Mobilité en déroute. Comment sortir de l’impasse du financement ?

Mini-dossier : Le transport est (…)

Mini-dossier : Le transport est un bien commun !

Mobilité en déroute. Comment sortir de l’impasse du financement ?

Anne-Hélène Mai

Le transport coûte cher, très cher. La construction d’infrastructures de transports collectifs se chiffre en milliards de dollars, les frais d’exploitation en millions, et les dépenses liées à l’entretien ont tendance à grossir chaque année. Comment peut-on alors espérer financer de nouveaux projets, étendre nos réseaux et améliorer la qualité de l’expérience usager ?

Ces folles dépenses ne sont pas l’apanage des transports en commun. Les mégaprojets autoroutiers des 70 dernières années ont aussi été développés à coup de milliards de dollars, afin de stimuler la vitalité économique. Et les montants dédiés à leurs rénovations n’ont rien à envier aux sommes consacrées à l’entretien du transport collectif. La reconstruction de l’échangeur Turcot aura totalisé 3,67 G$, le chantier de réfection de l’autoroute Ville-Marie, 2 G$, et celui du pont-tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine, encore plus. Selon le gouvernement provincial, à peine 53 % des chaussées du réseau routier supérieur seraient en bon état.

Ceci dit, de plus en plus d’études démontrent que d’un point de vue économique, le transport en commun a un meilleur impact que le transport routier. Selon la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, les dépenses entraînées par la mobilité collective ont des retombées sur l’économie québécoise près de trois fois supérieures à celles de l’automobile privée en matière d’emplois et d’argent. L’Autorité métropolitaine de transport estime quant à elle que les coûts sociaux générés par l’utilisation de la voiture sont neuf fois plus élevés que ceux liés à l’utilisation des transports collectifs.

À cela s’ajoutent les calculs de Marion Voisin et Jean Dubé de l’Université Laval selon lesquels, dans la région de Québec, pour chaque dollar déboursé par un individu pour se déplacer en automobile, la collectivité paie 5,77 $, contre 1,21 $ pour se déplacer en autobus. Dans l’équation, les chercheur·euses ont inclus les dépenses en fonds publics, les dépenses personnelles des voyageur·euses, ainsi que les externalités négatives telles que les pollutions atmosphérique et sonore, la sédentarité, la disparition d’espaces verts et l’étalement urbain. Qui plus est, les données révèlent qu’une forte dépendance à la voiture restreint le développement économique d’une région.

Les chiffres sont sans équivoque : le transport en commun est un meilleur investissement pour nos communautés que l’expansion du réseau routier. Pourquoi donc le financement du transport collectif semble-t-il si fragile ?

Des revenus en déclin

Au Québec, le principal outil de financement des services et infrastructures de transport collectif publics et de la construction et de l’exploitation des routes est le Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT). Ses revenus proviennent en grande partie des droits et permis d’immatriculation, de la taxe sur les carburants, du marché du carbone et des contributions fédérales.

Le FORT est censé s’autofinancer, mais il est déficitaire depuis 2017. Le manque à gagner est actuellement absorbé par les surplus cumulés, mais ceux-ci s’effritent rapidement. Au rythme où vont les choses, on anticipe un déficit de près d’un milliard de dollars d’ici 2026-2027 selon l’Alliance TRANSIT. La raison est simple : les revenus stagnent alors que les dépenses gonflent.

L’une des sources de revenus, la taxe sur les carburants, n’a pas été revalorisée depuis 2013, alors qu’il y a eu, en dix ans, 28 % d’inflation… sans compter la présence grandissante de véhicules électriques qui réduisent la part de la consommation d’essence. Ainsi, depuis 2014, les revenus annuels générés par cette taxe ont diminué de plus de 750 M$.

La contribution des automobilistes au transport en commun par le paiement de l’immatriculation n’a pas été indexée depuis sa création en… 1992 ! Elle est de 30 $ dans toutes les régions dotées d’une société de transport collectif. Dans l’agglomération de Montréal, une contribution supplémentaire de 45 $ est demandée depuis 2011, sans suivre l’inflation. Une mise à niveau est donc réclamée depuis plusieurs années, notamment par l’Alliance TRANSIT. Ce sera chose faite dans la région montréalaise : la Communauté métropolitaine de Montréal imposera une taxe d’immatriculation de 59 $ dès 2024. Cela permettra à l’Autorité métropolitaine de transport d’engranger quelque 125 M$ par année et d’éponger partiellement son déficit qui atteint les 265,6 M$.

