Alex Gagnon
Les déchirures. Essais sur le Québec contemporain
Alex Gagnon, Les déchirures. Essais sur le Québec contemporain, Del Busso, 2023, 350 pages.
Dans Les déchirures, le docteur en littérature Alex Gagnon propose quatre « essais sur le Québec contemporain », qui sont en fait des analyses de discours assez techniques portant sur quatre objets de polémique des dernières années : les chroniqueurs de droite du Journal de Montréal, l’ouvrage L’empire du politiquement correct, de Mathieu Bock-Côté, le « Manifeste contre le dogmatisme universitaire » paru dans le Devoir en 2020, et l’affaire Lieutenant-Duval. Gagnon affirme d’emblée qu’« avoir des opinions [… l’]’intéresse peu » (p. 10). Il préconise plutôt une approche « descriptive » (p. 11) surtout fondée sur les théories discursives de Marc Angenot et sur la sociologie des champs de Pierre Bourdieu.
L’auteur applique plus ou moins la même méthode à ses quatre sujets. Pour chacun, il identifie deux camps, et cherche à faire ressortir les similarités et les différences dans le style argumentatif. Son travail n’est pas strictement descriptif ; il se permet des critiques, surtout envers le côté « droit » des polémiques (Richard Martineau, Bock-Côté, et le Manifeste), et dans l’affaire VLD, il prend clairement le parti de la liberté académique. Mais il trouve le moyen d’y adosser le côté « gauche » et parfois, cela donne des incongruités, comme le rapprochement des styles de Bock-Côté et de Francis Dupuis-Déri (p. 106-8), ou l’acharnement sur une pétition de gauche radicale somme toute insignifiante comme principal interlocuteur des pro-VLD, alors que pourtant, la plupart des interventions publiques contre l’usage sans retenue du « mot en N » furent modérées et constructives.
Il y a une forte intention chez Gagnon de se placer au-dessus de la mêlée, mais comme il ne s’intéresse pas vraiment au contexte sociopolitique (sauf pour l’affaire VLD, qu’il décrit assez bien), cela nous donne un portrait de la polémique au Québec où les antagonistes ne valent pas mieux l’un que l’autre. Il termine l’ouvrage avec une présentation plutôt intelligente des théories de Bourdieu, mais il surestime gravement l’« effet de classement ». Pour lui, « les membres d’une société prennent les positions idéologiques qu’ils “choisissent” […], non pas pour elles-mêmes, parce qu’ils les trouvent vraies ou justes, mais pour l’identité sociale qui s’y rattache » (p. 342). Gagnon insiste là-dessus : les « polémistes » de tous côtés ne croient pas vraiment ce qu’ils disent, tout cela ne serait qu’un jeu sémantique de classement et de déclassement (p. 344-345). Qu’en est-il alors de son propre travail ? Il affirme à la toute fin qu’on peut faire de la « science » en valorisant « l’usage idéal de la raison » comme marqueur identitaire (p. 346). Il croyait s’en sortir, mais tout le monde dans le champ polémique affirme faire usage de raison contrairement à leurs adversaires obnubilés par les idéologies…