Dossier : Bas-Saint-Laurent - Dépasser l’horizon
Arts oratoires : une scène effervescente
Quelle est la portée politique des arts de la parole ? Qu’est-ce que ça signifie, avoir une telle pratique artistique au Bas-Saint-Laurent ? J’ai questionné des personnes qui animent ces scènes et qui organisent ces événements, ces joyeuses révolutions et protestations.
Propos d’acteur·rices du milieu compilés par Yanick Perreault, slammeur basé à Rimouski
Le Bas-Saint-Laurent regorge d’artistes et de scènes des arts de la parole. Étant moi-même slammeur depuis près de cinq ans, j’avais envie d’en apprendre plus sur cette scène à laquelle j’appartiens. J’ai demandé à quelques artistes de nous parler de la portée politique des arts oratoires, et des événements qu’ielles souhaitent mettre en lumière. À mon avis, la solidarité qu’ielles cultivent, en plus de l’admiration et la reconnaissance qu’ielles témoignent les un·es envers autres, fait de cette pratique artistique un espace propice aux rassemblements et à la création d’autres mondes. Place à la parole !
Louis Melon, artiste de la parole bas-laurentien, habitant dans la région du Kamouraska :
« Le slam au Bas-Saint-Laurent, c’est des belles soirées sans prétention, où l’amateurisme côtoie l’extraordinaire. Donc, accessible par définition, éclectique et flexible. La portée politique du slam, pour moi, c’est sa propension à débroussailler des tabous, à engager des réflexions sur des sujets intimes et à s’attaquer au pouvoir, à l’ordre, à la moutonnerie et l’immobilisme – un bon coup de gueule, ça fait un peu partie de mon identité de slammeur. S’impliquer dans le milieu du slam, c’est amener sa pierre à l’édifice peu importe la manière, que ce soit en animant, en organisant, en slammant, mais surtout en étant dans le public. »
Camille Gosselin, artiste de la parole et organisatrice de soirées et événements, région du Kamouraska :
« L’art oratoire est nécessaire dans la vie culturelle d’une région, autant pour rassembler les gens autour d’un point commun inspirant que pour permettre de découvrir des gens avec des histoires pertinentes et mystérieuses. C’est un devoir de s’entraider à nommer des maux dans une communauté et de créer des espaces pour les partager et nourrir notre imagination créatrice. C’est formidable que dans une si petite région, plusieurs types de soirées poétiques s’offrent et qu’elles soient toutes de grands succès. J’aime particulièrement les Slam Poésie à la Baleine Endiablée de Rivière-Ouelle, car c’est un lieu confortable et neutre qui va chercher un public très varié, passant de jeunes étudiant·es à personnes âgées. C’est une petite région avec des grand·es artistes. »
Gabrielle Ayotte Garneau, directrice générale de l’organisme les Compagnons de la mise en valeur du patrimoine vivant de Trois-Pistoles, artiste de la parole, région Trois-Pistoles et les Basques :
« Autant le slam que les arts de la parole en général me semblent des formes d’art très fortes, dotées d’une longue tradition et ancrées dans la communauté du Bas-Saint-Laurent. D’abord, le slam : Slam-Est-du-Québec a fait un travail considérable au cours des dix dernières années pour qu’il soit bien en vie, dynamique et d’une grande qualité. Il n’y a aucune scène de slam où l’écoute est aussi bonne, la salle aussi pleine (proportionnellement parlant) et le niveau aussi fort malgré l’accessibilité et la diversité des voix que celle de la brasserie le Bien le Malt à Rimouski. Slam Rivière-du-Loup accomplit aussi un immense travail de mobilisation avec le slam. Quand je me suis installée dans la région, je n’en revenais pas de voir le bar plein à craquer un lundi soir pour écouter de la poésie. Et de voir un public aussi varié, pas uniquement constitué de profs de littérature, ça m’a fortement impressionnée.
