive et l’encouragement à la consommation débridée. Aurons-nous le courage de dire non à la société de consommation ? Aurons-nous le courage de valoriser la production locale et conviviale ? L’achat de proximité qui nécessite le déplacement minimum ? Aurons-nous le courage de nationaliser les banques et les services ? Aurons-nous le courage de favoriser le lent, l’humain et l’inutile ? Si l’utile n’est rien d’autre qu’utile, l’inutile, lui, est nécessaire.

Le coût des assurances habitations augmentera de façon exponentielle sous toutes sortes de prétextes. Les compagnies d’assurance imposeront sans doute par défaut la clause d’activités professionnelles à domicile et il faudra se battre pour la faire retirer.

Oserons-nous rejeter le PIB comme mesure de la satisfaction de la population ? Le produit intérieur brut comme mesure de qualité de vie a été l’erreur de tous les pays productivistes, qu’ils soient capitalistes comme les États-Unis, sociaux-démocrates comme les pays scandinaves ou capitalistes étatiques comme l’Union soviétique. Et tous ont conduit à la catastrophe écologique. Le PIB est une mesure de richesse, mais pas une mesure de qualité de vie. On devrait peut-être s’inspirer, entre autres, de l’indice de progrès humain suggéré par l’économiste Jacques Généreux.

Accepterons-nous le retour à la normale puisque ce qui était considéré comme normal ne l’était pas, mais était plutôt excessif ?

Et le nouveau normal sera l’absence de contact entre les humains, surtout la surveillance absolue de tout rassemblement. Ce sera pour votre bien naturellement. On vous rappellera qu’éviter les mauvaises fréquentations vous permet de ne pas être contaminé·e par les méchants virus. Ces nouveaux virus auront pour noms : socialisme, anarchie, délinquance, contestation, opposition, obstruction aux infrastructures publiques, terrorisme (écologique, autochtone, végane, objecteur de conscience) et humanisme.

Et pour éviter les contacts et les virus, qu’y a-t-il de mieux que l’hybridation de l’humain à la technologie ? Les posthumanistes et les transhumanistes vous le diront : les machines n’attrapent pas de maladies. On vous promettra le bonheur éternel et minéral, ce qui est bien entendu une stupidité. Rien n’est éternel dans l’Univers. Aucune machine ne résistera à l’explosion de notre petite étoile dans cinq milliards d’années et leur pseudo-éternité leur aura paru aussi brève ou aussi désespérément longue que nos vies insignifiantes, car tout est une question de rapport. Sauf que cette éternité statique et minérale sera réservée aux riches, très riches, suprêmement riches, et que de ce bonheur-là, on n’en veut pas, parce que la vraie vie ne se limite pas, malgré les fantasmes cognitivistes et cybernétiques, à la circulation de données.

Avant, pendant et après la crise sanitaire, rappelons que l’humain doit passer avant l’argent, avant la machine, avant la circulation des marchandises et des données.

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