L’économie circulaire : une transition en cours vers un modèle plus soutenable ?

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Dossier : Bas-Saint-Laurent - Dépasser l’horizon

L’économie circulaire : une transition en cours vers un modèle plus soutenable ?

Jean-Michel Coderre-Proulx, Abigaelle Dussol, Évariste Feurtey

L’économie circulaire permet de redéfinir notre mode de production et de consommation pour limiter l’utilisation de ressource et protéger les écosystèmes. Elle diffère de l’économie linéaire qui se caractérise par la chaîne de valeur suivante : extraire, fabriquer et éliminer. Pour une économie alternative, il s’agit de récupérer ce qui se perd comme énergie dans la production ou qui se retrouve à la fin du cycle pour le réinvestir. Au Bas-Saint-Laurent, ce modèle économique s’implante à travers de nombreuses initiatives citoyennes.

Chaque année au Québec, près de 271 millions de tonnes de ressources entrent dans les systèmes de production et de consommation, soit un niveau supérieur à la moyenne canadienne. Or, seulement 3,5 % de ces ressources sont dites « circularisées » en 2022. Pour remédier à cette situation, nous devons réduire cette consommation insoutenable des ressources. C’est pourquoi il est pertinent de s’interroger sur le sujet suivant : peut-on miser sur l’économie circulaire pour réduire notre consommation de manière viable à long terme ?

Économie circulaire et décroissance

À première vue, il serait erroné de voir l’économie circulaire comme une voie d’accès vers la décroissance. L’économie circulaire vise plutôt un découplage de la croissance économique et de la consommation grandissante de ressources naturelles. Valoriser ses matières résiduelles ou implanter des mesures d’efficacité énergétique n’empêche pas une entreprise de faire des profits ou d’être en croissance, bien au contraire.

En revanche, l’économie circulaire peut être vue comme une solution transitoire de transformation économique et sociale qui guide les acteurs économiques vers l’atteinte d’objectifs de la décroissance. L’économie circulaire introduit des concepts fondamentaux partagés par l’approche axée sur la décroissance, comme la mutualisation ou la coopération. En cela, l’économie circulaire permet aux entreprises de déroger du cadre économique dominant reposant sur l’extraction d’une ressource, la transformation et la vente de celle-ci, résultant en bout de piste par la production d’un déchet et/ou de gaz à effet de serre. Elle permet une sensibilisation des acteur·rices, les invitant à remettre en question les façons de faire dans l’ensemble du cycle économique (extraction, production, transformation, consommation, fin de vie).

Pour être réellement compatible avec la décroissance, il faut cependant que les gains d’efficacité engendrés par l’économie circulaire soient réinvestis en actifs immatériels, par exemple en temps de repos, et non en production supplémentaire. Plus concrète et socialement acceptée que la décroissance, l’économie circulaire peut donc être comprise comme une étape essentielle qui peut conduire nos sociétés vers une transformation beaucoup plus large de nos façons de vivre.

Quelques exemples au Bas-Saint-Laurent

Il existe au Bas-Saint-Laurent une forte culture axée sur la concertation, les circuits courts, la valorisation des matières et le partage de ressources. Aujourd’hui, cette mentalité s’incarne de plusieurs façons à travers des projets menés tant par la communauté bas-laurentienne que par des entreprises et OBNL de notre région.

Par exemple, le Bas-Saint-Laurent est le premier territoire canadien membre du regroupement mondial Fabcity, un large réseau de villes et de territoires autosuffisants. Nommé FabRégion Bas-Saint-Laurent, cette démarche mobilise un grand nombre d’acteur·rices, (élu·es, citoyen·nes, expert·es et institutions de recherche) dans le but d’atteindre d’ici 2054 un seuil d’autosuffisance de 50 % de nos consommations. Après un diagnostic de la situation réalisé en 2021-2023, la seconde phase 2023-2026 visera à passer à l’action en mettant en œuvre des projets d’autosuffisance territoriale dans les différents axes de travail suivants : se vêtir, se nourrir, se transporter et se loger.

