Dossier (en ligne) : Covid 19 (…)

Ce que cache le couvre-feu

Julien Simard

1 an de pandémie.

Cher.e.s camarades, ils sont partis pour conserver le couvre-feu jusqu’à l’été, ajusté en fonction des heures d’ensoleillement. Qui sait, peut-être même pendant l’été. Devant ces nouvelles infos, pour ma part, je vote pour l’instant pour le 24 juin comme date de levée officielle, puisque cela correspond au calendrier nationaliste et à la fin des classes, mais on ne sait jamais avec ces coucous. C’est peut-être ma peur qui parle.

À la fin de l’extrait ci-bas, Arruda affirme qu’il pense que le couvre-feu ne sera pas là pour toujours, heureusement. Plus tôt, il affirme toutefois qu’il espère qu’on « ne sera plus en couvre-feu cet été de la même façon, en tout cas ». À quoi peut-on se fier ? Que se passe-t-il dans le bunker à Québec ? Ça lit Bock-Côté, du St-Hubert sur les genoux, hockey en sourdine ?

Legault a aussi annoncé cette semaine sa volonté de permettre « des soupers le vendredi soir ».

Ça commence à aller très très loin, ce cadre autoritaire normcore, banlieusard, ethnocentriste et classiste. Ça crée un sentiment d’étouffement pour tout le monde qui ne fitte pas dans cette vision restreinte de ce que veut dire « exister » et qui n’ont que faire de ces soupapes de style « Papa a raison, on est en 1953 ». J’espère qu’il nous laissera choisir entre salade de chou crémeuse ou traditionnelle.

Constat : ils n’ont aucune idée de ce qu’ils font et n’ont aucun plan. Toutes les portes sont ouvertes, comme début janvier lorsqu’ils ont décidé d’imposer le couvre-feu sur le coin d’une table, plusieurs jours APRÈS que le taux de reproduction (R0) ait commencé à baisser en raison de la fermeture des écoles et milieux de travail, et du commerce de détail non-essentiel (les milieux où s’effectue majoritairement la transmission du virus).

Comme avec les autres mesures, nous ne connaissons rien de leurs perspectives, des niveaux de cas requis pour les modifier, des paramètres objectifs permettant de les moduler. Opacité totale de l’État. Si au moins on avait une balise de cas/hospitalisations/décès requise pour le lever, ça serait moins dur sur le moral et la santé physique...

Au final, c’est Legault qui décide, avec sa capacité limitée de compréhension de la science, son désir d’imiter Duplessis ou Trump et sa volonté d’amuser la Guerrière des Banlieues à ses côtés (la ministre de la sécurité publique).

Le plus dangereux dans cette histoire : la nécessité, pour le gouvernement, d’assumer jusqu’au bout le narratif qui le blinde contre toute critique, en utilisant l’équation causale suivante (qui est fausse au plan épidémiologique, à l’échelle de la province) : Augmentation de la transmission du virus = principalement attribuable aux "écarts" de comportements de la population dans les lieux privés = surveiller et punir, jusqu’au coeur du domicile et de l’espace public.

(On y revient dans deux paragraphes).

Bref, il va falloir une très large coalition de groupes et d’acteurs/trices de la société civile (communautaire, étudiant-e-s, scientifiques, journalistes, artistes, restos, monde du spectacle, bars, etc...) pour faire tomber cette mesure nocive et toxique, autant dans la rue, dans les médias, que partout ailleurs. Cette coalition ne devra pas réagir à la dernière minute, quand on sera déjà en été et devra se dissocier clairement des "complotistes", qui s’activent déjà. Si on canalise toute notre rage accumulée depuis mars 2020, on devrait y arriver, non ?

En agissant de la sorte, on préparerait également un contre-discours puissant sur le déroulement de la pandémie, sur les mesures ratées, sur les demi-vérités, sur l’improvisation, sur les tests de Co2 faussés dans les écoles, sur la subordination de la CNESST à l’Exécutif, sur le déni des aérosols, sur les morts acceptables, sur le mépris de la science et de l’expertise terrain (Dr. Liu, experte mondiale qu’on a refusé d’embarquer), sur le sous-sous-sous-financement de la santé publique. On pourrait énumérer des remontrances pendant toute une nuit. On va arrêter à 20h pour l’instant.

