La rébellion est-elle passée à droite ?

No 096 - Été 2023

Pablo Stefanoni

La rébellion est-elle passée à droite ?

Samuel-Élie Lesage

Pablo Stefanoni, La rébellion est-elle passée à droite ?, La Découverte, 2023, 220 pages.

Ne prenons pas quatre chemins : La rébellion est-elle passée à droite ? est un livre nécessaire qui doit se retrouver sur le chevet des forces militantes progressistes. Dans cet essai remarquablement bien appuyé par une recherche de grande qualité, Pablo Stefanoni, historien et journaliste au Monde diplomatique et à la revue Nueva Sociedad, propose un portrait des diverses forces, idées et discours actuels de l’extrême droite. L’originalité de son approche réside dans le fait que Stefanoni prend acte de la grande diversité des idées, groupes et discours qui composent la nébuleuse de la nouvelle droite « dure » (nationalisme radical, paléolibertarinisme, misogynie violente, écofascisme, suprémacisme blanc, islamophobie, pour n’en nommer que quelques-uns) pour montrer comment ces divers « topoï » (p. 278), bien qu’en apparence distincts, se rejoignent pour former des alliances surprenantes.

Ainsi, si Stefanoni montre comment le libertarianisme classique s’est rapproché des classes moyennes et prolétaires américaines, sous l’impulsion de Myrray Rothbard, en devenant un « paléolibertarianisme », soit une défense du tout au marché couplé avec des valeurs conservatrices dures (famille, Église), sa démonstration se complète en montrant comment les idées paléolibertariennes percent d’autres sociétés que celles des États-Unis, comme l’Argentine, grâce aux efforts de diffusion de Javier Milei, ou le Brésil et l’Espagne, par l’entremise de Agustin Laje. Et grâce aux efforts de ces derniers, les idées paléolibertariennes auront même fini par ensemencer les politiques de Jair Bolsonaro ou du parti d’extrême droite espagnol Vox (p. 186), où on devine que le tout au marché libertarien finit par défendre un nationalisme dangereux aux implications autoritaires.

Ces rencontres et liens, Stefanoni les multiplie : des nouvelles formes de nationalisme à la peur paranoïaque du « marxisme culturel », le « politiquement incorrect » comme manière à la fois de dénoncer les prétentions à l’égalité et de choquer pour polariser à outrance les débats, de la normalisation des droits LGBT à l’islamophobie ou du nationalisme grincheux à l’écologie et les idéologies new age, le livre de Stefanoni permet à une gauche confuse de mieux saisir l’adversaire qui lui fait face.

Le livre de Stefanoni s’inscrit en effet dans un bilan pessimiste et négatif de la gauche. Force est de le constater, ce qu’on nomme la gauche s’est rangé, souvent bien malgré elle, à défendre le « capitalisme tel qu’il est contre le capitalisme tel qu’il menace de devenir » (p. 30-31). La capacité de s’indigner et de canaliser les forces vives de la colère serait passée de la gauche, devenue partisane de l’establishment néolibéral, aux mouvances réactionnaires, qui dénoncent l’alliance du pouvoir traditionnel avec les forces progressistes et réformistes.

Que faire alors ? En proposant une exploration des articulations des différents discours de la nouvelle droite, on comprend finalement que le moyen ne réside peut-être pas à établir un « populisme de gauche », reflet progressiste du populisme réactionnaire (p. 278). Cette stratégie a échoué notamment parce qu’elle ignorait les articulations propres à la nouvelle droite réactionnaire. Toutefois, l’exploration de Stefanoni révèle justement ces articulations, et comment elles sont fragiles : peut-être est-il temps de se moquer des nouveaux thuriféraires de la droite (p. 280), d’opposer le rire cinglant à leur venin, plutôt que l’indignation qu’ils attendent déjà. Loin d’être une simple soupape esthétique, cette stratégie permettrait de dé-polariser le débat et de montrer la droite dure pour ce qu’elle est : une opération de manipulation (p. 34).

À voir comment réagissent nos propres bonzes québécois de la réaction, les Martineau, Bock-Côté ou Rioux, dès qu’on élève un peu la voix contre eux, cette proposition rieuse mérite d’être considérée bien sérieusement.

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