Protéger les locaux communautaires montréalais

No 096 - Été 2023

Le tissu social des quartiers menacés

Protéger les locaux communautaires montréalais

Gessica Gropp, Audrée T. Lafontaine

En 2017, des regroupements d’organismes communautaires ont réalisé une enquête révélant que 115 organismes seraient évincés de leurs locaux au cours des trois années suivantes, et que ces organismes n’arrivaient pas à établir un plan de relocalisation accessible. Les locaux étaient désormais plus rares, plus chers et plus éloignés de leur zone de desserte. Six ans plus tard, la situation ne s’améliore pas.

De nombreux organismes vivent une reprise de leurs locaux, des hausses indues de loyer, et sont confrontés à la rareté des options qui se présentent à eux pour se reloger. Ces situations risquent de déraciner les organismes de leur milieu et de fragiliser le tissu social des quartiers vulnérables. C’est notamment ce qui s’est passé dans le quartier Villeray quand la commission scolaire a réquisitionné ses locaux du Centre Lajeunesse, forçant les organismes hébergés à se redéployer ailleurs et autrement. Avec cette délocalisation, c’est tout un milieu de vie qui a été touché. Quatre ans plus tard, les organismes existent toujours, mais souvent, leur programmation et leur desserte ont dû être revues à la baisse, malgré l’ampleur des besoins. Certains de ces organismes font aujourd’hui face à des nouvelles annonces d’éviction. On peut comprendre à quel point cette situation fragilise la capacité des organismes à répondre aux besoins sociaux.

À la recherche de solutions

Face à la rareté d’espaces adéquats, les organismes qui n’ont pas la chance d’être hébergés dans des locaux publics (comme des équipements municipaux, une salle communautaire d’un complexe géré par l’OMHM, des bâtiments excédentaires d’un centre de services scolaires ou des espaces prêtés par le réseau de la santé) doivent se rabattre sur la location d’un espace commercial avec ce que cela comporte d’inconvénients, comme la responsabilité financière de tous les travaux d’aménagement et de réparations sans aucune protection pour encadrer ou empêcher les augmentations abusives de loyer. Pour ces raisons et avec la gentrification qui s’accroît dans les quartiers centraux de l’île, il semble impossible d’envisager les locaux commerciaux comme une solution viable à la crise actuelle.

D’autres organismes optent pour l’acquisition d’un local pour héberger leurs activités. L’idée de devenir propriétaire résonne comme un signe d’autonomie et de stabilité pour un organisme. Toutefois, l’acquisition immobilière communautaire est loin d’être accessible pour la plupart des organismes. Parmi les obstacles à l’acquisition, on peut penser à l’accumulation d’un pécule pour la mise de fonds, aux contraintes des règlements d’urbanisme, à l’accès à un prêt hypothécaire suffisant, à la capacité à rembourser la dette sans gruger sur la réalisation de la mission, à la gestion de la contamination des sols ou de l’isolant à l’amiante inhérente à certains sites, etc. De plus, le rôle de propriétaire est une fonction qui vient avec de nombreuses responsabilités et une charge mentale et financière qui perturbe la réalisation du mandat des organismes. Si, pour certains, c’est une voie qu’ils souhaitent emprunter, cela ne répond pas aux besoins et aux capacités d’un grand nombre.

Le patrimoine public pour des besoins publics

Lieux de culte désaffectés, bâtiments municipaux ou anciennes écoles excédentaires : ce sont tous des sites situés au cœur des quartiers où des locaux abordables sont recherchés. Là où le bât blesse, c’est que le maillage entre des sites en attente d’une vocation et les projets d’occupation convoités ne repose actuellement sur aucune vision de développement.

Certaines victoires menées par des communautés nous rappellent que cela est pourtant possible. Cependant, le parcours est sinueux et ces victoires demeurent l’exception. Le manque de soutien pour les phases de préparation et le manque de fonds dédiés à restaurer, à rendre accessible et à mettre aux normes des bâtiments vieillissants et vétustes expliquent probablement la désaffection assez généralisée que l’on réserve à des sites pourtant propices à une prochaine vocation.

Ces bâtiments doivent rester dans le giron public. On emprunte un sillon dangereux qui consiste à penser que seuls les promoteurs privés disposent des leviers de développement. Il pourrait en être autrement, mais c’est un débat qui nous échappe à l’heure actuelle.

Ce sont bien plus que des bâtiments !

Ce dont il est question ici, c’est de tout un pan de notre maillage collectif et de nos leviers de développement en tant que société. Si nous avons pu construire ce réseau de sites publics en quelques générations, comment se fait-il que nous ne puissions pas l’entretenir et lui attribuer de nouvelles vocations ? La proposition défendue ici consiste à réhabiliter des sites pour y accueillir un paquet de fonctions qui doivent pouvoir exister sans être soumises aux prix et aux fluctuations du marché. Actuellement, on perd du terrain, au sens propre et figuré ! La Société québécoise des infrastructures, société paragouvernementale qui ne tient pas compte des besoins de la communauté lors de la caractérisation des sites dont elle fixe le prix, est plutôt connue pour vendre les sites publics, ce qui mène régulièrement à leur privatisation irréversible.

Tout porte à croire que c’est en mobilisant l’ensemble des acteurs qu’on peut trouver des solutions. À Ahuntsic, par exemple, la communauté et la ville testent un nouveau modèle pour développer une ancienne friche : une fiducie d’utilité sociale. L’objectif de cette démarche vise à planifier toutes les fonctions dont le quartier a besoin tout en maintenant leur accessibilité à travers le temps. Appelé l’écoquartier Louvain Est, le quartier projeté est axé sur la transition écologique et sur la résilience de la communauté.

La Ville de Montréal peut aussi intervenir pour favoriser l’accès à son patrimoine bâti. Elle a notamment lancé une initiative pour offrir à 1 $ certains des 68 bâtiments vacants excédentaires dont elle a la propriété. Un appel d’intérêt est en cours pour le Centre Saint-Paul. Les candidat·es doivent s’engager à le restaurer et à l’aménager dans un délai raisonnable, ce qui représente la rondelette somme de 10 millions de dollars. Il est souhaitable mais peu probable que ce site soit repris à des fins communautaires, car les contributions en subvention ne suffisent pas pour rénover des projets aussi coûteux.

Résorber la crise, une brique à la fois

La revalorisation des sites publics est une occasion de répondre à plusieurs crises que l’on connaît actuellement. Ces terrains sont une occasion de créer des milieux de vie abordables et aux fonctions diversifiées : logements sociaux, centres de la petite enfance, centres communautaires et équipements publics. Au-delà du tas de briques qui s’effritent, nous y voyons une contribution attendue pour opérer une transition sociale et écologique. À quand une réelle rencontre entre le patrimoine bâti et le patrimoine vivant ?

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