Ensuite, le milieu du conte est fort dans la région des Basques depuis longtemps. Trois-Pistoles est l’hôte de l’un des plus gros festivals de contes au Québec, le Rendez-vous des Grandes Gueules qui s’y tient depuis 26 ans. S’y passent du conte, du récit de vie, de la poésie, des performances… et l’événement est précédé d’une réputation internationale pas piquée des vers ! Le Carrefour de la littérature, des arts et de la culture (CLAC) de la Mitis fait aussi un super travail pour faire vivre les arts littéraires au Bas-Saint-Laurent, autant avec ses résidences qu’avec son festival et sa programmation régulière. Bref, le slam et l’art oratoire dans la région c’est, selon moi, notre grosse force, notre spécialité, c’est une source de fierté et c’est surtout très vivant !
Je pense que la culture est un vecteur politique considérable et donc que ces scènes ont un rôle important à jouer. Une bonne façon d’amener le public et les artistes à réfléchir sans leçon moralisatrice, c’est de laisser les valeurs et les principes s’inviter dans les lieux culturels. Je ne parle pas nécessairement d’avoir des événements politiques en soi, mais bien que la direction artistique des scènes culturelles soit traversée d’enjeux actuels. Pour favoriser cela, il faut que les programmations paritaires mettent en valeur une diversité de voix : c’est non négociable et ça amène le public à nous suivre, à découvrir et à s’ouvrir. La programmation culturelle, ce n’est pas de la politique frontale, mais c’est un outil politique fondamental. Nos choix de programmation ont des répercussions que je souhaite positives autant pour le milieu local (le public et les artistes) que pour le milieu du conte au Québec. C’est un sujet que nous ne prenons pas à la légère dans la direction artistique de nos événements. D’ailleurs, à l’inverse, je tombe des nues quand j’entends des programmateurs se défendre de leur programmation exclusivement masculine en disant “ je n’avais pas remarqué ! ”. Programmer est un pouvoir politique important.
À titre d’exemple, l’organisme les Compagnons, qui opère à Trois-Pistoles et qui est consacré à la mise en valeur du patrimoine vivant, est un gros joueur dans le développement des arts de la parole. Sa responsabilité, lorsque vient le temps de faire des choix artistiques, est d’autant plus importante à mon sens. Nous souhaitons offrir des cachets exemplaires, offrir des expériences enrichissantes autant pour le public que pour les artistes. Nous devons rester accessibles, nous souhaitons que notre salle de spectacle le soit tout autant. Il est aussi essentiel de travailler en collaboration avec les autres organisations culturelles régionales et les autres organismes diffuseurs de contes au Canada. Personnellement, je souhaite que les Compagnons soit un centre culturel dans les Basques, un organisme solide qui peut soutenir les projets culturels naissants, soutenir les artistes dans leur création. Outre être un diffuseur, je pense que nous pouvons être un acteur du développement culturel du Bas-Saint-Laurent. »
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Impossible de terminer ce tour d’horizon des arts de la parole au Bas-Saint-Laurent sans mentionner des personnes comme Caroline Jacques et Gervais Bergeron qui font un super travail pour organiser le festival Slam ton Festival à Saint-Fabien. Iels organisent aussi occasionnellement les soirées Slam ton Pirate au Vieux Théâtre de St-Fabien. Je peux affirmer que ce furent des soirées et un festival mémorables. Iels ont pris une pause durant la dernière année, mais il y a une rumeur qui court que le festival Slam ton Festival pourrait être de retour. Il y a aussi de belles soirées micro ouvert au BeauLieu Culturel du Témiscouata à Témiscouata-sur-le-Lac qui voient le jour de plus en plus. Ce sont des soirées qui font rayonner des artistes du Témiscouata et d’ailleurs. Il y a aussi des soirées micro ouvert qui émergent ici et là, notamment des soirées à la Microbrasserie La Captive à Amqui que j’organise où j’aimerais le plus possible faire rayonner des artistes du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Les arts de la parole sont en ébullition dans le Bas-Saint-Laurent, de plus en plus d’événements et d’artistes émergent. Il reste encore beaucoup à explorer. À vous la parole, maintenant !