Il faut aussi savoir qu’à partir du FORT, le gouvernement provincial redistribue les sommes aux municipalités et aux autorités organisatrices de transport par le biais de programmes à durée déterminée.

Ce mode de fonctionnement a pour principal défaut qu’il brouille la prévisibilité du financement, puisque ces organisateurs de transport doivent déposer des demandes annuellement, sans garantie des montants qui leur seront ensuite accordés. En outre, les investissements en transport collectif du gouvernement provincial se traduisent principalement par de la bonification (acquisition de trains, construction de garages, prolongement de lignes de métro, aménagement de voies réservées…), tandis que l’entretien et l’exploitation des réseaux sont principalement à la charge des municipalités.

L’entretien du réseau s’ajoute alors à l’éventail des responsabilités municipales, pour lesquelles le budget provient presque uniquement des taxes foncières, dont l’élasticité n’est pas infinie. Il reste donc les titres de transport des usagers et usagères, qui comptaient pour près de 30 % des revenus des sociétés de transport avant la baisse d’achalandage causée par la pandémie. Mais leurs prix restent limités si l’on veut éviter qu’ils soient rébarbatifs.

Cela dissuade les municipalités de développer le transport en commun sur leur territoire et les pousse à miser plutôt sur le réseau routier supérieur, qui, lui, est entièrement financé par Québec.

Déséquilibre entre le réseau routier et le transport collectif

Même si le Québec a environ la moitié de la population ontarienne, son réseau routier est une fois et demie plus vaste que celui de l’Ontario… Et le gouvernement prévoit d’y verser 70 % de nos investissements en transport des dix prochaines années, alors que cette part n’atteint pas 30 % dans notre province voisine. Pourtant, le Plan pour une économie verte 2030 du Québec (PEV) soutient que le ratio des investissements en transport en commun et dans le réseau routier doit être de 50-50.

Parmi les investissements dans le réseau routier au Québec, près d’un quart est consacré à l’augmentation de la capacité routière : les dépenses en ce sens ont d’ailleurs triplé depuis cinq ans pour atteindre 7,2 G$ dans le Plan québécois des infrastructures (PQI) de 2022-2023. La création de nouvelles routes ou l’élargissement de routes existantes, en plus d’accaparer de larges portions du budget, participent à la surchauffe du marché dans le domaine de la construction, accentuant l’inflation des prix des matériaux et la pénurie de main-d’œuvre. Qu’en vaut la peine, quand on sait que cela ne règle pas la congestion du fait de la demande induite ?

En mars dernier, la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, affirmait que « pour une deuxième année consécutive, les investissements prévus au PQI en matière de transport collectif dépassent ceux du réseau routier ». Or, ces montants reposent en bonne partie sur des projets d’investissements non confirmés, tels que le prolongement de la ligne jaune du métro de Montréal et le tunnel Québec-Lévis, dont on ne connait ni le mode ni le tracé, et encore moins le coût estimé…

Si l’on se concentre sur les investissements confirmés et en réalisation, les données présentées dans le PQI montrent que le réseau routier reçoit 31,5 G$, et le transport collectif 13,78 G$. On obtient donc le ratio 70 % – 30 % mentionné plus haut.

Le cercle vicieux du sous-financement

Face à un financement insuffisant, les sociétés de transport collectif sont forcées de réduire leurs services, entraînant ce que le chercheur Willem Klumpenhouwer appelle la « spirale de la mort ». La fréquence des passages diminue, l’efficacité du service décline, le confort des usager·ères se détériore. L’achalandage s’affaiblit et la perception des individus envers le transport en commun se dégrade. Il devient alors moins populaire, politiquement, d’investir dans ces infrastructures plutôt que dans le réseau routier vers lequel les voyageur·euses se seront tourné·es. La baisse de l’achalandage fait que la demande ne justifie plus d’accroître les services.

Pour éviter ce cycle de désinvestissement, il faut urgemment trouver des solutions durables au financement du transport collectif, rééquilibrer les investissements dédiés au réseau routier et au transport en commun et pallier le déficit annoncé du FORT et des sociétés de transport qu’il soutient. Des mesures de diversification des revenus ont été proposées par plusieurs acteurs : taxation sur le stationnement non résidentiel, instauration d’une tarification kilométrique, meilleur partage du coût du réseau routier supérieur avec les municipalités, indexation des sources existantes, péage sur les routes et autres options d’écofiscalité.

La balle est dans le camp du Gouvernement du Québec, à lui de démontrer un leadership fort en faveur de la mobilité durable !

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