Environnement
Fonderie Horne : la ville au coeur de cuivre
Le verdict est tombé à Rouyn-Noranda le 15 août dernier : les émissions d’arsenic dans l’air de notre ville seront tolérées jusqu’à cinq fois au-dessus de la norme prévue par la Santé publique. L’échéancier de cinq ans ne prévoit aucune cible intermédiaire précise pour contraindre Glencore à abaisser ses rejets toxiques dans l’air d’ici là. Les Rouynorandien·nes, décidément, devront boire la coupe jusqu’à la lie.
Il y a une chose que les gens de l’extérieur ont du mal à comprendre. Parler contre la fonderie, c’est parler contre Rouyn. C’est une vérité que chacun ici sent au fond de soi dès sa naissance. Les employé·es de la fonderie sont vos ami·es d’enfance, votre oncle ou tante, votre voisin·e ou votre fille ou fils. On ne médit pas contre les siens et on évoque encore moins la mort de ce qui nous a donné la vie.
Malgré le plan annoncé de réduction des émissions toxiques de la fonderie, certain·es s’écrient déjà bruyamment et refusent le compromis. Les positions se crispent de nouveau. On s’apprête à rejouer bientôt la grande scène tragique qui traverse toute notre histoire : ce n’est pas la première fois que la fonderie divise notre communauté. On regarde alors au fond de soi comme dans le puits noir d’une ancienne mine. On ne sait jamais ce qui risque d’en remonter.
Les luttes se mènent ici dans une douleur coupable. Même les allié·es de la fonderie sont rongé·es sourdement par le doute. Les militant·es finissent par se taire, agacé·es de s’entendre eux·elles-mêmes radoter. Mais les forces de l’immobilisme, elles, n’ont jamais cessé de piocher à la même inépuisable veine.
Parler contre la fonderie, c’est parler contre Rouyn.
Cette croyance remonte au temps de nos grands-parents, que l’on a pourtant enterré·es, encore jeunes, depuis très longtemps déjà au Cimetière Notre-Dame. C’est une idée vieille et ennuyeuse comme la pluie (acide), et peut-être même plus vieille que les cheminées, que l’on dit pourtant éternelles. C’est une idée, en somme, très vieille, trop vieille peut-être.
Entendez-vous la rumeur…
Des citoyen·es influent·es déclarent publiquement qu’ils et elles prendront la clé des champs, loin des nuages oranges, au Témiscamingue, là où les prés sont calmes et où il fait bon respirer. D’autres en sont encore à aiguiser leurs armes. La plupart regardent en retrait et ne savent plus très bien comment juger de la situation. Bien des gens se demandent, et non sans raison, si la réputation de notre ville n’est pas entachée durablement. La fracture va en augmentant.
Depuis peu, les bannières Facebook claquent au vent des réseaux comme les drapeaux noirs de la piraterie. Le nouveau slogan publicitaire de la ville, Douce Rebelle, est subverti par une formule ironique qui en choque plusieurs : Douce Poubelle. À Val-d’Or, Amos ou Ville-Marie, des voix plus lointaines s’élèvent pour faire entendre leur solidarité. La ville fourmille de journalistes sur lesquel·les on trébuche maintenant à tous les deux coins de rue. Les un·es évoquent la fermeture de l’usine comme s’il s’agissait d’un dépanneur et les autres nous parlent de la disparition complète d’un quartier, et avec lui les lieux chers à notre enfance. Les citoyen·nes alternent entre la stupeur et le découragement.
Rouyn donne à voir sa douleur publiquement. Certain·es estiment que là c’est un manque de dignité. Des Mères au Front portent un écusson vert taillé en cœur – vert comme la couleur du cuivre rouillé – et s’adressent à la mairesse en la tutoyant. Leurs filles et leurs fils sont blotti·es contre elles, inquiété·es par l’agitation. Les enfants se demandent pourquoi leurs mères pleurent. Elles sont venues parler pour la jeunesse, pour tout ce que le monde pourrait devenir.
Un militant écologiste de la première heure se prend la tête entre les mains et croit revivre un cauchemar alors qu’on évoque un appui gouvernemental dans la modernisation de la fonderie. Des médecins s’inquiètent de la prévalence potentielle de maladies aux noms imprononçables devant une assistance qui fait des yeux ronds. Une femme âgée qui a vécu toute sa vie dans le quartier Notre-Dame, adossée contre l’usine métallurgique, témoigne, à une assemblée entière, avec une simplicité qui arrache des larmes. Sa santé est compromise et elle ne veut pas mourir en sachant que les tout-petit·es pâtiront encore de la qualité de l’air.
On entend ici toutes sortes de choses dernièrement, des choses édifiantes et des plus regrettables. Notre parole s’emporte comme la rivière qui rompt son embâcle. Les débordements sont à prévoir. Mais c’est surtout à une formidable leçon de mobilisation sociale à laquelle nous ont convié·es les citoyen·nes de Rouyn-Noranda. Ceux et celles qui parlent aiment leur ville suffisamment pour transgresser un interdit qui les fait souffrir eux·elles aussi.
Parce que parfois, parler contre la fonderie, c’est aussi parler pour Rouyn.
Le soleil s’est levé sur Rouyn
Depuis les premiers signes du printemps, quelque chose en nous cherche à naître. Notre mobilisation devient le tremplin d’une nouvelle fierté. Les villes jumelles ont renfilé leur robe des plus beaux jours. Notre indignation prend parfois la forme soudaine de l’espoir. On nous écoute de très loin. On s’enorgueillit de voir notre communauté debout et agissante. On dit maintenant partout que les gens de Rouyn ont beaucoup de courage. La multinationale est forcée de nous regarder en face. Il faudra apprendre dorénavant à nous respecter.
Notre lutte n’est pas encore terminée, mais nous voici à nouveau engagé·es dans la bataille de l’essoufflement. Notre cœur est plus large et notre sang plus oxygéné que jamais. Avec l’été qui rayonne, on respire en tout cas un air franchement plus sain. C’est celui du droit à parler enfin, et pour nous-mêmes, de ce qui nous inquiète depuis très longtemps.