Mini-dossier : Le transport est un bien commun !
Planification : un parcours semé d’embûches
Les transports collectifs joueront un rôle central dans la transition écologique, de concert avec une requalification du territoire respectueuse des populations qui y vivent. Mais encore faut-il qu’ils soient efficaces et bien conçus. Le Réseau express métropolitain de Montréal a, quant à lui, de nombreux effets pernicieux sur cet écosystème de transport.
Pendant des décennies, des dizaines de compagnies de transport collectif offraient des services dans la région de Montréal sans obligation de coordonner leurs actions. À partir de 1996, l’Agence Métropolitaine de Transport améliore l’offre régionale, sans parvenir à générer la concertation espérée.
Vingt ans plus tard, en 2016, l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) est créée, disposant des pouvoirs nécessaires pour la création d’un réseau de transport efficace. Malheureusement, elle voit aussitôt une filiale de la Caisse de dépôt du Québec, CDPQ Infra, lui arracher ses compétences sur un immense territoire pour créer son Réseau Express Métropolitain, le REM.
Le REM, un ami dangereux
Rapidement, citoyen·nes et organismes dénoncent les vices du REM. La ligne Deux-Montagnes, le train de banlieue le plus fréquenté et le plus rentable, passe aux mains de CDPQ Infra afin de maximiser les profits du REM. Ce faisant, on empêche à jamais la création d’un lien ferroviaire (train à grande vitesse ou train à grande fréquence) menant au centre-ville.
Le pire est son modèle d’affaires qui exige le paiement d’un montant élevé pour chaque passager/kilomètre selon une somme indexée au coût de la vie pendant une période de 98 ans, renouvelable. Normalement, le financement d’infrastructures comme le métro se fait sur une trentaine d’années, période après laquelle les coûts d’exploitation diminuent. La facture totale du REM sera extraordinairement salée.
Les clauses du contrat du REM (exclusivité, gouvernance…) sont incroyablement contraignantes non seulement pour les autres sociétés de transport, mais aussi pour les citoyen·nes et les pouvoirs publics, si bien que le BAPE rejette ce projet sans la moindre ambivalence.
Malgré cela, le REM se construit. À beaucoup d’endroits, dont les abords du canal Lachine ou de l’autoroute A-40, la réalité est aux antipodes des espérances. D’autres belles promesses, dont celle de n’interrompre qu’occasionnellement le service sur la ligne Deux-Montagnes, sont elles aussi oubliées.
Le projet de REM a été conçu pour être vendu à des tiers dans un court laps de temps. C’est pourquoi des experts indépendants doivent rapidement dresser un bilan détaillé du dossier et tout particulièrement du gouffre financier que subiront les sociétés de transports et les villes concernées. Quelles seraient les conséquences sur Montréal et sa région si le REM devenait propriété d’intérêts étrangers négligents ou malveillants ?
Une grogne croissante à l’est
À l’automne 2019, l’ARTM donne enfin l’impression de pouvoir mener à bien sa tâche principale avec la publication de son Projet de plan stratégique de développement du transport collectif. Ce document propose des réseaux existants consolidés, de nouvelles infrastructures, des services améliorés et une meilleure interconnexion avec les transports actifs. En revanche, il ne laisse aucunement présager le REM de l’Est.
Citoyen·nes, organismes, villes et MRC déposent leurs mémoires avant le 14 décembre 2020. Mais le lendemain, le REM de l’Est est annoncé en grande pompe même s’il contredit les orientations du Projet de plan stratégique de l’ARTM. Plusieurs instances concernées jurent n’en avoir appris l’existence que lors de son annonce officielle ou la veille. Les citoyen·nes et organismes révisent à la hâte leurs positions pendant le temps des fêtes, car les audiences publiques se tiennent début janvier.
D’un côté, tous s’entendent pour saluer l’ampleur de l’investissement prévu pour le REM de l’Est. De l’autre, les critiques qui visaient d’abord le volet aérien s’élargissent rapidement à tous les aspects du projet, et rallient de plus en plus voix expertes, médiatiques et citoyennes.
