La parole sorcière

No 093 - Automne 2022

Eve Martin Jalbert

La parole sorcière

Camille Simard

Eve Martin Jalbert, La parole sorcière, Éditions de la rue Dorion, 2022, 251 pages.

Eve Martin Jalbert signe une rafraîchissante proposition sur la sorcellerie en littérature. Plus que de la figure de la sorcière, c’est de la parole sorcière dont il est ici question, dans une perspective foncièrement holistique. Jalbert s’aventure plus loin que ses contemporaines essayistes en accordant, au final, peu d’importance à la sorcière comme personne, et encore moins à la version féminine essentialiste de celle-ci. L’auteurice préfère se pencher sur l’éthos, les discours et les gestes derrière cette populaire icône féministe. Iel dépeint très simplement la parole sorcière comme ce qui libère, ce qui émancipe, ce qui crée barrage à la domination et, intimement, à la honte. Jalbert clame que nous gagnerions collectivement à rendre nos vies beaucoup plus réceptives à la parole sorcière et, pour nous y persuader, iel y va d’une démonstration littéraire.

À travers moult exemples puisés dans une variété d’œuvres - surtout de fiction - dans lesquelles les personnages ont repris leur « pouvoir en-dedans » pour faire preuve de « pouvoir-avec » et de « pouvoir-sur », on saisit à quel point la parole sorcière est synonyme de résistance. Autant la fresque littéraire qu’iel brosse est pertinente, autant elle déborde. Il y a beaucoup d’œuvres mentionnées, trop, selon moi, peut-être parce que la littérature mondiale regorge justement de situations de reprise de pouvoir par les opprimé·es. Si certaines œuvres sont récurrentes (je me suis d’ailleurs délectée des références à L’Euguélionne de Louky Bersianik, qui demeure un roman sous-étudié pour l’importance symbolique qu’il revêt), d’autres ne sont mentionnées qu’une seule fois. Je me demande quelle est la fonction de ce cumul ou plutôt, en sous-texte, qui est le public cible ? J’avais parfois l’impression qu’iel s’adressait seulement aux littéraires et/ou prêchait pour des convaincu·es.

Cela dit, la déclaration d’amour que ce livre contient me porte encore après sa lecture. Ode à la vie, ode à la joie, ode au temps passé ensemble, ode à la profondeur des choses. Devant l’échec des actions entreprises pour contrer la crise climatique en cours, je me dis que la clé est sans doute du côté des déclinaisons non monnayables de la parole sorcière. Et ce n’est pas tout. En donnant autant d’importance à des œuvres fictionnelles, Jalbert fait aussi une ode à l’imagination, à ce que nous possédons en nous pour imaginer du mieux encore. Il faut aimer les gens et les choses et ce n’est pas – du moins strictement – à coup de publications de rapports scientifiques que nous parviendrons à changer nos modes de vie pour une plus grande viabilité écologique.

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