Le couvre-feu est un win-win pour le gouvernement. Non seulement il empoche des millions en amendes, mais il lui permet de NE PAS agir là où il devrait le faire. Car il convainc la population qu’elle est responsable de la transmission, par ses gestes, ses comportements, en oblitérant comme par magie le rôle déterminant des milieux intérieurs institutionnels/entreprises, du travail à l’école en passant par les garderies et les chantiers de construction.

Ces mesures qu’il évite de mettre en place, on les connait bien aussi : des filtres HEPA qui aurait pu être financés avec les 432 millions du fédéral qui ont disparu (!), capacité de tests/traçage augmentée radicalement, normes de la CNESST prenant en compte les aérosols, amendes salées aux entreprises récalcitrantes, etc... On a appris cette semaine que l’IRSST a fourni plusieurs rapports sur les aérosols à la CNESST, dès juin 2020. Lettre morte. Comme plus de 10 000 personnes vieillissantes.

Si on rate le momentum, ce sont eux - ce boys club composé d’une poignée d’hommes en quête de pouvoir et leurs plus intimes conseillers - qui écriront leur propre récit, celui où ils gagnent, où ils ont essayé de « sauver le Québec », comme le proposait récemment une journaliste compréhensive au point d’en oublier la rigueur du métier.

Peut-être, qu’au fond, c’est de ça qu’ils ont peur : qu’on se rende compte que l’hécatombe - que j’appelle gérontocide - aurait pu être évitée facilement grâce à une infrastructure de santé publique efficace. Ils sont directement responsables de cette faillite de l’État, en ayant voulu privilégier l’austérité budgétaire en santé/services sociaux et le maintien de la capacité de production maximale de plusieurs entreprises plutôt que de réparer la première ligne déchiquetée par les précédentes administrations, en particulier la dernière. En guise de réponse, 56 millions pour Alstom à la Pocatière ! J’espère que des artistes transformeront ce badtrip du siècle néolibéral en pièce de théâtre absurde pour qu’on puisse au moins s’esclaffer avant de se préparer à la prochaine crise.

* * *

« Mme Porter (Isabelle) : Vous avez dit plusieurs fois, M. Arruda, que vous aimiez beaucoup la mesure du couvre-feu... bien, vous trois, parce que ça s’était révélé efficace. Bon, là, ça s’assouplit dans les zones orange, mais on ne sent pas vraiment de volonté d’enlever le couvre-feu à court ou moyen terme. Est-ce que vous envisagez de le maintenir cet été ?

M. Arruda (Horacio) : Vous me projetez dans le temps de façon... Je ne sais pas si vous comprenez. En COVID-19, quand on parle... plus qu’une semaine, on est à risque. Donc, moi, je crois que cet été, c’est loin.

Très profondément de moi-même, j’espère qu’on ne sera plus en couvre-feu cet été de la même façon, en tout cas.

Donc, quelque part, moi, je pense que c’est utile, ça a encore son utilité, mais tout ça va être évalué surtout en fonction de la couverture vaccinale qu’on va avoir un peu partout puis de l’épidémiologie.

Si nos interventions... Si le Québec, les gens, au lieu de se laisser aller, acceptent les allègements, y vont de façon progressive, qu’on contrôle nos variants puis qu’on n’a pas trop d’éclosions, que les hospitalisations ne se remettent pas à monter, bien, à ce moment-là, on est en mesure, à mon avis, d’ajuster en fonction aussi des heures de soleil, hein ? Je ne sais pas si vous savez, on change d’heure, puis etc., et ça a un impact sur les éléments. Donc, moi, je pense que le... couvre-feu, excusez-moi, ne soit pas là pour toujours. » [1]


[1Merci à Jenny Cartwright. La transcription complète est disponible ici.

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