En février 2022, plus d’un an après l’annonce du projet, les grandes lignes des rapports de l’ARTM et de la STM fuitent dans les médias. Elles révèlent autant l’inefficacité que le caractère pernicieux du REM de l’Est. Celui-ci ne répond pas aux principaux besoins de la population de l’Est, à savoir les déplacements à l’intérieur du territoire. Il ne répond qu’aux 12 % de personnes se rendant au centre-ville, et encore, partiellement. Seulement 5,6 % des automobilistes se convertiraient aux transports collectifs, plutôt que les 17 % annoncés par les promoteurs de REM. En contrepartie, 94 % de sa clientèle serait arrachée à la ligne verte et aux autres services de transport collectif. Ce transfert, combiné à un mode de financement extrêmement gourmand, aurait un impact délétère sur les finances des autres modes de transport collectif. À cela s’ajoute l’extrême difficulté d’insérer adéquatement les structures aériennes.
À partir de ce moment, le projet du REM de l’Est part en vrille. CDPQ Infra tente un dernier coup de force en dévoilant des aménagements urbains à très grande échelle dont les coûts faramineux seraient essentiellement assumés par les autres pouvoirs publics. La grogne explose. Après avoir demandé « Peut-on encore croire CDPQ Infra ? », le chroniqueur Michel C. Auger conclut alors qu’il faut « se débarrasser du cannibale ».
Devant son incapacité à imposer son train aérien au centre-ville, qui aurait maximisé la capture de client·es de la STM, CDPQ Infra laisse les rênes au gouvernement du Québec. Le train léger aérien/souterrain survivra, mais sera modifié. L’antenne est-ouest partant de la gare Pointe-aux-Trembles du train de Mascouche s’arrêtera au métro L’Assomption (un dédoublement de la ligne verte sur plusieurs kilomètres). L’antenne nord-sud, voisine du Service rapide par bus (SRB) Pie IX, diminuera significativement la clientèle de cette infrastructure récemment inaugurée. Pourquoi ne pas desservir plutôt le pôle Anjou, plus à l’est, une destination majeure et un pôle identifié comme devant être densifié depuis 1973 ?
La réplique de l’ARTM
La poursuite du projet est confiée à un groupe de travail dirigé par l’ARTM. Avant de recevoir la version écrite de son mandat, l’ARTM, par la voix de son vice-président, Michel Lemay, déclare publiquement que cet organisme étudiera toutes les options possibles et qu’elle consultera les parties prenantes avant la fin de l’année 2022.
L’ouverture promise se transforme en un long silence. Ce n’est guère surprenant étant donné la volonté manifeste du gouvernement Legault de tourner les coins ronds.
Fin janvier 2023, le rapport intermédiaire de l’ARTM sur le Projet structurant de l’Est (PSE) (nouveau nom du REM de l’Est) est déposé sur un site Internet, sans conférence de presse. Le rapport répète 59 fois le mot « enjeu » et 37 fois « analyse », montrant le caractère hautement hypothétique de plusieurs aspects du projet. L’examen du rapport permet aussi de comprendre que le train automatisé n’est ni le bon mode ni le bon tracé et que ses coûts devraient être exorbitants par rapport aux maigres bénéfices escomptés.
Dans son mémoire sur le REM de l’Est, l’ARTM dit ceci : « À la lumière des constats qui se dégagent de nos analyses, nous suggérons d’envisager des options qui permettraient un projet mieux ancré dans un principe de complémentarité avec l’écosystème de transport collectif existant, ainsi qu’une meilleure adéquation entre les besoins de déplacement, les milieux urbains traversés, le mode proposé et les coûts d’investissement. » Depuis plus de deux ans, experts, chroniqueurs et groupes citoyens exigent eux aussi, à répétition, que tous les tracés, tous les modes soient étudiés, et que les processus de revitalisation de nos quartiers soient faits en collaboration avec la population. De nombreuses publications témoignent de cette volonté, dont la lettre commune dans laquelle des groupes de l’Est et du Sud-Ouest demandent un réseau intégré de transport collectif. Cette lettre est d’ailleurs appuyée par des experts reconnus en urbanisme et en transport collectif.
Deux contrats, l’un de 3,3 millions $, l’autre de 38,4 millions $ pour l’ensemble de la région, permettraient à l’ARTM de mener un travail de qualité, en collaboration avec la Ville de Montréal et les autres municipalités, et surtout, avec la population.
Nous méritons beaucoup mieux que les improvisations coûteuses que l’on tente de nous imposer. Exigeons des processus rigoureux pour des résultats optimaux.