On retrouve aussi une grande concertation régionale sur les plastiques agricoles (notamment les plastiques employés pour l’ensilage), puisque le Bas-Saint-Laurent se classe au troisième rang des régions utilisatrices au Québec, avec près de 1000 tonnes de plastique agricole produit annuellement. Un projet débuté en 2021, piloté par Élyme Conseils, a permis de mettre en relation l’ensemble des acteur·rices de la chaîne de valeur afin de déterminer comment réduire à la source leur utilisation par de meilleures pratiques et comment améliorer le taux de recyclage de ces matières. La situation est d’autant plus urgente à traiter que ce taux de récupération est actuellement de seulement 10 % (le reste se retrouvant à l’enfouissement ou à la valorisation énergétique) et qu’une règlementation provinciale va encadrer prochainement leur gestion et obliger l’atteinte de cibles plus ambitieuses d’ici juin 2023.

À une échelle plus locale, un projet de Synergie Matanie est en cours d’implantation à Matane pour réaliser un incubateur d’entreprises en économie circulaire dans une usine laissée à l’abandon depuis 2012, l’usine RockTenn. Ce projet implique la réhabilitation complète du site (décontamination, réhabilitation des installations et partage de l’espace) pour permettre de démarrer des entreprises et des projets innovateurs dans un environnement conçu pour générer des symbioses industrielles. Ce projet est novateur dans son concept puisqu’il envisage d’autres perspectives que la construction de nouveaux bâtiments, celle de la valorisation des « verrues urbaines » comme solutions à la crise du logement que la plupart des régions du Québec connaissent actuellement.

Enfin, on retrouve aussi des entreprises qui innovent en économie circulaire en trouvant des débouchés pour des sous-produits. C’est le cas par exemple de l’entreprise Ellipse conservation, qui revalorise des résidus d’épicerie pour les transformer en collation à partir d’un processus de lyophilisation.

Freins et perspectives d’avenir

Les initiatives foisonnent au Bas-Saint-Laurent pour mettre en place des produits et services faits par et pour la communauté dans le but de tendre vers une carboneutralité et une forte autonomie régionale. De plus en plus d’entrepreneur·euses, d’élu·es municipaux et de citoyen·nes sont conscient·es des gains économiques et sociaux que l’économie circulaire peut apporter à leur entreprise.

La croissance économique a apporté au Québec une prospérité qui profite beaucoup à de nombreuses industries. Toutefois, pour faire face aux enjeux socioéconomiques et environnementaux propres à notre époque, un changement de paradigme doit s’opérer. Il nous faut, pour reprendre la définition du développement durable de Gro Harlem Brundtland, présidente de la commission mondiale sur l’environnement et le développement, « répondre à nos besoins actuels sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Maximiser le potentiel de circularité de l’économie québécoise nous semble une avenue porteuse pour respecter un tel engagement au regard du défi important qu’il reste encore à surmonter.

Pour y arriver, il importe de faire lever les nombreux freins qui empêchent de prendre le virage vers l’économie circulaire. Ceux-ci sont souvent de nature financière ou règlementaire. Par exemple, concernant les plastiques agricoles au Bas-Saint-Laurent, la plupart des municipalités régionales de comté (MRC) et producteur·rices de la région souhaiteraient s’aligner vers des collectes porte à porte par conteneur qui permettent d’atteindre les cibles gouvernementales de manière pérenne. Or, que faire lorsque la nouvelle réglementation implantée ne tient pas compte des meilleures pratiques du secteur, de la volonté de plusieurs organisations du milieu, et rend le financement de telles initiatives plus difficiles qu’auparavant ? Il faut mobiliser les acteur·rices après coup pour faire adopter des ajustements aux règlements. D’ailleurs, un tel front commun s’est mis en place au cours des dernières semaines et des discussions en ce sens sont en cours pour obtenir gain de cause au niveau provincial. Cette situation est contre-productive et constitue une déplorable perte de temps. Et elle n’est malheureusement pas isolée ! Pour la valorisation des résidus de viande, par exemple, des initiatives technologiques existent et permettraient de réduire le volume de ces résidus de 80 %, mais ce sont des normes sanitaires qui bloquent la réalisation de projets pilotes en ce sens.

En tant qu’organisme d’accompagnement, on se demande comment soutenir les entreprises de manière pérenne alors que le financement du gouvernement est alloué au projet, et non à la mission. La transition vers une économie plus propre et durable exigera de nos gouvernements et des institutions publiques une grande proactivité et un soutien continu envers les acteurs locaux qui sont beaucoup plus disposés qu’on le pense à changer les façons de faire. Cela passera donc par une reconnaissance du travail des organismes d’accompagnement en développement durable.

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